Copropriétés

cauchemar de copropriété

Vieillissement, entretien, défauts de construction : la vie de propriétaire de condo comporte son lot d’imprévus. D’où l’importance d’avoir un solide fonds de prévoyance en cas d’urgence. Or, en cas de vices cachés – faute d’une meilleure protection légale –, même les plus prudents peuvent se retrouver en très mauvaise posture, témoignent des copropriétaires.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATEUR YVON LAPRADE

Propriétaires sous pression

La mauvaise nouvelle leur est tombée dessus comme une tonne de briques. François Vaillancourt et sa conjointe Sylvie Bardelli ont appris récemment qu’ils devront débourser 35 000 $ pour corriger un grave problème d’infiltration d’eau et d’humidité dans leur immeuble détenu en copropriété.

« On est en présence d’un vice caché. On a peine à croire qu’on va devoir payer pour un problème dont nous ne sommes pas responsables ! », décoche François Vaillancourt, 66 ans.

Il n’est pas le seul copropriétaire à se retrouver dans une telle situation. Sur son « bout de rue », pas moins de sept immeubles de condos, occupés par 56 copropriétaires, présentent les mêmes vices de construction. Les condos construits entre 2006 et 2008 sont situés dans un quartier résidentiel de Boucherville.

Tout comme ses infortunés voisins, le couple de retraités a découvert des problèmes de moisissure et de pourrissement du bois causés par une installation inadéquate du revêtement en aluminium. Le rapport commandé à la firme d’experts en évaluation CIEBQ (Centre d’inspection et d’expertise en bâtiment du Québec) en atteste : l’entrepreneur a négligé d’installer des lattes de bois de charpente (« forence ») avant de fixer le revêtement en aluminium sur les murs extérieurs des immeubles.

« C’était pourtant dans les plans, mais quelqu’un n’a pas fait son travail correctement, déplore M. Vaillancourt. Faute d’une bonne ventilation, on a des problèmes d’humidité. La laine isolante est mouillée, il y a de la moisissure, le bois commence à pourrir… »

Cette « négligence » coûtera entre 1,5 et 1,7 million aux 56 copropriétaires, selon les estimations des entrepreneurs qui ont répondu à l’appel d’offres lancé par les syndicats de copropriétaires.

« C’est une très mauvaise nouvelle, concède de son côté Yvon Savaria, à la fois président de son syndicat de copropriétaires et président de l’ensemble des syndicats de copropriétaires. Nous n’avons pas le choix d’effectuer ces travaux. Nous allons devoir tout arracher et repartir sur de nouvelles bases, dans le respect des normes du bâtiment. »

« On a l’impression d’être pris en otages. On réalise qu’on n’a pas de recours, à titre de copropriétaires, pour obtenir justice face à l’entrepreneur qui a mal fait son travail. Il serait temps que le gouvernement fasse adopter une loi pour nous protéger, avec la mise en place, notamment, d’un fonds d’indemnisation en cas de vices cachés. »

— Yvon Savaria

Une situation pénible

François Vaillancourt trouve la situation d’autant plus frustrante que les syndicats de copropriétaires, dépourvus de moyens juridiques pour obtenir réparation, ont toujours agi « de façon responsable » dans la gestion des immeubles.

« On a un fonds de prévoyance, on a engagé une firme spécialisée pour tenir à jour nos carnets d’entretien. On a fait ce qu’il fallait faire. On se retrouve, 12 ans après avoir acheté notre condo, avec un problème qu’on n’avait pas vu venir », s’emporte-t-il.

C’est sans compter le stress que cela occasionne chez les copropriétaires, pour la plupart des retraités, dont certains ont plus de 85 ans. « Je travaille fort pour rester positive », convient Sylvie Bardelli. Mais elle ajoute : « J’ai perdu de mon sommeil, de ma joie de vivre », se désole-t-elle.

Une mission imposée

Le condo d’Yvon Savaria n’est pas à vendre, mais le copropriétaire ne cache pas que les problèmes d’infiltration d’eau, à Boucherville, l’obligent à se questionner sur la valeur de son investissement.

« Il y a des jours où j’ai envie de remettre les clés et d’opter pour la location », soupire-t-il.

Tout comme le couple Vaillancourt-Bardelli, il déplore vivement d’avoir à débourser 35 000 $ « pour régler le problème causé par quelqu’un d’autre ».

« Je ne vous cacherai pas que ça gruge mon fonds de retraite », se désole l’ancien directeur du marketing, notamment chez Sico.

« Mais je vais payer, comme tous mes voisins, parce que j’aime mon condo et que je me plais dans mon quartier », relativise-t-il.

Un job à temps plein

Depuis l’apparition des problèmes, il y a un an, Yvon Savaria est occupé « quasiment à temps plein » à tenter de trouver des solutions, à réunir les copropriétaires, à faire des démarches auprès de professionnels.

« Ce qu’on vit là, dit-il, ce n’est pas banal. On a engagé des architectes, des ingénieurs, demandé des avis juridiques, lancé des appels d’offres à des entrepreneurs pour ce type de travaux. »

Il ajoute, en boutade : « C’est beaucoup plus compliqué que de négocier les contrats pour déneiger nos zones communes et tondre le gazon sur nos terrains ! »

Au moment de l’entrevue, il était en train d’éplucher les soumissions des entrepreneurs en vue des travaux, qui devraient commencer en avril 2019.

« C’est beaucoup de travail, je n’ai pas la formation pour faire ça, mais j’y arrive, en travaillant en équipe, avec les six autres présidents des syndicats de condos. »

— Yvon Savaria

Ça fait 12 ans qu’il s’implique dans son syndicat de copropriétaires, et au sein des autres comités. « J’ai parfois la langue à terre, admet-il. Il n’y a pas de relève ! Ce n’est pas tout le monde qui montre de l’intérêt, et qui a les compétences, pour faire ce travail… bénévolement. »

Pour se tenir à jour, il participe à l’occasion à des séminaires donnés par le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ). Il s’est même rendu à l’hôtel de ville de Boucherville pour rencontrer le directeur général et soumettre son projet de remise à niveau des immeubles.

Deux vices cachés

Fait à souligner, c’est la deuxième fois qu’il vit un problème de vice caché. « Avant d’acheter mon condo, raconte-t-il, cynique, j’avais une maison unifamiliale à Boucherville. Au moment de la revente, l’acheteur a fait faire une inspection, qui a révélé que ma maison avait été mal construite par l’entrepreneur. Ça m’a coûté 30 000 $ pour régler le problème, pour pouvoir la vendre en bon état. »

Pas étonnant qu’il ait lancé à sa conjointe, en prenant connaissance du rapport d’expert du CIEBQ : « C’est pas vrai ? Pas encore une fois ! »

Il ne désespère pas, par ailleurs, d’en arriver à une entente à l’amiable avec l’entreprise qui a construit les immeubles de condos.

« On laisse une porte ouverte », dit-il, sur un ton résigné.

Jusqu’à présent, toutefois, ses approches sont restées sans réponse.

Les condos ont été construits par Habitations Classique. Le président de Groupe Classique, Nicolas Metsos, a d’abord déclaré à La Presse que cette entreprise « n’existe pas [mais que] ça a déjà existé ».

À la question de savoir si les copropriétaires ont soumis le problème de vice caché, il a répondu : « Ils peuvent en avoir parlé à quelqu’un ici, de ce dossier-là, mais moi, je ne suis pas au courant. »

Une version que contredit Yvon Savaria. « On leur a fait parvenir des rapports d’experts, ils sont venus sur place prendre des photos… »

À suivre.

Une piste de solution :  assurer l’immeuble

Pour éviter la répétition de cas problèmes comme celui des copropriétaires de Boucherville, il faudra « obliger les entrepreneurs » à assurer l’immeuble construit « pour une période d’au moins 10 ans », affirme Me Yves Joli-Cœur, secrétaire général du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ).

« La solution est simple et elle existe en France, précise-t-il. Là-bas, l’entrepreneur contracte une assurance sur l’immeuble qu’il a construit, et peu importe ce qui arrive, c’est l’assureur qui va prendre en charge une grande partie des risques qui affectent le bâtiment, et ça inclut les vices cachés. »

Il observe que des entrepreneurs en construction résidentielle deviennent parfois insolvables, en raison de difficultés financières, ce qui laisse en plan les copropriétaires qui perdent leurs recours. « Ça n’arrive pas avec une assurance sur l’immeuble », précise l’avocat montréalais, qui est allé se documenter sur le sujet en France, tout récemment.

Me Joli-Cœur voit beaucoup de points positifs dans cette approche qui protège plus adéquatement les consommateurs, acheteurs de propriétés.

« Les assureurs qui se portent garants de l’immeuble sur une période de 10 ans ont tout intérêt à ce que l’immeuble soit bien construit, soulève-t-il. Ils s’assurent du contrôle de la qualité durant les travaux. En outre, la loi en France prévoit que le contrôle de la qualité soit l’affaire de professionnels indépendants. »

« Si on faisait la même chose au Québec, on ne se retrouverait pas avec des histoires de copropriétaires abandonnés à leur sort. On ne se retrouverait pas avec des immeubles où on a omis d’installer de la forence. »

— Me Yves Joli-Cœur

De 5… à 10 ans

Ce n’est pas la première fois que le secrétaire général du RGCQ monte au créneau pour réclamer une loi québécoise pour mieux protéger les acheteurs de propriétés.

« Au Québec, il existe des plans de garantie de maisons neuves qui couvrent les propriétés, mais sur une durée de cinq ans seulement. Après, c’est fini. Parfois, les entreprises qui ont construit ne sont plus solvables et les acheteurs aux prises avec des problèmes majeurs ne peuvent plus rien contre elles. »

« Ça fait partie de nos demandes au gouvernement, ajoute-t-il. Acheter une propriété, ce n’est pas comme acheter un lave-vaisselle ! On en voit trop souvent de ces histoires épouvantables où les acheteurs se retrouvent devant rien… »

Il estime, enfin, qu’il serait « grandement temps » que le gouvernement québécois compte « un vrai ministre de l’Habitation ». Message aux nouveaux élus de la Coalition avenir Québec…

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