La Presse au 76e Festival de Cannes

À qui la Palme ?

Les 21 films sélectionnés en compétition officielle ont été présentés, le jury est maintenant appelé à délibérer pour établir son palmarès. Dans un cru de très belle qualité, mais duquel aucun grand favori ne se détache vraiment du peloton, le jeu des prédictions devient bien aléatoire…

À la traditionnelle question « À qui la Palme ? », qui se pose toujours au moment où le jury s’apprête à annoncer les lauréats, personne n’est vraiment en mesure de répondre. C’est ce que l’on dit à chaque édition, mais cette vérité est encore plus flagrante cette année. Autour du Palais des festivals, chacun y va de son titre, jamais le même, en croisant les doigts pour que sa prédiction s’avère.

Mais comment relever des tendances quand personne ne sait encore quel genre de dynamique a animé l’ensemble des neuf membres du jury, lesquels sont restés d’une discrétion absolue pendant toute la durée du festival ? Ruben Östlund, le président, a cependant expliqué au premier jour qu’il comptait réunir régulièrement le jury tous les trois films. Logiquement, le jury se serait réuni déjà six fois. Quels titres ont été retenus ou éliminés au cours de ces rencontres ? Rien n’a filtré de ces discussions.

Les favoris de la critique

Plusieurs longs métrages en lice pour la Palme d’or ont par ailleurs obtenu l’aval des critiques, à commencer par Les feuilles mortes, une comédie mélancolique tout à fait charmante d’Aki Kaurismäki. Imprégné de cet humour propre au cinéaste finlandais et à ceux dont le rire est la politesse du désespoir, le récit orchestre la rencontre entre deux êtres n’ayant jamais connu l’amour, qui se persuadent d’être faits l’un pour l’autre, sans trop se poser de questions. Tant du côté des critiques internationaux consultés par le journal spécialisé Screen que de celui des critiques français, recensés par Le film français, Les feuilles mortes obtient la plus haute note.

Perfect Days, qui marque le retour de Wim Wenders à la fiction, suit de très près. Mettant en vedette l’excellent Kōji Yakusho, cette espèce de road movie existentiel explore le parcours d’un homme qui semble maintenant vouloir se satisfaire d’une vie simple en travaillant à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo, tout en assouvissant sa passion des livres et de la musique. Son absence du palmarès serait vraiment étonnante.

Vient ensuite May December, un film de Todd Haynes dans lequel Natalie Portman joue une actrice qui s’installe un moment chez la femme qu’elle doit bientôt interpréter dans un drame biographique inspiré de la vie de cette dernière. Julianne Moore, qui joue celle ayant été accusée de détournement de mineur 20 ans plus tôt, est bien évidemment candidate au prix d’interprétation.

Sandra Hüller, remarquable dans Anatomie d’une chute, est aussi une sérieuse candidate. Le drame judiciaire de Justine Triet, très apprécié des critiques aussi, prend la forme d’une enquête passionnante sur les circonstances entourant la chute mortelle d’un homme qui s’est défenestré à l’étage supérieur du chalet d’hiver qu’il occupait non loin de Grenoble. Aux circonstances de ce qui pourrait autant être un accident, un suicide ou un meurtre, s’ajoute la dissection impitoyable d’une relation de couple.

Le jury pourrait également jeter son dévolu sur The Zone of Interest, drame glaçant de Jonathan Glazer dans lequel un commandant nazi responsable des opérations du camp d’Auschwitz rêve à sa petite vie de banlieue avec sa famille pendant que les chambres à gaz crachent leur fumée juste à côté. Joignons à cette liste Les herbes sèches, un autre de ces longs métrages reposant essentiellement sur la qualité des dialogues, réalisé par Nuri Bilge Ceylan, un cinéaste proposant toujours de remarquables exercices intellectuels. Certains accordent également de très bonnes chances à la docufiction Les filles d’Olfa, de Kaouther Ben Hania, où une mère raconte comment ses deux filles aînées se sont radicalisées et ont rejoint les rangs du groupe État islamique.

Ceux qui divisent l’opinion

Et puis, il y a ceux qui divisent l’opinion. Si l’on se fie encore une fois aux humeurs des critiques recensés par Screen et Le film français, certaines œuvres semblent perçues différemment, selon le bagage culturel qu’on traîne avec soi. C’est le cas de La Passion de Dodin Bouffant. Ce long métrage de Tran Anh Hùng, dans lequel Juliette Binoche et Benoît Magimel rendent hommage à l’art de l’amour et de la cuisine, a grandement séduit les critiques internationaux, beaucoup moins les critiques français. Phénomène inverse pour Vers un avenir radieux. Cette autofiction de Nanni Moretti est généralement portée aux nues par la presse française, boudée par la presse internationale. L’été dernier, de Catherine Breillat, est aussi encensé par les uns, décrié par les autres, peu importe la nationalité cette fois.

Il se pourrait fort bien que tous ces titres se retrouvent au tableau d’honneur, mais il est tout aussi plausible qu’aucun d’entre eux ne soit retenu. Sept prix seront remis lors d’une cérémonie qui aura lieu ce samedi à 14 h 30 (heure de Montréal). Rappelons qu’autour du président Ruben Östlund figurent l’actrice Brie Larson, les réalisatrices Julia Ducournau, Maryam Touzani et Rungano Nyoni, les acteurs Denis Ménochet et Paul Dano, ainsi qu’Atiq Rahimi, écrivain et réalisateur, et le réalisateur Damián Szifrón.

Le palmarès de notre journaliste

Palme d’or : Anatomie d’une chute (Justine Triet)

Grand Prix : The Zone of Interest (Jonathan Glazer)

Prix du jury : Les feuilles mortes (Aki Kaurismäki)

Prix du scénario : La chimera (Alice Rohrwacher)

Prix de la mise en scène : L’été dernier (Catherine Breillat)

Prix d’interprétation féminine : Julianne Moore (May December)

Prix d’interprétation masculine : Kōji Yakusho, (Perfect Days)

La Presse au 76e Festival de Cannes

Un beau brin de folie

Tous les longs métrages d’Alice Rohrwacher ont été lancés au Festival de Cannes. La chimera (La chimère) est son troisième à concourir pour la Palme d’or, neuf ans après Les merveilles (Grand Prix du jury) et cinq ans après Heureux comme Lazzaro (prix du meilleur scénario). La cinéaste italienne, jeune quadragénaire, a su imposer un univers parfois empreint de mystère, qu’elle déploie dans un style qui lui est propre. Son nouvel opus ne fait pas exception à la règle. Josh O’Connor (dont le rôle le plus connu est celui du prince Charles dans la série The Crown) se glisse dans la peau d’Arthur, un homme revenant après un moment d’absence dans sa petite ville sur le bord de la mer Tyrrhénienne. D’origine anglaise, mais bien intégré dans la société italienne, Arthur est un peu dans le pétrin, dans la mesure où il a mis son don particulier au service d’une bande de pilleurs de tombes étrusques et de merveilles archéologiques, dont l’intérêt est purement mercantile. Arthur peut en effet ressentir les espaces vides sous la terre, où se retrouvent souvent les vestiges du passé. En juxtaposant cette histoire à celle, plus intime, d’un protagoniste sans repères qui retourne dans la famille de son amoureuse disparue, Alice Rohrwacher propose une histoire touchante, toujours saupoudrée d’un brin de folie. Ce quatrième long métrage de la cinéaste est magnifiquement interprété par une distribution d’ensemble impeccable, parmi laquelle se distinguent notamment, outre l’excellent Josh O’Connor, Carol Duarte et la toujours merveilleuse Isabella Rossellini. La société de distribution américaine Neon a acquis pour l’Amérique du Nord les droits d’exploitation de ce long métrage qu’Entract Films relaiera au Québec.

Gros message, gros moments d’émotion

Le plus primé des 21 cinéastes invités à concourir pour le plus beau laurier du cinéma mondial a clos la compétition sur une note d’émotion. Ayant toujours placé des thèmes liés à la justice sociale au cœur de son cinéma, Ken Loach, qui aura 87 ans le mois prochain, porte une fois de plus à l’écran un scénario de Paul Laverty, son fidèle complice. Situé en 2016 dans un petit village du nord-est de l’Angleterre, où le désœuvrement a cours depuis le démantèlement de la mine de charbon, le récit relate les tensions qui s’installent entre les habitants lorsqu’arrivent au village des réfugiés syriens. The Old Oak est le nom du seul pub encore ouvert dans les environs, tenu à bout de bras par TJ (Dave Turner), un brave type qui tient à prendre part à l’effort collectif pour accueillir les réfugiés, tout en ne froissant pas sa clientèle traditionnelle, qui voit d’un mauvais œil la présence de ces étrangers dans le patelin. Faisant écho au racisme désinhibé qui s’exprime désormais sans gêne sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie, le récit est bien entendu parsemé de messages soulignés à gros traits, comme il arrive parfois au cinéaste britannique de le faire. En revanche, le vétéran sait mieux que personne créer de véritables moments d’émotion, empreints d’authenticité. Sélectionné en compétition officielle pour la 15e fois, déjà deux fois lauréat de la Palme d’or (The Wind that Shakes the Barley en 2006 et I, Daniel Blake en 2016), Ken Loach pourrait marquer l’histoire en devenant le premier cinéaste à obtenir la récompense suprême une troisième fois. Qu’en dira le jury ? TVA Films distribuera The Old Oak au Québec. Aucune date de sortie n’est encore fixée.

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Catherine Breillat, cinéaste avant tout

Présentant en compétition L’été dernier, un film qui suscite autant l’enthousiasme que l’ire des festivaliers, Catherine Breillat a expliqué son approche en conférence de presse vendredi. « Je suis féministe et je l’ai toujours été. Ceux qui ont détesté mes films m’ont reproché de l’être et c’était dégueulasse. Je suis avant tout cinéaste et entomologiste. J’aime scruter les choses, particulièrement par rapport à l’intime. Une scène d’amour est pour moi un enjeu total, parce que c’est l’enjeu entier de notre vie. On ne peut pas représenter l’amour d’une manière médiocre. Je veux montrer les scènes d’amour comme elles n’ont jamais été montrées, pour aller dans l’intimité d’une scène où, finalement, on apparaît à soi-même et on apparaît à l’autre. » Mettant en vedette Léa Drucker et Samuel Kircher, L’été dernier relate une liaison – et ses conséquences – entre un adolescent de 17 ans et une femme plus mûre.

Pas de 3e volet aux Ailes du désir

Wim Wenders a précisé vendredi que l’idée d’un troisième long métrage évoquant des anges n’est pas dans ses plans. Les ailes du désir a obtenu le prix de la mise en scène en 1987, et Si loin, si proche !, le Grand Prix en 1993. « De toute façon, mes anges sont disparus dans le ciel pour toujours », a déclaré le cinéaste en faisant référence à Peter Falk et à Bruno Ganz, les deux vedettes des Ailes du désir. « Cela dit, ce film [Perfect Days] s’approche un peu du concept des anges, a-t-il ajouté. Hirayama [le protagoniste de l’histoire] est un peu comme un ange, dans la mesure où peu de gens le voient et qu’il est invisible pour la plupart des gens. Perfect Days a un aspect très spirituel à mes yeux, nous sommes un peu dans le même territoire. » Très bien accueilli par les festivaliers, Perfect Days, sorte de road movie existentiel construit autour de la vie d’un homme épris de musique et de littérature qui nettoie les toilettes publiques de Tokyo, serait acquis par la société de distribution américaine Neon, selon ce que rapporte le site spécialisé Deadline.

Le prix Un certain regard à How to Have Sex

Présidé par l’acteur John C. Reilly, le jury d’Un certain regard, l’autre section compétitive officielle du Festival de Cannes, a attribué le prix du meilleur film à How to Have Sex. Le premier long métrage de la Britannique Molly Manning Walker suit une bande d’adolescents dans leurs soirées festives. En tout, 6 des 20 longs métrages sélectionnés dans cette section ont été primés, mais Simple comme Sylvain, le film de Monia Chokri, ne figure pas au tableau d’honneur, bien qu’il ait été chaleureusement accueilli.

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