Espagne

La Jonquera, paradis du tourisme sexuel

Depuis une dizaine d’années, le village de La Jonquera, dans le nord de l’Espagne, a acquis la réputation d’être la capitale du sexe de l’Europe. La petite agglomération de 3000 habitants abrite cinq maisons closes, dont le Club Paradise, considéré comme le plus grand bordel du continent. Une renommée touristique qui ne plaît pas à tous les résidants, ont constaté nos collaborateurs.

La Jonquera, Espagne — À l’approche de La Jonquera, sur l’autoroute Nacional N-II, qui relie Barcelone à la France, une demi-douzaine de prostituées attendent patiemment que des véhicules les approchent. Certaines sont assises sur les garde-fous, téléphone cellulaire à la main et équipées de sacs de provisions en plastique, tandis que d’autres dansent, légèrement vêtues, pour attirer l’attention des automobilistes.

« Ici, les touristes, les consommateurs, la clientèle des commerces, les camionneurs coexistent en toute normalité avec ces femmes sur les autoroutes », explique Alfons Sanchez, inspecteur en chef du commissariat Mossos d’Esquadra (la police de Catalogne) de la ville de Figueres, au volant de sa voiture de patrouille.

« En été, le nombre de prostituées dans la rue augmente de 40 % », ajoute-t-il.

Longtemps connu pour son alcool, son tabac et son carburant bon marché, le village de La Jonquera, situé à 6 km de la France, attire jusqu’à 25 000 visiteurs par jour. Il est l’un des principaux points de passage des routiers et des camionneurs européens et nord-africains. Entre 8000 et 12 000 poids lourds y circulent chaque jour, sans compter les milliers de touristes et acheteurs, principalement français, qui viennent s’y ravitailler pour profiter des bas prix espagnols.

Le bourg à l’urbanisme chaotique, qui s’étend sur environ 3 km de long, compte aujourd’hui 12 hypermarchés, 24 stationnements pour poids lourds, 261 commerces, 14 stations-services et 10 hôtels.

« La prostitution s’est développée à cause du nombre de camionneurs qui séjournent ici. Mais l’ouverture du Paradise a transformé la ville en destination touristique. Stations d’essence, magasins de vêtements, épiceries… la ville est remplie de commerces pour les touristes. »

— Alfons Sanchez, inspecteur en chef des Mossos d’Esquadra

Prostitution bon marché

Avec ses 80 chambres et quelque 200 prostituées, le Club Paradise est la plus connue et la plus fréquentée des maisons closes de La Jonquera. Le bordel, comme les autres de la région, opère en toute légalité puisqu’en Espagne, si le proxénétisme est interdit, la prostitution, elle, est légale. Les maisons closes comme le Club Paradise, qui tirent une grande partie de leurs profits de la vente d’alcool, louent donc des chambres aux prostituées, qui sont libres de fixer leurs prix (en général, environ 55 euros pour une relation sexuelle complète de 30 minutes).

Dès 17 h, les clients commencent à affluer au Club Paradise. La majorité sont des Français. Ils viennent en groupe ou seuls. Certains ont tout juste l’âge de la majorité.

Les lois françaises entourant la prostitution sont en effet beaucoup plus strictes qu’en Espagne. En France, l’exercice de la prostitution et le racolage sont permis, mais l’achat de services sexuels est illégal et réprimé depuis avril 2016. Les clients sont donc passibles d’une amende de 1500 euros et de 3750 euros en cas de récidive. Le proxénétisme et les maisons closes, eux, sont interdits.

« On est en chemin pour Barcelone et on a décidé de s’arrêter ici parce que c’est très connu. J’étais en vacances en Égypte et j’ai croisé des Français là-bas et ils connaissaient super bien La Jonquera. Ils m’ont parlé du Paradise. C’est connu partout des Français. »

— Samir, 26 ans, originaire de Paris

La Jonquera et ses alentours compteraient cinq de ces établissements, selon le Mossos d’Esquadra de Figueres. La plupart des prostituées viennent quant à elles de pays d’Europe de l’Est comme la Roumanie et la Bulgarie, mais également de la France, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.

« À La Jonquera, la seule chose qui est sacrée, ce sont les femmes. Dans le club, personne n’est autorisé à lever la main sur elles », raconte sous le couvert de l’anonymat un gardien de sécurité du Club Paradise.

Mafia et proxénètes

Si la majorité des prostituées travaillent au sein des maisons closes du village, celles qui offrent leurs services dans la rue appartiennent souvent à des réseaux de prostitution.

« La majorité des proxénètes viennent de Roumanie et font travailler les filles dans la rue. Ce sont des organisations criminelles qui vivent de la prostitution et parfois de la drogue », explique Alfons Sanchez.

Assise sur une pierre, à un rond-point de La Jonquera, Dorina, 23 ans, attend ses clients en regardant les camions défiler devant elle. Cette jeune Roumaine vit ici depuis trois ans et affirme se prostituer de son plein gré, pour subvenir aux besoins de sa fille restée en Roumanie.

« Je ne voulais pas me battre pour des clients avec les autres filles dans un club, donc je travaille ici, seule, mais plusieurs des filles qui travaillent dans la rue sont contrôlées par la mafia », explique la grande brune.

Drogue et insécurité

Dans un stationnement situé à une centaine de mètres du Paradise, Jawad Oubahmane discute avec un collègue. Ce camionneur marocain vient à La Jonquera depuis 28 ans et soutient que la prostitution est responsable de la détérioration de la situation sécuritaire du village.

« Les proxénètes ne sont jamais loin. Il faut faire très attention parce que la nuit, on se fait voler notre carburant. On se fait même voler dans la cabine de notre camion pendant qu’on dort. La nuit, c’est le Bronx ici. »

— Jawad Oubahmane, camionneur

Selon les autorités locales et plusieurs habitants, la prostitution a également encouragé le trafic de drogue à La Jonquera. L’année dernière, les Mossos d’Esquadra de Figueres ont mené 28 enquêtes concernant le trafic de stupéfiants à La Jonquera.

« Tous les problèmes de drogue sont arrivés quand le Paradise a ouvert. Les Français viennent pour acheter de la cocaïne et de l’héroïne. S’il n’y avait pas de bordels, il n’y aurait pas de filles sur le bord de la route ni autant de drogue », soutient Margaret Townsend, exaspérée par la réputation de son village.

Selon l’Américano-Espagnole qui vit à La Jonquera depuis plus de 50 ans, bien que les résidants se soient initialement opposés à l’ouverture du Paradise, les autorités locales ne s’attaquent pas aux maisons closes.

« Il n’y a pas de volonté politique pour fermer les bordels parce que ça rapporte de l’argent et que ça fait vivre l’économie. C’est ça, la mentalité, ici », déplore-t-elle.

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