Guérir au musée
Un matin de novembre, au Centre de services de justice réparatrice (CSJR), dans le quartier Villeray, se retrouvent autour d’une table ronde la directrice Estelle Drouvin, l’art-thérapeute Stephen Ligari, Julianne, une participante aux ateliers d’art-thérapie du MBAM, et la journaliste de La Presse.
« Être validée, être entendue, cela compte beaucoup pour ma guérison. Quand je participe aux ateliers, je me sens accueillie, pas banalisée. C’est merveilleux, le processus que l’on vit en art-thérapie : on partage, on apprend à se connaître, c’est surprenant, ce qui sort de là », témoigne Julianne. Sans entrer dans les détails de son traumatisme, elle communique la douleur causée par des blessures qui la marquent, mais ne la dominent plus complètement.
Quelques jours plus tard, lors d’une visite guidée de la vaste section du MBAM consacrée aux 12 projets d’art-thérapie du musée, Stephen Ligari nous entraîne dans la salle qui accueille Julianne et les autres « artistes en résidence » de ce projet.
Grande table, tiroirs remplis de matériaux, espace pour créer au sol, corde à linge pour déployer les œuvres… Tout est en place pour convier la créativité enfouie sous les blessures.
« C’est formidable, je peux faire un peu de tout : il y a de la peinture, des crayons, du papier, je peux aussi faire de la couture », précise Julianne qui, chaque mois, ajoute son nom à la liste des personnes inscrites aux ateliers du Centre de services de justice réparatrice.
« À un moment donné, j’ai voulu faire quelque chose avec mes doigts : j’ai trouvé de la gouache, des gants. Je peinturais avec mes doigts, je voyais que ça faisait remonter des choses. »
— Julianne, artiste en résidence au Centre de services de justice réparatrice
« À la toute fin, j’ai regardé mon dessin et j’ai pensé à une blessure que j’ai eue aux côtes : le dessin parlait de prendre soin de moi, avec douceur. Ç’a donné une œuvre qui s’appelle Quelques couches de ma vie », dit-elle.
Au CSJR, un contexte bienveillant est mis en place pour aider les gens à sortir de la violence et à s’exprimer sur les agressions qu’ils ont vécues.
« Cela peut être tous les styles de violence, physique ou psychologique, de la violence conjugale, des abus de toutes sortes. Les gens savent que dans ce cercle, ils seront accueillis dans ce qu’ils ont à partager de difficile, douloureux et traumatique », indique Estelle Drouvin.
En ces lendemains de #MoiAussi, Estelle Drouvin insiste sur l’importance pour les victimes d’être entendues, reconnues par d’autres êtres humains, au-delà des réseaux sociaux.
En 16 ans d’existence, le Centre de services de justice réparatrice a toujours consacré une place importante à l’art, à travers une démarche d’intervention fondée sur la réconciliation détenus-victimes, qui s’inspire des traditions autochtones.
« En travaillant avec des gens qui ont vécu des abus dans l’enfance, on s’est rendu compte que pour plusieurs personnes, il est plus facile de s’exprimer à travers le dessin. On voyait qu’au-delà de nos rencontres, plusieurs anciens participants se mettaient à tricoter, dessiner, faire de la peinture ou de la photo. »
— Estelle Drouvin, du Centre de services de justice réparatrice
La directrice du CSJR évoque également la nécessité de défaire quelques mythes et fausses perceptions sur la justice réparatrice.
« L’un des mythes est d’associer la justice réparatrice avec le pardon. Ce qu’on fait, c’est d’offrir un espace sécuritaire pour rétablir la confiance brisée par le crime ou la violence. Ce dont on rend compte, au fur et à mesure du chemin, c’est que le pardon est un effet, même s’il n’est pas un but en soi. »
Art-thérapeute employé à temps plein au MBAM, Stephen Ligari est très investi dans sa mission de lier son amour de l’art à son engagement envers les humains qu’il accompagne. Quand le MBAM a ouvert son atelier d’art-thérapie, Stephen a indiqué qu’il rêvait d’ateliers réguliers qui seraient ouverts sur le monde communautaire. Son souhait a été exaucé : depuis juillet dernier, une entente a été signée pour recevoir chaque mois des groupes au musée.
« Mon travail, comme art-thérapeute, c’est de maintenir le cercle, d’être conscient que chaque espace est chargé, sacré. Ce travail exige une présence, une ouverture, et le moins de préjugés possible », explique le thérapeute, qui souligne qu’il y a une sagesse, une intuition, dans le choix des matériaux des participants aux ateliers.
« Pourquoi l’argile ? Pourquoi le papier et non la toile ? Chaque personne fait un choix de ce dont elle a besoin, ce jour-là », dit-il.
Dans une optique d’inclusion sociale, les ateliers mensuels du CSJR invitent des personnes de tous les âges, de toutes les cultures et de tous les milieux socio-économiques. « On a besoin de nos aînés, ce sont nos sages. Et pour moi, ce n’est pas compliqué : tous les êtres humains sont des créateurs, des artistes. »
De beaux secrets oubliés, des rêves enfouis après avoir été trop souvent trahis : les ateliers du MBAM permettent à Julianne d’apprendre à se connaître, à faire confiance aux gens, et d’espérer vivre quelque chose de beau. « Quand je suis arrivée dans les ateliers, j’étais toute petite, moi ! Depuis, je ne cesse de guérir… »