Mauvaise conduite

De quel athlète, équipe ou entraîneur avez-vous secrètement souhaité l’échec durant une compétition que vous couvriez ?

Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Richard Labbé

Ben Scrivens est arrivé dans le vestiaire du Canadien avec un savant mélange d’arrogance et de suffisance dont lui seul a le secret. À peine installé à Brossard, ce gardien de troisième ordre, qui en était à sa quatrième équipe en quatre ans, blaguait, riait fort et parlait avec l’assurance du vétéran qui n’a plus rien à prouver. Une fois, en voyant les médias arriver dans le vestiaire, il avait imité le bruit d’une vache. C’est ainsi que malgré mon tact légendaire, je me suis mis à lui souhaiter quelques soirées de sept ou huit buts, à souhaiter qu’il se fasse passer un sapin qui deviendrait viral sur Twitter.

Eh bien, c’est arrivé un soir à Chicago, quand Scrivens a a levé le bras pour souligner à son défenseur un dégagement refusé... sauf que ce n’était pas un dégagement refusé, et les Blackhawks ont profité de la confusion pour récupérer la rondelle et aller marquer. Après le match, ce fut ma première question : « Ben, qu’est-ce qui s’est passé sur ce jeu ? » Je n’ai même pas écouté sa réponse tellement je jubilais de tout partout à l’intérieur.

Miguel Bujold

Vingt-quatre heures avant d’annoncer le congédiement de Jacques Chapdelaine, en septembre 2017, le propriétaire des Alouettes, Andrew Wetenhall, et son DG, Kavis Reed, s’étaient entretenus avec les médias au tournoi de golf annuel du club. Comme par hasard, Chapdelaine n’était pas encore arrivé sur les lieux. Les deux hommes nous avaient essentiellement dit que les performances de l’équipe n'étaient pas à la hauteur de son talent, ce qui n’était pas vraiment le cas : les Alouettes étaient aussi pourris sur papier que sur le terrain cette année-là. Chapdelaine était sur le point de se faire virer, c’était l’évidence. Reed a pris la relève, et quel désastre ce fut. J’ai couvert les Alouettes durant plus d’une décennie alors que Jim Popp était leur directeur général. Il ne m’a jamais menti une fois. Reed ? Disons que notre relation était un peu plus difficile... Comme elle l’était avec plusieurs autres journalistes, je vous le confirme. Sa fiche sur les lignes de côté a été de 0-7. Les Alouettes ont marqué 93 points et en ont accordé 276 pour un joli différentiel de - 183. C’est un écart de 26 points par match ! Il ne faut jamais souhaiter de malheur à quiconque, mais j’avais un petit sourire en coin au cours de ces deux mois catastrophiques.

Simon Drouin

José Théodore n’était pas le plus chaleureux avec moi à l’époque où je couvrais le Canadien. Grande vedette de l’équipe, le jeune gardien était plutôt tourné vers deux ou trois collègues forts en gueule qui avaient son oreille. Un jour, par l’entremise de l’un desdits collègues, il m’avait reproché de ne pas lui avoir décerné d’étoile lors d’un match contre les Rangers au Madison Square Garden. « Peut-être penses-tu qu’arrêter les tirs de Jaromir Jagr, c’est facile », avait-il sifflé, ajoutant que même sa mère l’avait félicité pour son étoile présumée. En toute honnêteté, il n’avait peut-être pas tort, mais à mon souvenir, mon affront ne l’avait pas empêché de remporter la prestigieuse Coupe Molson à la fin du mois. Je ne suis quand même pas allé jusqu’à souhaiter sa défaite (ou si peu). Le pauvre diable se démenait comme un bon devant un club moyen. Quinze ans plus tard, à ma grande surprise, Théodore est devenu l’un de mes commentateurs de hockey préféré. C’est bien pour dire.

Guillaume Lefrançois

Rangers-Devils en finale de l’Est, 2012. Le sixième match a lieu le vendredi et les Devils mènent la série 3-2. Si les Rangers gagnent, le septième match aura lieu le dimanche. Il appert par ailleurs que New York est une ville plutôt chouette à la fin de mai. Ma copine de l’époque et celle d’un confrère de Montréal prévoient donc nous y rejoindre le samedi. Si les Rangers gagnent, on se contentera d’un souper à quatre la veille du septième match. Mais s’ils perdent, une belle fin de semaine nous attend ! Le match commence, les Devils mènent 2-0 après 20 minutes. On commence à se dire que la fin de semaine sera agréable. Mais voilà que les Rangers créent l’égalité et que le match s’en va en prolongation. L’enjeu est grand, et on ne parle pas des joueurs qui se battent pour le rêve de jouer en finale. Puis, après seulement 63 secondes, Adam Henrique met fin au suspense et donne la victoire aux Devils. On bondit de nos sièges, pour se rendre compte que les réservistes des Rangers étaient assis à quelques bancs de nous. Si seulement ils avaient su pourquoi on jubilait…

Simon-Olivier Lorange

Juillet 2012. Je couvre le deuxième match des Alouettes de ma jeune carrière, et au quatrième quart, les Stampeders de Calgary sont confortablement en avance. Mais le vainqueur m’importe peu : je regarde fébrilement ma montre alors qu’approche l’heure de tombée, qu’on ne pouvait dépasser, même d’une seule minute, à l’époque de notre défunte version papier. Voilà que les locaux amorcent une remontée. À mesure que s’écoulent les dernières minutes du match – pendant quelque chose comme 28 heures au football canadien –, je choisis donc mon camp : go Stampeders ! Si les Alouettes gagnent, je devrai réécrire mon texte en entier et manquerai de temps pour me rendre au lointain vestiaire. J’ai donc étouffé un « NOOOOOON ! » quand les Oiseaux ont conclu une poussée de 20 points avec un touché dans les derniers instants. Disons que je n’ai pas gagné de prix, ce soir-là, pour mon compte rendu, remâché en catastrophe. Je ne sais pas si le lecteur en a souffert. Mais mes pauvres nerfs, oui. Mes excuses aux Alouettes, en passant.

Pascal Milano

Il est environ 23 h 50 et il ne reste que cinq minutes à la finale du championnat canadien 2013. L’Impact est mené 2-1 par les Whitecaps lors du match retour à Vancouver. À Montréal, mon texte est attendu vers minuit, tout juste après le coup de sifflet final. Il est quasiment prêt quand Hassoun Camara marque de la tête. On espérait le statu quo, mais il faut refaire une bonne partie du texte en cinq ou dix minutes. Ces retournements de situation font la beauté du sport, mais ils n’aident pas le travail du journaliste (surtout en début de carrière) qui compose avec une heure de tombée serrée. Pour faciliter ma soirée, combien de fois ai-je espéré que l’Impact, s’il était mené au score, ne revienne pas en fin de match ? Au passage, on salue Cameron Porter qui, un soir de Ligue de champions, m’a fait écrire deux textes pour le prix d’un à toute vitesse...

Alexandre Pratt

Ai-je déjà souhaité la défaite d’un club sur la galerie de presse ? Absolument. Au moins une centaine de fois ! À l’époque de l’édition papier de La Presse, l’heure de tombée était fixée à 22 h 30. C’était nécessaire pour mettre en page, imprimer et livrer 200 000 exemplaires avant 6 h le lendemain. Pour les matchs des Expos, c’était casse-gueule. Les matchs prenaient fin vers 22 h 15. Le cauchemar ? Une remontée en fin de match. À 22 h 20. Tout ce que je souhaitais, en neuvième manche, c’était trois retraits consécutifs. Que le frappeur soit des Expos ou des Padres. Si le meneur changeait, j’avais cinq minutes pour écrire une analyse de 400 mots. Une contrainte qui a heureusement disparu avec La Presse+.

La rubrique Mauvaise conduite fera relâche pour l'été. Elle sera de retour à l'automne.

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