À qui la Palme ?
À la traditionnelle question « À qui la Palme ? », qui se pose toujours au moment où le jury s’apprête à annoncer les lauréats, personne n’est vraiment en mesure de répondre. C’est ce que l’on dit à chaque édition, mais cette vérité est encore plus flagrante cette année. Autour du Palais des festivals, chacun y va de son titre, jamais le même, en croisant les doigts pour que sa prédiction s’avère.
Mais comment relever des tendances quand personne ne sait encore quel genre de dynamique a animé l’ensemble des neuf membres du jury, lesquels sont restés d’une discrétion absolue pendant toute la durée du festival ? Ruben Östlund, le président, a cependant expliqué au premier jour qu’il comptait réunir régulièrement le jury tous les trois films. Logiquement, le jury se serait réuni déjà six fois. Quels titres ont été retenus ou éliminés au cours de ces rencontres ? Rien n’a filtré de ces discussions.
Les favoris de la critique
Plusieurs longs métrages en lice pour la Palme d’or ont par ailleurs obtenu l’aval des critiques, à commencer par Les feuilles mortes, une comédie mélancolique tout à fait charmante d’Aki Kaurismäki. Imprégné de cet humour propre au cinéaste finlandais et à ceux dont le rire est la politesse du désespoir, le récit orchestre la rencontre entre deux êtres n’ayant jamais connu l’amour, qui se persuadent d’être faits l’un pour l’autre, sans trop se poser de questions. Tant du côté des critiques internationaux consultés par le journal spécialisé Screen que de celui des critiques français, recensés par Le film français, Les feuilles mortes obtient la plus haute note.
Perfect Days, qui marque le retour de Wim Wenders à la fiction, suit de très près. Mettant en vedette l’excellent Kōji Yakusho, cette espèce de road movie existentiel explore le parcours d’un homme qui semble maintenant vouloir se satisfaire d’une vie simple en travaillant à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo, tout en assouvissant sa passion des livres et de la musique. Son absence du palmarès serait vraiment étonnante.
Vient ensuite May December, un film de Todd Haynes dans lequel Natalie Portman joue une actrice qui s’installe un moment chez la femme qu’elle doit bientôt interpréter dans un drame biographique inspiré de la vie de cette dernière. Julianne Moore, qui joue celle ayant été accusée de détournement de mineur 20 ans plus tôt, est bien évidemment candidate au prix d’interprétation.
Sandra Hüller, remarquable dans Anatomie d’une chute, est aussi une sérieuse candidate. Le drame judiciaire de Justine Triet, très apprécié des critiques aussi, prend la forme d’une enquête passionnante sur les circonstances entourant la chute mortelle d’un homme qui s’est défenestré à l’étage supérieur du chalet d’hiver qu’il occupait non loin de Grenoble. Aux circonstances de ce qui pourrait autant être un accident, un suicide ou un meurtre, s’ajoute la dissection impitoyable d’une relation de couple.
Le jury pourrait également jeter son dévolu sur The Zone of Interest, drame glaçant de Jonathan Glazer dans lequel un commandant nazi responsable des opérations du camp d’Auschwitz rêve à sa petite vie de banlieue avec sa famille pendant que les chambres à gaz crachent leur fumée juste à côté. Joignons à cette liste Les herbes sèches, un autre de ces longs métrages reposant essentiellement sur la qualité des dialogues, réalisé par Nuri Bilge Ceylan, un cinéaste proposant toujours de remarquables exercices intellectuels. Certains accordent également de très bonnes chances à la docufiction Les filles d’Olfa, de Kaouther Ben Hania, où une mère raconte comment ses deux filles aînées se sont radicalisées et ont rejoint les rangs du groupe État islamique.
Ceux qui divisent l’opinion
Et puis, il y a ceux qui divisent l’opinion. Si l’on se fie encore une fois aux humeurs des critiques recensés par Screen et Le film français, certaines œuvres semblent perçues différemment, selon le bagage culturel qu’on traîne avec soi. C’est le cas de La Passion de Dodin Bouffant. Ce long métrage de Tran Anh Hùng, dans lequel Juliette Binoche et Benoît Magimel rendent hommage à l’art de l’amour et de la cuisine, a grandement séduit les critiques internationaux, beaucoup moins les critiques français. Phénomène inverse pour Vers un avenir radieux. Cette autofiction de Nanni Moretti est généralement portée aux nues par la presse française, boudée par la presse internationale. L’été dernier, de Catherine Breillat, est aussi encensé par les uns, décrié par les autres, peu importe la nationalité cette fois.
Il se pourrait fort bien que tous ces titres se retrouvent au tableau d’honneur, mais il est tout aussi plausible qu’aucun d’entre eux ne soit retenu. Sept prix seront remis lors d’une cérémonie qui aura lieu ce samedi à 14 h 30 (heure de Montréal). Rappelons qu’autour du président Ruben Östlund figurent l’actrice Brie Larson, les réalisatrices Julia Ducournau, Maryam Touzani et Rungano Nyoni, les acteurs Denis Ménochet et Paul Dano, ainsi qu’Atiq Rahimi, écrivain et réalisateur, et le réalisateur Damián Szifrón.
Le palmarès de notre journaliste
Palme d’or : Anatomie d’une chute (Justine Triet)
Grand Prix : The Zone of Interest (Jonathan Glazer)
Prix du jury : Les feuilles mortes (Aki Kaurismäki)
Prix du scénario : La chimera (Alice Rohrwacher)
Prix de la mise en scène : L’été dernier (Catherine Breillat)
Prix d’interprétation féminine : Julianne Moore (May December)
Prix d’interprétation masculine : Kōji Yakusho, (Perfect Days)