Que reste-t-il d’Expo 67 ?
Jean Drapeau, pendant près de 29 années à la mairie de Montréal, a été l’instigateur de nombreux projets qui ont fait rayonner la ville à travers le monde. Il aura marqué l’histoire de la métropole par ses bons coups, mais aussi par quelques faux pas.
Le souvenir de Roger La Roche, historien qui répertorie de la documentation d’Expo 67 sur son site internet depuis 2010, va à l’encontre de l’idée populaire qui se dégage de cette année anniversaire. « À la sortie du maire [Jean Drapeau], la ville était dans un état pitoyable. Pendant 25 ans, aucun investissement n’a été fait dans les infrastructures », souligne celui qui a été professeur en gestion environnementale au Collège de Rosemont et chargé de cours à la faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke.
Enregistrant de lourds déficits à la veille des Jeux olympiques de 1976, le maire aurait puisé dans les subventions destinées à l’entretien des pavillons d’Expo 67 pour les réinjecter dans les préparatifs des Jeux.
« Drapeau est à la fois celui qui a mis sur pied Expo 67 et celui qui l’a détruite. »
— Roger La Roche, historien
Parmi les 90 pavillons et les centaines d’œuvres d’Expo 67, l’une des pièces qui ont le plus marqué l’imaginaire de l’époque est L’homme d’Alexander Calder. Avant d’avoir son emplacement actuel dans l’île Sainte-Hélène, le stabile a été négligé pendant près de 25 ans. C’est ce que le sculpteur Pierre Leblanc a découvert dans les années 80, alors qu’il assistait à une fête dans l’île.
« Il y avait la plus imposante sculpture de l’époque, sous mes yeux. Et autour, plein d’ordures, de choses dont la Ville ne se servait pas », s’insurge encore l’artiste.
Lors d’une visite à Montréal dans les années 90, la famille Calder aurait constaté l’état de décrépitude de la sculpture. Choquée, elle aurait imposé un ultimatum à la Ville : soit elle restaurait la sculpture et l’exposait à un endroit convenable, soit elle assumait les coûts de transport pour ramener le Calder en France.
C’est du moins la version diffusée par Pierre Leblanc, Julie Bélanger – passionnée d’Expo 67 qui a créé un groupe Facebook sur l’héritage de l’événement – et Roger La Roche ; c’est aussi celle qui est montrée dans le documentaire Scrapper l’art de Suzanne Guy.
Marie-Claude Langevin, agente de développement culturel au Bureau d’art public de la Ville de Montréal – qui a fait d’Expo 67 le sujet de sa maîtrise en 2007 –, affirme plutôt que la Ville a renouvelé ses politiques d’entretien des œuvres en instaurant un nouveau programme de conservation.
En réponse à La Presse, Linda Boutin, chargée de communication à la Ville de Montréal, a indiqué, dans un courriel, que « le Bureau d’art public a comme bonne pratique, lorsqu’il exécute des travaux de restauration sur sa collection, de prendre contact avec l’artiste ou les ayants droit pour les informer de la nature du projet ».
Nous avons tenté de joindre la famille Calder, qui ne nous a pas rappelée.
Le sort des œuvres d’Expo 67 ne laisse pas indifférents les membres du groupe Facebook « L’héritage d’Expo 67 – Sauvons le peu qu’il nous reste ! ». Géré par Julie Bélanger, passionnée d’Expo 67 et instigatrice de visites guidées sur ce thème, le collectif a fait quelques bons coups.
À l’automne 2011, alors que Julie Bélanger entame sa visite guidée du parc Jean-Drapeau, elle s’aperçoit que le paysage a changé. Les lampadaires originaux ont été retirés du secteur des Floralies. Elle les retrouve à la cour de voirie du parc Jean-Drapeau.
En se promenant dans les environs de la station Jean-Drapeau, des membres du groupe Facebook ont aussi retrouvé des vestiges de l’époque. À la suite de la publication d’une photo d’une pièce de métal trouvée couchée sur le côté, plusieurs ont reconnu la sculpture Iris de Raoul Hunter. Fabriquée spécialement pour Expo 67, elle avait été retirée du bassin d’eau où elle se trouvait en 1994 pour être entreposée durant les travaux qui devaient avoir lieu dans le secteur de La Ronde.
Les internautes se sont empressés de prendre contact avec l’artiste et des médias. La sculpture Iris a été installée le printemps suivant dans les jardins des Floralies. Gondolée en raison de son entreposage temporaire à l’extérieur, l’œuvre a été en partie restaurée. Elle n’est toutefois plus placée dans un bassin d’eau.
« Parfois, il est déjà trop tard quand on arrive. Avec les conditions météorologiques du Québec, il faut se rendre à l’évidence qu’il est impossible de sauver une œuvre en bois qui reste à l’extérieur. »
— Julie Bélanger, qui offre des visites sur Expo 67
Le groupe Facebook a migré depuis 2015 vers un autre groupe au nom un peu moins revendicateur : « Expo 67 ».
Julie Bélanger tient à nuancer le sombre bilan que l’on pourrait faire de la préservation du legs de l’Exposition universelle. « Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’Expo 67 était faite pour être temporaire », rappelle-t-elle. En effet, tous les pavillons devaient être facilement démontables.
Dans cette optique, « il reste beaucoup plus de pavillons que l’on pense. Sur 90, une douzaine est encore sur pied », indique-t-elle.
La Ville a par ailleurs fait don de sculptures à des collectionneurs privés et à des musées. Plusieurs ont été répertoriées dans tout le territoire canadien.
Les œuvres et les pavillons ne sont pas les seuls éléments à faire partie du patrimoine : les ponts, les bancs et les lampadaires entrent aussi dans l’équation. « Sur les 3980 lampadaires originaux, il n’en reste que deux. L’un est au Centre d’histoire de Montréal, et l’autre au pavillon Lassonde [du Musée national des beaux-arts], à Québec », déplore Roger La Roche.
« Quelques bancs d’origine ont toujours leur place dans l’île, mais la plupart d’entre eux ont été retirés », ajoute l’historien.
Des politiques ont été mises en place depuis pour contrer ce fléau. En 1989, alors que la Ville de Montréal s’apprêtait à fêter son 350e anniversaire, elle s’est dotée d’un plan d’action en art public.
Pessimiste, l’historien Roger La Roche juge néanmoins que la Ville n’a pas appris de ses erreurs et suggère que des employés municipaux aient au moins une formation d’une journée en histoire de l’art. « C’est arrivé trop souvent qu’une œuvre ait été détruite par manque de connaissance des arts », dénonce-t-il.
Linda Boutin, employée aux communications de la Ville de Montréal, précise par courriel que la Ville a une équipe d’entretien spécialement formée en matière d’art public, ainsi qu’une équipe multidisciplinaire qui comprend un ingénieur civil spécialisé en conservation.
La Société du parc Jean-Drapeau a annoncé en 2016 l’élaboration du Plan d’aménagement et de mise en valeur [PAMV] du secteur sud de l’île Sainte-Hélène, qui touchera notamment des œuvres d’art publiques emblématiques d’Expo 67. Montréal prévoit aussi installer de nouveaux lampadaires inspirés de ceux de l’Exposition universelle.
« Le projet intégrera également le Phare du cosmos d’Yves Trudeau, le Signe solaire de Jean Lefebure, ainsi que La porte de l’amitié de Sebastián. Ces œuvres seront restaurées afin de les mettre en valeur », a affirmé Linda Boutin à La Presse. La fin des travaux impliquant aussi Les trois disques (nom d’origine de la sculpture L’homme) d’Alexander Calder et la Biosphère est prévue pour 2019.