REM

CPDQ Infra et la concurrence… à sens unique

Les recherches sur la mobilité et le transport montrent que les cocktails de modes − marche, vélo, auto privée, auto-partage, taxi, autobus, train léger et métro – et la variété des trajets constituent la meilleure solution aux besoins des habitants des grandes villes et des métropoles, et la meilleure stratégie pour induire des transferts modaux vers le transport collectif.

Pendant longtemps, les déplacements de la plupart des usagers du transport collectif traduisaient la forte prépondérance du centre-ville. D’où la configuration radiale des infrastructures construites entre le milieu du XIXsiècle et les années 1960, qu’il s’agisse du train de banlieue, du tramway ou du métro. L’émergence de sous-centres et les nouveaux patrons de distribution de l’emploi ont rendu cette configuration moins pertinente.

Si les réseaux hérités de cette époque restent utiles, ils sont loin de répondre de manière entièrement satisfaisante à l’évolution des besoins. C’est pourquoi il est nécessaire de proposer des solutions de rechange.

C’est l’argument qu’invoquent plusieurs défenseurs du REM de l’Est pour justifier la concurrence que favorisent son tracé en Y et son prolongement jusqu’au centre-ville. Cet argument est-il recevable ? Pour répondre à la question, il faut d’abord s’arrêter au terme concurrence. Le Robert en donne la définition suivante : rivalité entre plusieurs personnes, plusieurs forces poursuivant un même but et rapport entre producteurs, commerçants qui se disputent une clientèle. C’est précisément ce dont il s’agit ici.

CPDQ Infra entend, aux dires même de ses responsables mais en des termes plus politiquement corrects, cannibaliser les autres composantes du système à son profit, au détriment de leur achalandage et des finances des organismes responsables, en l’occurrence la Société de transport de Montréal (lignes verte et bleue du métro, SRB Pie-IX) et d’EXO (train de l’Est).

Or, cette concurrence est d’emblée déloyale.

La loi qui a permis la création de CPDQ Infra précise en effet que l’organisme peut exiger des gestionnaires des autres composantes du système de transport collectif un rabattement de leurs usagers sur ses stations. En revanche, la loi permet à CPDQ Infra d’obtenir des compensations pour toute forme de concurrence qui lui serait livrée. C’est ainsi, par exemple, qu’aucun transporteur de la Rive-Sud ne peut emprunter le pont Samuel-De Champlain pour se rendre au centre-ville, alors que le Réseau de transport de Longueuil et EXO doivent rabattre leurs circuits sur les stations du REM, peu importe que cette obligation ne soit pas optimale pour nombre d’usagers. Non seulement la concurrence trouve-t-elle ici sa pleine acceptation, mais elle est au surplus déloyale en raison des règles établies par la loi adoptée par le gouvernement Couillard.

En fait, les défenseurs du REM confondent, sciemment ou non, concurrence et complémentarité.

Contrairement à la concurrence, qui est une aberration en matière de transport collectif, la complémentarité vise à composer de manière optimale avec la grande diversité des besoins des usagers, en offrant des trajets alternatifs et une variété de modes adaptée à des besoins et des attentes qui peuvent être d’une grande complexité. Subordonnés à un modèle d’affaires, le tracé et le mode – un train léger aérien pour une grande partie du tracé – promus par CPDQ Infra sans analyse préalable sérieuse – l’organisme reconnaît ne pas planifier le transport collectif − contreviennent totalement à ce principe.

Certains n’hésitent pas, malgré tout, à justifier cette concurrence en faisant valoir que pour plusieurs usagers, celle-ci se traduira en une économie de temps appréciable. C’est oublier que les enquêtes origine-destination révèlent que seulement 13 % des déplacements des résidants de l’Est ont pour destination le centre-ville.

Pourquoi alors investir tant d’argent pour ajouter un corridor radial, si ce n’est pour étirer le parcours − extrêmement rentable pour CPDQ Infra – de ces usagers ?

Mais, défendre sur ce terrain la concurrence, c’est surtout occulter le fait que le REM dessert très mal certains des plus importants pôles d’activités de l’Est montréalais et laisse en plan plusieurs résidants, notamment ceux de Rivière-des-Prairies.

Aussi est-il permis de se demander si, quand des citoyens n’ont accès qu’à une offre extrêmement lacunaire de transport collectif, il est légitime de souhaiter améliorer le sort de ceux qui sont déjà passablement bien desservis. Surtout quand cette amélioration compromet financièrement la possibilité de planifier et de proposer une bonification d’une offre équitable pour tous. On aimerait bien que les défenseurs du REM s’expliquent là-dessus aussi.

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