Chronique

En dollars canadiens, SVP !

Voulez-vous bien me dire pourquoi certains détaillants exigent que les consommateurs canadiens paient en billets verts ? Même pour des achats réalisés sur le sol canadien. Même sur des sites web qui arborent la feuille d’érable laissant présager aux internautes qu’ils font affaire avec une entreprise canadienne.

Si ce n’est pas de la fausse représentation, je ne sais pas ce que c’est.

Avec la chute du huard, la devise fait une sacrée différence ! Les consommateurs qui paient en dollars américains se trouvent à verser presque un tiers de plus que le prix affiché, parfois sans avoir été avertis.

C’est ce qui s’est produit pour Catherine Houpert qui a participé au marathon d’Ottawa en mai dernier. Dans le salon des exposants, un stand proposait des lunettes soleil à bon prix. La dame s’en est donc procuré une paire qui coûtait 49 $, soit 55,40 $ avec les taxes.

Mais en recevant son relevé de compte, elle a réalisé que l’achat lui avait été facturé en dollars américains. La conversion gonflait le prix à 69,59 $CAN. Insultant !

Sur le web, il faut être encore plus méfiant.

« On voit de plus en plus d’annonces pour des produits qu’il faut payer en dollars américains. C’est bien frustrant de devoir payer un supplément de cette façon. »

— Sylvain Carrier, un consommateur

Il cite en exemple tous les « bidules » plus ou moins efficaces annoncés dans des infopublicités à la télévision, comme le « Stretch and Fresh ». Vous savez, cette pellicule de plastique supposément prodigieuse pour recouvrir les plats cuisinés.

Bien sûr, il s’agit d’une entreprise américaine. Mais le produit est annoncé ici, à la télévision canadienne. Et le site web de l’entreprise comporte une version canadienne destinée spécifiquement aux commandes livrées au Canada.

Pourtant, l’entreprise du Connecticut ne se casse pas la tête à convertir son prix de vente en dollars canadiens comme le font maintenant de nombreux détaillants américains tels que Nordstrom, Macy’s ou encore Saks Fifth Avenue.

Pire : le site web de « Stretch and Fresh » ne précise jamais que le prix de son fameux bidule (qui ne marche pas, en passant) est en dollars américains (14,95 $US plus 5,95 $US pour la livraison, ce qui équivaut 19,63 $CAN et 7,81 $CAN). Nulle part sur le site les internautes ne sont prévenus que le prix sera plus élevé à cause de la conversion de change.

Légal, sauf que…

Les commerçants qui font affaire au Canada ont-ils le droit de facturer leurs produits dans une devise étrangère ? Rien dans la loi ne l’interdit. Mais encore faut-il que ce soit clair.

Une entreprise qui affiche des prix en dollars américains, sans le préciser, pourrait contrevenir à la Loi sur la protection du consommateur (LPC) qui interdit de « passer sous silence un fait important ». Dans un tel cas de fausse représentation, le client est en droit d’exiger l’annulation de la transaction.

Pour les achats en ligne, la LPC est encore plus précise. Avant la transaction, le commerçant a l’obligation de divulguer « la devise dans laquelle les montants exigibles sont payables, lorsque cette devise est autre que canadienne ». L’information doit aussi se retrouver dans le contrat.

Si ce n’est pas le cas, les internautes bernés peuvent demander une « rétrofacturation » à l’émetteur de leur carte de crédit qui ira reprendre l’argent dans le compte du commerçant. Malheureusement, les clients doivent souvent se battre avec leur institution financière pour qu’elle procède à la rétrofacturation.

La mésaventure de Mme Houpert avec sa paire de lunettes en est un bel exemple. À la suite de sa plainte, l’émetteur de sa carte de crédit a d’abord refusé de corriger l’erreur, croyant à tort que la consommatrice avait acheté les lunettes aux États-Unis, puisque l’adresse de l’exposant itinérant était en Floride. Heureusement, l’institution financière a fini par croire sa cliente qui a pu récupérer les 14 $ payés en trop.

Mais combien d’autres clients floués ont jeté l’éponge ?

Et les taxes ?

Maintenant, qu’en est-il des taxes à la consommation sur les produits achetés par des Québécois sur des sites web étrangers ?

En théorie, la TPS et la TVQ sont applicables, puisque c’est le lieu de résidence du client qui détermine les taxes.

Mais beaucoup de sites web étrangers ne les perçoivent pas. Quand le bien passe la frontière, Postes Canada a le mandat de les appliquer. Mais les mailles du filet sont très larges. Souvent, le produit n’est jamais taxé, ce qui crée une concurrence déloyale aux commerçants canadiens.

C’est sans compter que beaucoup de produits intangibles, comme les abonnements à Netflix, ne traversent pas physiquement la frontière. Quand l’entreprise n’a pas de présence physique ou de serveurs au Canada, rien ne la force à percevoir les taxes à la consommation, même si elle réalise des millions de dollars chez nous. Absurde !

Remarquez que lorsqu’un commerçant étranger n’a pas prélevé de taxes, le consommateur canadien a l’obligation de s’autocotiser en remplissant un formulaire.

Mais qui est assez fou pour le faire !

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