Santé

Brown-out, ou l’insignifiance du travail

Cherchez-vous régulièrement un sens à vos tâches professionnelles ou à votre carrière ? Faites-vous le strict minimum au boulot ? Considérez-vous que vos compétences sont sous-utilisées, même si votre salaire est intéressant ? Eh bien, vous êtes peut-être victime d’un brown-out, une nouvelle forme de dépression liée au travail, cousine du burn-out.

Si le burn-out est un épuisement professionnel, la personne en brown-out continue d’être fonctionnelle, mais n’a plus d’intérêt ou de motivation au travail. Ce qui peut mener à une dépression.

Seulement 31 % des travailleurs américains et canadiens sont engagés et motivés au travail, d’après une vaste étude mondiale de l’Institut Gallup, menée de 2014 à 2016. Ce chiffre fond à 13 % auprès des employés aux quatre coins du monde. Fait intéressant : au sein des organisations planétaires les mieux gérées, ce sont 70 % des employés qui sont motivés et engagés.

Apparu il y a seulement quelques années, le brown-out est un terme encore peu connu au Québec. « Bullshit jobs » : c’est la formule qu’avait utilisée l’anthropologue américain David Graeber pour dénoncer le phénomène, dans la revue britannique Strike !, en 2013. Il ciblait surtout l’impact des nouvelles technologies.

Dans son nouveau livre, Le brown-out : quand le travail n’a plus aucun sens, le Dr François Baumann, médecin généraliste à Paris, explique que le « brown-out exprime la douleur et le malaise ressentis à la suite de la perte de sens de ses objectifs de travail et à l’incompréhension complète de son rôle dans la structure de l’entreprise. Il se traduit littéralement par une “baisse de courant” et par une estime de soi de plus en plus diminuée ». Car le brown-out fait allusion à un terme électrique qui signifie une « baisse de tension ». Les employés tout comme les patrons peuvent être affectés par ce syndrome.

Des forces peu exploitées

« Beaucoup de gens ont plein de talents et de capacités, mais [leur plein potentiel] n’est pas utilisé dans le cadre de leur travail. Plein de gens se posent aussi des questions au niveau de leur travail, à savoir à quoi ça sert et quelle est leur valeur dans l’organisation », constate Solime Gaboriault, spécialiste en développement des organisations au cabinet conseil Hors-Piste.

Pour être épanoui au travail, il faut satisfaire trois besoins fondamentaux : son autonomie, sa compétence et son affiliation sociale (telle que la socialisation avec les collègues), souligne le psychologue et professeur au département d’organisation et ressources humaines ESG UQAM Jacques Forest, se basant sur les conclusions d’une recherche mondiale. « Et plus la démotivation est importante, plus l’argent sera important », note-t-il. Alors qu’il est démontré que le salaire, une fois qu’il couvre nos besoins essentiels et permet un certain niveau de vie, a peu d’impact sur notre épanouissement, indique le professeur.

Un sens à son travail

Pour être engagé et investi au travail, Solime Gaboriault ajoute que ce qu’on accomplit au boulot doit avoir un sens et correspondre à nos valeurs.

« On doit pouvoir l’aligner sur quelque chose de plus grand que soi. »

— Solime Gaboriault

M. Gaboriault constate cependant que « les organisations sont très axées sur la performance, l’imputabilité, l’innovation et moins sur le bien-être des personnes ».

Si le terme brown-out est nouveau, le problème du manque de motivation au travail ne l’est pas. La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Manon Poirier, confirme qu’il a toujours été important de savoir qu’on se développe et qu’on apprend professionnellement, que ce que l’on réalise est utile et change les choses Mais contrairement à la croyance populaire, « ce ne sont pas les milléniaux qui ont apporté cela, ça a toujours été là. Mais est-ce que c’est amplifié aujourd’hui ? Probablement », analyse-t-elle.

Le patron et l’estime de soi

Tous les experts interrogés sont catégoriques : le patron, surtout celui de premier niveau, a un impact direct sur l’estime de soi des employés, leur motivation et leur engagement professionnel, ce qui est aussi démontré dans plusieurs études. Le chef est aussi la première raison qui explique le départ d’un employé, souligne Manon Poirier, suivi du manque de conciliation travail-famille et des conditions de travail.

Le problème : les gestionnaires ne sont généralement pas nommés pour leur compétence en gestion, mais pour leurs réalisations comme employés. Donc, une fois promus gestionnaires, « ils ne sont pas nécessairement habilités à faire ce travail-là. Alors, ils copient ce qu’ils ont vu et ne suivent pas forcement de bons exemples. Ils font ce qu’ils peuvent et apprennent sur le tas. Mais ça a des conséquences importantes sur les employés », soutient Solime Gaboriault, qui fait affaire avec de grandes organisations.

La clé du succès d’un gestionnaire ? « Comprendre qui on a dans notre équipe et adapter notre style de gestion. Ce ne sont pas les employés qui doivent s’adapter au gestionnaire, c’est vraiment le gestionnaire qui doit s’adapter à chaque employé. En étant plus directif avec certains et en donnant beaucoup d’autonomie à d’autres. Il y a des gens qui ont besoin de beaucoup de reconnaissance chaque semaine, d’autres non », souligne Manon Poirier.

Si on est en brown-out, devrait-on démissionner ? Tout dépend de la personnalité de chacun. Certains vont vouloir rester pour le salaire et les avantages sociaux, d’autres vont vouloir s’épanouir ailleurs. Pour ceux qui décident de partir, « actuellement, les possibilités sur le marché du travail sont très grandes puisque c’est le plein emploi au Québec », rappelle Manon Poirier. Elle suggère aussi de parler de son état avec un collègue en qui on a confiance et même avec son patron.

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