Éditorial

Avant de tout miser sur l’hydrogène vert

L’hydrogène vert. C’est la nouvelle expression à la mode, la « saveur du mois ». Celle qui met des étoiles dans les yeux de nos politiciens.

Cette semaine, on a appris que François Legault voulait y consacrer une société d’État – rien de moins. Dominique Anglade a répliqué par la surenchère. La cheffe libérale promet de nationaliser le produit. Elle veut en utiliser les revenus pour réinvestir dans les programmes sociaux. En faire un « projet de société ».

On ne reprochera pas à nos élus de s’intéresser aux solutions vertes. L’hydrogène a un rôle à jouer dans la décarbonation de l’économie et il est réjouissant de voir que le Québec veut sauter dans ce bateau. De la même façon qu’il faut saluer la détermination du gouvernement Legault à percer le marché des batteries électriques.

Mais dans le cas de l’hydrogène vert, des experts regardent néanmoins avec incrédulité l’escalade actuelle des promesses.

Des voix sceptiques s’élèvent, y compris au sein même du gouvernement Legault. Mais on les écarte parce qu’elles ne chantent pas à l’unisson le refrain en vogue.

Avant de puiser massivement dans le Fonds vert et dans les coffres d’Investissement Québec pour foncer vers cet eldorado, on ferait bien de les écouter et de se poser deux ou trois questions.

* * *

L’hydrogène vert n’est ni une ressource naturelle ni une forme d’énergie. Il s’agit simplement d’un produit de l’hydroélectricité.

Pour produire de l’hydrogène vert, on fait passer un courant électrique dans de l’eau pour en séparer les atomes d’hydrogène et d’oxygène. Le procédé entraîne des pertes colossales. Selon son utilisation finale, l’hydrogène ne rendra que de 10 à 35 % de l’énergie qu’on a utilisée pour le produire. Tout le reste est perdu.

Pourquoi dilapider ainsi l’électricité ? Il est beaucoup plus efficace (et infiniment moins cher) de l’utiliser directement. Mais pour certains secteurs précis, on est incapable d’électrifier les procédés. On pense à la fabrication d’acier. À la production d’ammoniac pour les engrais. Au transport maritime.

Dans ces cas, si on veut décarboner, il faut accepter les pertes énergétiques et troquer les carburants fossiles contre l’hydrogène vert. On n’a pas d’autre choix.

« Il y a une place pour l’hydrogène vert, mais pour des secteurs de niche assez pointus », résume Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

Dans son rapport sur la transition énergétique du Québec, la firme de consultation Dunsky conclut également que la production d’hydrogène à partir d’électricité est « peu intéressante » d’un point de vue économique en raison de l’« inefficacité énergétique » du procédé.

La firme voit l’hydrogène vert arriver en bout de course pour décarboner les derniers secteurs de l’économie du Québec d’ici 2050. Même dans le scénario le plus généreux, il remplirait à peine 3 % des besoins énergétiques.

La question n’est donc pas de savoir si le Québec doit se lancer dans l’hydrogène vert. Il doit le faire s’il veut atteindre la carboneutralité. On doit plutôt s’interroger sur l’intensité de l’effort qu’on veut y consacrer. Et sur la finalité du produit.

Nos politiciens rêvent d’exporter de l’hydrogène vert dans tout le nord-est de l’Amérique du Nord. Il est vrai que la firme Boston Consulting Group prévoit une demande importante. Plusieurs petits marchés mis ensemble, ça peut finir par faire un gros marché.

Mais transformer le Québec en exportateur d’hydrogène ne se fera pas en criant ciseau. L’hydrogène est volatil et explosif. Le déplacer est complexe et coûteux. Et comme il faut de l’énergie pour le transporter, cela fait encore chuter le rendement énergétique.

Surtout, il faudra lancer une vraie réflexion sur la meilleure façon d’utiliser notre électricité. Parce que l’ère des surplus achève et que les usages entreront bientôt en concurrence. Notre électricité propre, on peut l’utiliser pour alimenter nos voitures, nos autobus et nos trains. On peut s’en servir comme appât pour attirer des industries. On peut terminer l’électrification de nos bâtiments institutionnels, commerciaux et résidentiels.

On peut aussi l’exporter directement aux États-Unis, sans enjeu technologique et de façon lucrative, comme le prouve le récent contrat avec New York.

Et on peut la transformer en hydrogène vert.

Quelle proportion veut-on consacrer à chaque usage ? Quelles solutions apporteront les meilleurs gains économiques et environnementaux ?

C’est là-dessus qu’une éventuelle société d’État devrait se pencher. En évitant de fournir les réponses avant d’avoir posé les questions.

Et l’Allemagne ?

La France et l’Allemagne misent massivement sur l’hydrogène vert. N’est-ce pas une preuve qu’il faut s’y lancer ? Peut-être. Mais réalisons que le contexte est différent. Là-bas, on ne peut ajuster instantanément la production des centrales nucléaires et des éoliennes en fonction de la demande. Quand les éoliennes tournent la nuit et que la demande d’électricité est faible, on est pris avec des surplus. Les transformer en hydrogène, même avec des pertes, évite un gaspillage. Chez nous, on peut simplement retenir l’eau dans les barrages – un stockage d’énergie autrement plus efficace que celui que permet l’hydrogène.

Les couleurs de l’hydrogène

• Hydrogène gris : hydrogène produit en séparant le carbone et l’hydrogène du gaz naturel. Cela se fait par un procédé appelé « vaporéformage » qui produit du CO2. C’est la forme la plus courante.

• Hydrogène noir : hydrogène fabriqué à partir de charbon, par un procédé similaire à celui de l’hydrogène gris. C’est la forme la plus polluante.

• Hydrogène bleu : on produit de l’hydrogène gris ou noir, mais on capte le CO2 produit et on l’enfouit dans le sol.

• Hydrogène vert : hydrogène produit par l’électrolyse de l’eau (on sépare l’hydrogène et l’oxygène) en utilisant de l’électricité propre.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.