politique municipale

Départ d’un maire incorruptible

À la veille de chacune des six campagnes électorales qu’il a traversées, le maire de Bois-des-Filion, Paul Larocque, dit s’être fait offrir des pots-de-vin. Mais pas cette année. Après 24 ans de politique municipale, M. Larocque tire sa révérence en lançant un appel à la vigilance.

« La maladie n’est pas guérie. On n’a pas trouvé le vaccin », lance en riant Paul Larocque. Mais derrière ce ton léger, le maire raconte avec sérieux les offres que lui ont faites des firmes de génie ou des cabinets d’avocats désireux d’obtenir des contrats de la petite ville au nord de Montréal.

Les propositions ont pris l’allure d’argent sonnant ou de services pour permettre au politicien de gagner la bataille électorale : imprimerie, représentants légaux, communications, sondages, par exemple. « Dans une petite ville comme chez nous, vous seriez étonnée de voir les montants qui auraient pu nous être donnés ! Il y a 24 ans, un représentant d’une firme d’ingénieurs m’a offert 20 000 $. C’est beaucoup d’argent », souligne M. Larocque.

« Après la quatrième ou cinquième élection, ils viennent te voir encore. Mais ils répondent à leurs propres questions en premier : “Je le sais que tu ne voudras pas, mais tu sais qu’on est là pour t’aider.” »

— Paul Larocque

Il y a eu aussi des menaces, parfois subtiles, mais en général plutôt directes. « On m’a menacé de présenter des équipes contre moi si je ne leur donnais pas de contrats. Ça, c’est des cabinets d’avocats », raconte M. Larocque, qui soutient avoir toujours fermé la porte aux magouilles sous quelque forme que ce soit. « Je ne veux pas prendre le crédit tout seul. C’est aussi chacun de mes conseillers qui n’a pas voulu embarquer là-dedans. »

Pour résister au vent, le maire de Bois-des-Filion affirme avoir brandi ses valeurs qui sont la meilleure armure éthique qui soit, dit-il, ainsi que la rigueur découlant de sa profession de notaire. Lors des audiences de la commission Charbonneau qui concernaient la corruption dans le monde municipal, deux témoins ont présenté le maire Larocque comme un incorruptible.

Extraits de témoignages à la commission Charbonneau

« Ça, c’est une ville où je n’ai jamais été sollicité. On a commencé à avoir des mandats dans les années 95, et puis on n’a jamais été sollicité pour les élections durant toutes les campagnes électorales. »

— Michel Lalonde, Génius

« Ça fait très longtemps qu’on est à Bois-des-Filion, puis on n’a jamais rien donné, puis il ne nous a jamais rien demandé surtout. […] Il allait en élection par ses propres moyens, puis il ne nous devait rien, puis nous autres, on ne lui devait rien non plus. »

— Roger Desbois, Tecsult

Paul Larocque et les membres de son équipe n’ont même jamais sollicité de contributions dans la population pour financer leur campagne. « Chaque année, mes conseillers et moi-même, on mettait notre argent personnel dans la caisse, et personne d’autre. Pas de conjoint, pas de citoyen. Cinq cents dollars pour chaque conseiller et 1000 $ pour moi. Avec ça, on faisait notre campagne », raconte-t-il.

Malgré de petits moyens, M. Larocque a toujours obtenu des majorités écrasantes. Ainsi, il a reçu l’appui de 66 % des électeurs en 1993 et 87 % en 2001. Lors des élections de 1997, 2005, 2009 et 2013, il a été élu par acclamation.

EN ATTENDANT L’ A19

À son arrivée à la mairie, la municipalité était plongée dans un cycle de déficits chroniques (autorisés de façon exceptionnelle par le gouvernement). « Aujourd’hui, je suis bien fier de dire qu’on a le maximum de fonds de roulement que la loi nous permet [soit 20 % du budget annuel]. On a 3,2 millions de dollars. On est une des neuf seules municipalités parmi les 1131 au Québec », souligne M. Larocque, qui quitte une ville en santé.

« Si j’avais un regret à formuler, c’est bien celui du parachèvement de l’autoroute 19 », dit celui qui, avant même d’être maire, présidait la chambre de commerce locale et s’était engagé dans la lutte pour obtenir le prolongement maintes fois promis de cette autoroute. « On a vécu les inconvénients de l’autoroute sans les avantages. On a le pire des deux mondes », insiste-t-il.

En effet, le centre-ville de Bois-des-Filion a été exproprié en 1973 (30 commerces et 80 résidences). Ce fut une véritable « tragédie humaine », selon M. Larocque, car il aura fallu des décennies avant que la municipalité réussisse à reprendre du poil de la bête.

Mais l’autoroute 19 ne se rend toujours pas à Bois-des-Filion. 

« J’ai connu 17 ministres des Transports et on a eu 7 annonces que la 19 allait se faire. […] Toujours une année avant les élections. »

— Paul Larocque

La plus récente annonce politique a été faite en mars dernier par le premier ministre Philippe Couillard. M. Larocque demeure toutefois sceptique. « On ne fêtera pas tout de suite. On va attendre. »

En 2010, le dossier a franchi la première étape du Plan québécois des infrastructures (PQI), soit l’étude (avant la planification et la réalisation). Mais juste avant les élections de 2012, il en a été retiré. Sous le gouvernement péquiste, le projet s’est rendu au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui a conclu à la justification du parachèvement de l’autoroute.

Le dossier sera dorénavant entre les mains d’une nouvelle équipe politique à Bois-des-Filion, qui fera son entrée à l’hôtel de ville le 5 novembre prochain. Paul Larocque gardera un œil intéressé, mais il tourne la page sur le service public pour se consacrer au développement de son cabinet notarial et, surtout, être présent pour ses parents dont la santé est fragile.

Politique

Paul Larocque en 10 dates

1989

Devient notaire en pratique privée

1993

Élu à 28 ans maire de Bois-des-Filion. Il le sera à cinq autres reprises.

1995

Représentant à la nouvelle Agence métropolitaine de transport (AMT)

2001

Nommé au conseil d’administration d’Hydro-Québec jusqu’en 2007

2003

Président d’Infrastructures Transport (société paragouvernementale)

2005

Devient préfet de la MRC de Thérèse-de-Blainville

2005

Président de la Coalition pour le parachèvement de l’autoroute 19

2005

Délégué à la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM)

2010

Élu président de la Commission de transport de la CMM

2017

Départ de la politique

— Kathleen Lévesque, La Presse

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