Décryptage

Les ratés du maire de New York

NEW YORK — C’était le dernier week-end avant que la plus grande ville des États-Unis ne commence à prendre la COVID-19 au sérieux. La température était douce. Les parcs, les trottoirs et les terrasses étaient bondés de New-Yorkais pris d’une fébrilité un peu troublante. Et leur maire ne les décourageait pas de sortir de leur chez-soi.

« Si vous aimez votre bar de quartier, allez-y maintenant », disait même Bill de Blasio lors d’un point de presse, tout en priant ses concitoyens de respecter les règles de « distanciation sociale ».

Quelques heures plus tard, le maire de New York annonçait la fermeture des bars, des restaurants, des gyms et des salles de cinéma de sa ville. Ces mesures s’ajoutaient à la suspension des cours confirmée plus tôt dans la journée après des menaces de révolte de la part d’enseignants et de parents.

En ce 15 mars, la métropole américaine avait déjà recensé plus de 300 cas de contamination au coronavirus. Combien d’autres personnes ont été infectées pendant ce dimanche où Bill de Blasio invitait les New-Yorkais à soutenir leurs commerces locaux ?

Les médias ont consacré une avalanche de reportages aux déclarations fausses ou mensongères de Donald Trump concernant le coronavirus. Mais le maire de New York, dont la ville est devenue l’épicentre de l’épidémie aux États-Unis, commence lui-même à faire l’objet d’articles accablants sur le même sujet.

« Quand New York avait le plus besoin de lui, Bill de Blasio a connu sa pire semaine en tant que maire », a titré le magazine New York le 26 mars, alors que le site Politico évoquait deux jours plus tard la « crise du coronavirus de De Blasio ».

« Très peu de menace »

Tout au long de cette semaine cruciale, le maire de New York a minimisé la menace du coronavirus.

« Pour la grande majorité des New-Yorkais, la vie se déroule de façon normale en ce moment », a dit Bill de Blasio à l’émission de MSNBC Morning Joe, le 10 mars. « Nous encourageons cela. »

Deux jours plus tard, pour justifier son refus de fermer les écoles publiques de la ville, il a ajouté : « Si vous avez moins de 50 ans et que vous êtes en santé, ce qui est le cas de la plupart des New-Yorkais, il y a très peu de menace. »

Au cours de la même semaine, il a également affirmé à la radio qu’une personne asymptomatique ne pouvait transmettre le coronavirus et avisé une femme rentrant d’Italie qu’elle n’avait pas besoin de se placer en quarantaine.

Et il a refusé jusqu’à la dernière minute d’annuler le défilé de la Saint-Patrick.

Pourtant, la commissaire à la Santé de la Ville de New York, Oxiris Barbot, avait commencé la semaine en exhortant Bill de Blasio à adopter illico des mesures draconiennes pour endiguer l’épidémie de coronavirus. Le maire s’y est opposé pendant plusieurs jours, aggravant peut-être la crise sanitaire sans précédent à laquelle fait face aujourd’hui New York.

« Si j’avais été un de ses conseillers, je lui aurais absolument dit de ne pas dire et de ne pas faire ce qu’il a dit et fait », a déclaré à La Presse Brian Strom, épidémiologiste et recteur de la faculté des sciences biomédicales et de la santé de l’Université Rutgers, au New Jersey. « Est-ce que des mesures restrictives adoptées quelques jours plus tôt auraient fait une grande différence ? Il est impossible de le savoir. Ce qui est clair, si l’on se fie à la courbe épidémique normale, c’est que plus l’intervention est rapide, plus la courbe est plate. »

« Pas un problème local »

Mais le Dr Strom hésite à blâmer Bill de Blasio.

« Personne n’est surpris que New York soit frappé plus durement que les autres villes, parce que c’est une ville densément peuplée. Mais ce que vit New York, c’est ce que La Nouvelle-Orléans, Chicago et d’autres grandes villes vivront bientôt. Ce n’est pas un problème local, mais national. Et l’absence d’une vraie réponse nationale place les responsables locaux devant des choix difficiles. Est-ce que le maire de New York aurait dû fermer sa ville alors que le reste du pays était encore ouvert ? C’est la situation dans laquelle il se trouvait. »

En fait, pendant plusieurs jours, Bill de Blasio s’est défendu en affirmant que la fermeture des écoles, des restaurants et des institutions culturelles de la ville paralyserait l’économie de la ville et nuirait de façon disproportionnée aux New-Yorkais les plus défavorisés.

Aujourd’hui, il repousse les critiques à son endroit et attaque Donald Trump.

« Quand le président dit que l’État de New York n’a pas besoin de 30 000 respirateurs, avec tout le respect qui lui est dû, il ne regarde pas les faits de la croissance astronomique de cette crise », a-t-il dit vendredi à l’émission d’ABC Good Morning America. « Et un respirateur signifie qu’une personne vit ou meurt. »

Mais le successeur de Rudolph Giuliani et de Michael Bloomberg n’est pas encore parvenu à trouver le ton, les mots ou les politiques pour s’élever au-dessus de la mêlée et imposer son leadership, contrairement à son rival démocrate de New York et gouverneur de l’État, Andrew Cuomo. De nombreux New-Yorkais n’oublieront pas ce que ce politicien souvent taxé d’arrogance a fait au lendemain de l’annonce de la fermeture des gyms de la ville, qui devait entrer en vigueur à 20 h.

Tôt le matin, il s’est rendu à son gym de Park Slope, dans Brooklyn, envoyant aux New-Yorkais un autre message aussi contradictoire que déroutant.

Un expert évoque de 100 000 à 200 000 morts aux États-Unis

La COVID-19 pourrait faire jusqu’à 200 000 morts aux États-Unis, a avancé dimanche un expert des maladies infectieuses, conseiller de Donald Trump sur la pandémie, tout en appelant à la prudence sur les projections. « En fonction de ce que nous voyons aujourd’hui, je dirais entre 100 000 et 200 000 », a déclaré sur CNN le Dr Anthony Fauci à propos du nombre possible de morts. Devenu aux yeux de millions d’Américains une figure rassurante au fil de ses interventions quasi quotidiennes au sein de la « task force » de la Maison-Blanche sur le virus, cet expert a par ailleurs évoqué « des millions de cas » possibles. Mais il a aussi tenu à rappeler, avec prudence, que les modèles de projections se basaient toujours sur des hypothèses. « Ils donnent le pire et le meilleur des scénarios. Et généralement, la réalité se situe quelque part au milieu », a-t-il expliqué. « Je n’ai jamais vu, parmi les maladies sur lesquelles j’ai eu à travailler, un modèle dont le pire des cas se réalisait. Ils sont toujours surestimés », a ajouté le directeur de l’Institut national des maladies infectieuses.

— Agence France-Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.