Les défis de la séparation en pandémie

« Je vois défiler dans mon bureau des parents d’enfants de 6 mois, 1 an, 2 ans. [...] Je constate que les parents de jeunes enfants se séparent beaucoup plus rapidement qu’avant. »

— Nancy Wilson, avocate et médiatrice familiale à Mont-Tremblant

Augmentation des conflits et de la tension, cohabitation prolongée, insécurité financière, manque de soutien et d’espace pour ventiler… La pandémie pèse lourd dans les chaumières. Ses répercussions se font sentir chez les couples : ils seraient plus nombreux à se séparer depuis le printemps dernier et certains des enjeux auxquels ils font face sont nouveaux.

Même si aucune statistique n’est encore disponible sur le nombre de séparations et de divorces au Québec depuis le début de la crise de la COVID-19, « on remarque une hausse marquée pour les demandes d’informations », souligne Claudine Cusson, avocate, médiatrice familiale et vice-présidente de l’Association des médiateurs familiaux du Québec.

Réunies en panel par vidéoconférence, dix médiatrices des quatre coins du Québec ont discuté pendant une heure des défis et des préoccupations vécus par les couples qui se séparent en temps de pandémie.

Séparés, confinés et contraints de vivre ensemble

La décision est prise : le couple choisit de se séparer. La pandémie a exacerbé toutes ces petites choses balayées sous le tapis trop longtemps – rien ne va plus. Même l’application des mesures sanitaires est devenue source de mésententes, de conflits.

Mais alors que le Québec est mis sur pause et que tout tourne au ralenti, les conjoints séparés sont forcés de prolonger leur cohabitation. « Ce n’est pas inhabituel qu’un couple séparé continue officiellement à vivre dans la même maison, mais très souvent, les ex-conjoints commenceront la garde partagée, dit Catherine Bamber, avocate et médiatrice familiale à Longueuil. Le parent qui n’a pas la responsabilité des enfants ira alors chez des amis, chez la nouvelle personne fréquentée, etc. En temps de pandémie, ce n’est plus possible, ou moins possible… Ça amène de l’inconfort, de la tension. »

Sa collègue Sophie Boulard, aussi avocate et médiatrice familiale à Joliette, confirme : « Il y a une recrudescence du nombre de couples qui font vie commune après la séparation. La contrepartie, c’est qu’il y a plus d’agressivité et d’intensité dans les conflits », explique-t-elle.

Isabelle et Thomas, qui témoignent sous le couvert de l’anonymat afin d’éviter d’envenimer leur situation personnelle, l’ont vécu ; parents de deux enfants de 8 ans et 11 ans, ils se sont séparés en juin. Devant la rareté des logements et la flambée des prix, ils ont choisi le « moins pire » des scénarios, celui de continuer à vivre sous le même toit. « J’ai finalement trouvé quelque chose pas trop loin de la maison familiale en septembre, raconte Isabelle, Montréalaise de 44 ans. Mais avec le recul, je peux affirmer que ces trois mois ont été les pires de nos 17 ans de vie commune. Disons que les rapports étaient froids et l’ambiance, pénible, même si on a cherché à protéger les enfants. »

Nombreuses séparations chez les familles nombreuses

On dit souvent que la multiplication des enfants engendre la multiplication du bonheur. Plus de rires, plus de joie, plus de câlins… En période de crise, la situation peut toutefois changer rapidement : confinés, à cran, à bout de souffle, les parents de nombreux enfants se retrouvent avec une charge décuplée, sans aide extérieure ni pause possible.

Résultat ? Les séparations de couples à la tête d’une famille nombreuse seraient en hausse, selon certaines des médiatrices interrogées.

« Cela fait 22 ans que je fais de la médiation et 32 que je suis avocate, et depuis six mois, les couples qui ont quatre, cinq, six, sept enfants éclatent. À cause de la pandémie, ils n’en peuvent plus et ils se séparent. »

— Sophie Boulard, avocate et médiatrice familiale à Joliette

Elle montre du doigt les restrictions qui confinent les jeunes à l’intérieur, les poussent à interagir davantage… et enveniment les relations. « Il y a plus de chicanes », laisse-t-elle tomber.

L’arrêt des activités parascolaires et sportives pour les jeunes, tout comme la fin des rencontres « en vrai » avec des spécialistes pour épauler les enfants et leurs familles, peut aussi avoir joué un rôle dans l’embrasement des relations dans les familles nombreuses.

Parents de bébés au bord du gouffre

Les médiatrices de la table ronde sont unanimes : au cours des cinq dernières années, de plus en plus de parents de tout-petits, voire de bébés, viennent en consultation. La pandémie a intensifié cet aspect. « C’est une tendance lourde actuellement au Québec, remarque Nancy Wilson, avocate et médiatrice familiale à Mont-Tremblant. Je vois défiler dans mon bureau des parents d’enfants de 6 mois, 1 an, 2 ans… Avant, on voyait plus des parents d’enfants d’âge scolaire ou d’adolescents. Je constate que les parents de jeunes enfants se séparent beaucoup plus rapidement qu’avant. »

Son commentaire fait écho chez Me Véronique Cyr, avocate et médiatrice à Montréal. « Mes clients habituels sont dans la quarantaine avec des enfants d’âge scolaire, dit-elle. En ce moment, je compte beaucoup de jeunes, dans la vingtaine ou au début de la trentaine, qui ont des bébés. La situation est intense pour eux, avec un bébé à la maison et sans garderie par moments, et puis ils travaillent de la maison… Il y a une surcharge. Les rôles parentaux s’embrouillent. »

MBamber en rajoute. Elle affirme recevoir « fréquemment » en consultation des couples dont l’enfant n’est pas encore né. « Lors de la première rencontre, on discute du déroulement de l’accouchement : le père sera où à ce moment-là ? », illustre-t-elle.

Alexandra, adjointe administrative de 31 ans qui souhaite garder l’anonymat pour ne pas aggraver sa situation, a vécu une séparation difficile en début de pandémie : sa fille avait alors 4 mois. « Nous voulions un bébé depuis longtemps, confie-t-elle. Quand le premier confinement est arrivé, en mars, je me suis retrouvée sans aide et sans soutien, alors que mon conjoint était toujours sur la route, extrêmement occupé. J’étais fatiguée, seule, à bout de nerfs, j’ai senti que le sol s’ouvrait sous mes pieds… Je suis retournée vivre chez ma mère. »

Elle va bien mieux aujourd’hui. Et même si elle n’arrive pas à déterminer toutes les variables qui ont mené à ce revirement de situation, elle connaît au moins l’une des responsables : la pandémie.

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