Arrivée de Moderna

Un sérieux coup de pouce pour le bassin montréalais

Cent quatre-vingts millions de dollars, ça ne change pas le monde, mais… ça améliore un secteur industriel.

La construction à Laval de l’usine de vaccins à ARN messager Moderna est un évènement important pour le secteur pharmaceutique du Grand Montréal. Bien plus important que la valeur de l’investissement, dont 25 millions proviennent du gouvernement du Québec, disent toutes les personnes interrogées.

Le choix de la région de Montréal par une société vedette comme Moderna attire l’attention sur le Québec comme lieu où investir. « Ça consolide l’image de marque de Montréal comme centre d’excellence scientifique et industriel », dit Frank Béraud, de Montréal InVivo, l’organisme qui promeut le développement du secteur des sciences de la vie dans le Grand Montréal. « Moderna a trouvé les conditions favorables et les ingrédients nécessaires pour s’installer ici. » D’autres entreprises de ce secteur en effervescence vont le noter, dit-il.

L’usine Moderna de Laval – la première de la société hors des États-Unis – fabriquera dans un premier temps 30 millions de doses de vaccin anti-COVID-19 Spikevax par année, qui seront achetées par le gouvernement fédéral. L’usine aura une capacité pouvant atteindre 100 millions de doses et devrait employer 200 personnes.

« C’est une évidence qu’il s’agit d’emplois bien payés, ceux dont parle souvent le PM » (le premier ministre François Legault), dit l’entrepreneur pharmaceutique Bertrand Bolduc, qui a cofondé ou dirigé plusieurs entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques.

Un investissement dans le temps long

« Construire une usine pharmaceutique, c’est toujours une entreprise majeure », avec des répercussions importantes et durables pour toute la grappe industrielle, dit Bertrand Bolduc, cofondateur de Stérinova, une firme pharmaceutique ayant elle-même construit une usine de produits stériles injectables approuvée par la FDA à Saint-Hyacinthe en 2014 (vendue à l’allemande B. Braun en 2017).

« Des bureaux, ça se déménage. Un laboratoire de recherche, c’est plus compliqué, mais ça se déménage aussi. Une usine ? Jamais. Ça se vend et, à la limite, ça se ferme – et c’est déjà arrivé –, mais une usine est un investissement dans le temps long. »

– Bertrand Bolduc, cofondateur de Stérinova

Le PDG de Moderna, Stéphane Bancel, a souligné que la décision de construire une usine engage l’entreprise « sur 20, 30 ou 40 ans ».

Certaines usines durent très longtemps, produisent une succession de médicaments différents, même quand le propriétaire change.

L’usine pharmaceutique de Haleon Therapeutics, à Saint-Laurent, construite en 1944 par Ayerst (rachetée par Wyeth, elle-même absorbée en 2009 par Pfizer, avant de passer il y a quatre ans sous le giron de GSK) est un bon exemple. Cinq propriétaires et près de 80 ans plus tard, elle produit toujours et sa plus récente modernisation (32 millions de dollars, par Pfizer) remonte à 2012.

Le secteur biopharmaceutique montréalais profite d’investissements structurants antérieurs, dit Geneviève Guertin, vice-présidente aux investissements en sciences de la vie du Fonds de solidarité FTQ.

« On bâtit sur le legs des compagnies pharmaceutiques – Merck, BMS, AstraZeneca, Boehringer-Ingelheim – qui ont eu des laboratoires de recherche à Montréal et qui les ont fermés [durant la dernière décennie]. Ça a laissé derrière une main-d’œuvre très qualifiée », qu’on retrouve parmi les employés ou à la direction de toutes sortes d’autres sociétés du secteur de la vie.

De nouveaux venus tentent aussi de lever des fonds pour faire de la biofabrication dans la région. Le Danois Rasmus Rojkjaer, qui a été PDG d’Alvotech et cadre chez Mylan et Novo Nordisk, a incorporé SmokePond à Montréal et tente de financer la construction d’une usine de médicaments biologiques. « On a regardé aux États-Unis, en Colombie-Britannique et en Ontario, mais c’est ici que les conditions sont les plus favorables », dit-il.

Changement qualitatif

L’arrivée de Moderna est importante « parce que ça amène au Québec une expertise dans la production de vaccins à ARN messager, qui est une technologie d’avenir qui n’est pas limitée aux vaccins, d’ailleurs », note Frank Béraud.

« Ça comble une expertise » en production sur des domaines que les universités montréalaises ont déjà pour ce qui est de la recherche, dit-il.

« L’ARN messager ouvre des portes pas seulement dans les vaccins, mais aussi dans les médicaments et les diagnostics. »

– Frank Béraud, Montréal InVivo

On peut espérer que l’usine ne serve pas qu’à produire des vaccins anti-COVID-19 et qu’elle accélère des percées médicales. En mars, Moderna a annoncé une première collaboration avec une université canadienne, McGill, note Frank Béraud. Le programme mRNA Access de Moderna donne aux chercheurs accès aux installations de Moderna pour accélérer la conception de vaccins expérimentaux. Un éventuel vaccin contre le VIH est déjà évoqué par l’Université McGill.

D’autres universités québécoises pourraient se joindre à mRNA Access. Le professeur François Major, qui dirige un laboratoire d’ingénierie des ARN à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie de l’Université de Montréal, a dit à La Presse avoir établi un premier contact avec Moderna.

La région de Montréal, avec ses universités et centres de recherche, a un bassin d’employés potentiels attractif pour Moderna, qui sera voisine, à Laval, de l’INRS-Santé.

« Mais ils ne vont pas trouver à Montréal 100 % de leur main-d’œuvre. Ça amènera à Montréal de l’expertise de production très pointue, des gens qui formeront du personnel d’ici », dit Frank Béraud, qui prévoit un « important transfert de connaissances ».

Chaîne d’approvisionnement

« Ça va aider les sous-traitants pharmaceutiques de la région », note Perry Niro, président de Pharmed Canada, un réseau regroupant fabricants et fournisseurs pharmaceutiques.

« Moderna va trouver certains fournisseurs déjà établis autour de Montréal. Mais elle va amener dans la région sa chaîne d’approvisionnements à elle », donc des entreprises ayant un savoir-faire spécifique à ses activités de pointe.

« Et certaines entreprises d’ici ont aussi des projets de recherche compatibles », susceptibles de générer des collaborations, note M. Niro, qui dirige également le Centre québécois d’innovation en biotechnologie, à Laval.

L’investissement renforce aussi le secteur québécois des vaccins, qui compte l’usine GlaxoSmithKline (grippe) à Sainte-Foy, et Medicago, qui construit actuellement une usine de vaccins (COVID-19) à Québec.

« C’est un gros avantage pour un pays d’avoir sur le territoire national des usines », souligne Bertrand Bolduc, qui a déjà présidé BioQuébec, l’organisme qui représente les sociétés biotechnologiques, et qui est actuellement président de l’Ordre des pharmaciens du Québec.

« On l’a vu durant l’épidémie de grippe H1N1 [en 2009-2010]. On n’a pas eu de problème à avoir de vaccins antigrippaux, parce qu’on avait déjà l’usine de vaccins GSK de Sainte-Foy. À cette époque, beaucoup d’autres pays couraient après des vaccins. »

Comme le Canada, au début de la pandémie de COVID-19…

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