GOURMAND

L’année Chartier

Couronné meilleur sommelier du monde à 30 ans à peine, François Chartier révolutionne aujourd’hui le monde de l’œnologie et de la cuisine. L’année qui s’amorce s’annonce exceptionnelle pour celui qui cumule les projets de haut niveau, dont l’élaboration de sakés nouveau genre pour les Jeux de Tokyo.

François Chartier sera bien occupé dans les semaines à venir. Entre le congrès international Science & Cooking à Barcelone, où son association au projet AI x Robotics x Cooking de Sony sera annoncée officiellement mardi (voir section Arts et être), et sa présence au festival South by Southwest samedi prochain, François Chartier sera aussi la vedette, jeudi, d’un repas gastronomique chez Dos Palillos, à Barcelone, qui revisitera les grandes étapes de ses 30 années de « folies aromatiques ».

Épuisant ? Peut-être, mais surtout exaltant pour le créateur d’harmonies et sommelleries moléculaires qui carbure aux défis. Mû par une curiosité sans bornes, il ne semble avoir qu’une crainte : s’éloigner de la recherche.

« J’ai besoin de continuer à chercher, d’amener ma science [aromatique] encore plus loin. Je l’ai toujours dit : cette science-là est plus grande que moi. Tout ce que je souhaite, c’est d’inspirer d’autres gens à s’en servir. »

– François Chartier

Dépoussiérer le saké

Le Québécois, qui habite désormais Barcelone, n’a jamais eu peur de l’audace. À preuve, son projet saké, au Japon.

François Chartier a en effet été invité par la plus vieille brasserie de saké du Japon, la Tanaka Sake Brewery, à créer de nouveaux sakés, un « grand défi » qu’il a néanmoins accepté immédiatement lorsqu’on le lui a proposé.

Le premier, Tanaka by Chartier, sera lancé mondialement à l’automne, avec une étiquette signée par la designer japonaise Yumi Katsura. Un autre suivra au début de 2020, et un premier saké mousseux verra le jour en prévision des Jeux olympiques de Tokyo, en juin suivant.

En réinventant le saké, François Chartier bouscule un art ancestral où chaque geste relève presque du cérémonial.

« Mon idée, c’est de rapprocher le saké du vin. »

— François Chartier

Comment ? En créant, pour la toute première fois, des assemblages à partir de différentes cuvées de saké. Car si l’art de l’assemblage existe dans l’univers du vin, du champagne ou du scotch, ce n’est pas le cas avec le saké.

Comment convaincre les Japonais de modifier leur façon de faire ? « La réponse est toujours dans le verre », répond Chartier, qui s’est rendu pour la première fois en septembre à la brasserie, située dans l’île d’Hokkaido, dans le nord du Japon. Il a fait déguster, à l’aveugle, différentes cuvées de saké à l’équipe de la brasserie ; les trois dernières étaient des assemblages.

« Ils ont trouvé les trois premiers bons et les trois derniers extraordinaires, et voulaient savoir c’était quoi. Je leur ai dit : “Ce ne sont pas mes sakés, ce sont vos sakés !” La porte était ouverte pour les convaincre. »

Révélé en primeur à l’événement montréalais SOMM360, en novembre, le saké a ravi les gens du milieu de la sommellerie. « Les assemblages, ça change tout. Le saké ne goûte plus du tout l’alcool, il a une longueur en bouche, une harmonie, un léger grain minéral… Ça laisse parler les arômes », détaille-t-il, visiblement fier de son coup.

François Chartier est retourné sur le sol japonais en janvier afin d’assister à la production de son premier saké. Car, au-delà des assemblages, c’est sur toute la méthode de fabrication qu’il compte avoir un impact, dont le polissage du riz.

« Les Japonais recherchent la pureté dans tout et c’est pour cela qu’ils polissent le riz. Mais est-ce qu’on enlèverait la pelure du raisin avant de faire du vin ? Il faut arrêter ! Je ne suis pas le seul à le dire. Il y a une génération de jeunes brasseurs de sakés qui commencent à moins polir », détaille celui qui a convaincu les brasseurs de polir le riz pour conserver jusqu’à 70 % du grain plutôt que seulement 30 % ou 40 %.

Encore une fois, c’est sa science aromatique qui lui indique la route à suivre. « J’ai beaucoup étudié la composition du riz. Dans tout ce qu’ils enlèvent, il y a des acides aminés – dont de l’umami –, des minéraux, des vitamines, des précurseurs d’arômes ! », énumère-t-il.

Et maintenant, le parfum

Chartier ne le cache pas. La prochaine étape qu’il voit se dessiner, c’est la création de parfums. « Je rêve de faire des parfums depuis que je suis entré dans la science, confie-t-il. C’est d’autant plus complexe que le vin et la gastronomie, car c’est du travail avec des molécules pures ! »

Il a commencé à explorer cette avenue dans quelques projets récents et évoque avec enthousiasme le prochain défi : créer des parfums d’ambiance pour une chaîne d’hôtels au Japon.

Évidemment, il ne compte pas faire les choses comme les autres ! « Les hôtels vont souvent élaborer un parfum d’ambiance avec des parfumeurs, mais ce sera le même dans tout l’hôtel. Et après 10 minutes, le problème, c’est qu’on ne les sent plus ! Je crois que chaque lieu mérite une signature aromatique, et c’est ce que j’ai proposé. On va s’amuser ! »

Trois projets signés Chartier

Sentir pour voir Picasso

À l’été 2018, le Musée Picasso à Barcelone a présenté l’exposition Dans la cuisine de Picasso, qui réunit des œuvres de l’artiste cubique consacrées à la cuisine. Chartier a développé pour le musée l’installation Sentir pour voir Picasso qui invite les visiteurs, armés de leur « Aromastick » – un petit diffuseur individuel, populaire au Japon – à « sentir » 10 œuvres choisies.

Caja Aromatica

Le restaurant Beso de l’hôtel Sofia, à Barcelone, a donné carte blanche à Chartier pour réinventer la carte des vins. Le résultat ? Une « carte aromatique » de sept flacons contenant des mélanges de molécules réalisés en collaboration avec le parfumeur catalan Ramon Monegal. Les clients peuvent ainsi choisir au pif leur famille aromatique favorite, à partir de laquelle le sommelier du Sofia propose vins et autres boissons.

VisezEau

Même s’il vit en Espagne, Chartier garde des liens très étroits avec le Québec. En plus d’avoir annoncé en novembre la création de la Bourse Chartier pour les finissants en sommellerie de l’École hôtelière des Laurentides, il s’est associé au projet VisezEau en produisant de courtes capsules destinées aux jeunes sur le goût et les arômes pour « cuisiner » l’eau.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.