« J’ai vécu un stress constant toute ma vie »
Pas toujours facile d’être le gardien d’une équipe de l’expansion. Le premier gardien de l’histoire du Wild du Minnesota, le Québécois Emmanuel Fernandez, en a fait des nuits blanches, et en perdait ses cheveux par grandes touffes tant le stress le tenaillait.
Ce n’est qu’après la retraite qu’il a enfin trouvé une certaine paix intérieure, et plusieurs années après celle-ci qu’il a finalement reconnu avoir connu une carrière intéressante.
Mais tous ne réagissent pas de la même façon. Fernandez, le neveu de Jacques Lemaire, son entraîneur au Minnesota, a toujours été un perfectionniste, intransigeant envers lui-même, anxieux.
« J’ai toujours été trop dur envers moi-même, confie-t-il. Ça a été mon gros problème. Je connaissais un bon match et je pensais déjà au prochain. Ça n’était jamais assez. Je ne profitais pas de l’instant présent. J’ai vécu un stress constant toute ma vie. Personne ne peut comprendre ça, mais un athlète, à ce niveau-là, ne veut pas seulement être un pion, il veut laisser sa marque, battre des records. »
Repêché par les Nordiques de Québec en 1994, un an avant le grand déménagement à Denver, Fernandez a vu son destin changer lorsque l’organisation a repêché Jocelyn Thibault l’année suivante. Il est passé aux Stars de Dallas, où il a disputé quelques saisons avant de passer au Wild à l’aube du repêchage d’expansion, en 2000.
« Mon destin m’a envoyé avec un club de l’expansion. On était tous conscients que nous n’étions pas les Red Wings de Detroit. Il fallait suer pour obtenir une victoire, et j’avais ma job à faire là-dedans. Je devais être solide tous les soirs pour nous donner une chance. Il n’y avait pas de soirs de 10 tirs, avec quatre buts de notre équipe dans une victoire de 4-0. »
Fernandez n’a jamais su trouver le recul nécessaire pour atteindre une certaine zone de confort psychologique. « J’aurais pu mieux gérer ça. Je savais que 18 000 personnes me regardaient, que ma famille pouvait voir le match à la télé, que je n’avais pas droit à l’erreur. J’ai fait de nombreuses nuits blanches. Je me réveillais en grosse crise de panique, en sueur, le cœur qui me battait à cent milles à l’heure la nuit. C’était assez atroce. »
Il n’a jamais consulté. « À l’époque, les psychologues sportifs n’étaient pas populaires. Il y avait de fausses croyances dans le temps qui faisaient en sorte que tu n’étais pas porté à consulter. C’était considéré comme une faiblesse, tu ne voulais pas sortir du lot. Aujourd’hui, je dirais à un gardien qui se retrouverait dans ma position de consulter. On a un poste très ingrat. Si tu portes le poids de tous tes coéquipiers sur tes épaules, ça devient lourd.
« Tu échappes le ballon un soir, tout est à recommencer le lendemain et tu as de la misère à gérer tout ça. »
Vivre avec des regrets
Fernandez a disputé six saisons au Minnesota pour son oncle Jacques Lemaire, atteint le carré d’as en 2003, remporté 143 victoires en carrière avec le Wild et les Bruins de Boston, au 131e rang de l’histoire devant Mike Dunham, Garth Snow, Richard Brodeur et John Davidson, mais il a longtemps vécu avec des regrets.
« Tu te poses des questions à ta retraite. Est-ce que ça aurait été différent si j’avais abouti ailleurs ? Même pour les meilleurs, les circonstances doivent être favorables. Il y a une partie de moi qui a été déçue de ma carrière parce que je n’avais pas atteint les objectifs que je m’étais fixés. Mais avec les années, tu deviens plus réaliste par rapport à tes objectifs de départ. Je me suis rendu à la conclusion que je devais être heureux de ce que j’avais accompli. »
« Est-ce que j’ai eu la meilleure carrière au monde ? Est-ce que j’ai été reconnu comme l’un des meilleurs ? Même pas proche. Mais aujourd’hui, je suis heureux d’avoir vécu ce que j’ai vécu. J’ai saigné et j’ai sué, le reste ne m’appartient pas. »
— Emmanuel Fernandez
Il ne regrette rien de son expérience au Minnesota, néanmoins. « Jacques nous a aidés à la vivre très sainement. C’était une bouée pour nous tous. Il était calme, reposé, il ne paniquait pas, il a été incroyable pour nous autres. On avait besoin d’un entraîneur comme lui. Il avait un bon système de jeu en place, parce que ça n’allait pas être facile. Il y avait deux équipes qui repêchaient, le potentiel était encore plus dilué. »
Il a vécu le plus grand moment de sa carrière au printemps 2003, lorsque le Wild a battu une puissance, l’Avalanche du Colorado, pour atteindre le carré d’as. « Je n’ai pas commencé les séries et j’ai été envoyé devant le filet alors qu’on perdait 3-1. Ça semblait terminé. Je n’avais pas joué depuis un mois, je pensais que ça serait mon dernier match. On est allés gagner le septième match au Colorado, contre un club qu’on croyait imbattable. Ça allait être le dernier match de Patrick Roy en carrière. »
Fernandez a aussi vécu une situation particulière du fait qu’il jouait pour son oncle. Jacques Lemaire est le frère de sa mère, Muguette. « Même si c’était mon oncle, j’ai su dès son premier meeting avec moi que notre lien n’allait pas changer quoi que ce soit, ou sinon que ça empirerait les choses. Il a été plus dur avec moi parce que c’était mon oncle, je peux le garantir. C’est juste normal. Moi-même, je suis impliqué dans le hockey mineur avec mon gars, et on a tout le temps un jugement plus sévère envers nos enfants. Tu es plus neutre avec ceux qui n’ont pas de sentiment d’appartenance avec toi. »
Notre homme, qui prend une pause cet été du monde des affaires, connaissait somme toute peu Jacques Lemaire. « Il a eu une longue carrière, il est même passé par l’Europe par la suite, je ne l’avais pas côtoyé beaucoup avant. Je le voyais aux rassemblements de famille. J’ai appris à le connaître pas mal plus au Minnesota, en vivant avec lui au quotidien. »
Pas de soucis pour Fleury
Fernandez, aujourd’hui âgé de 42 ans, ne se fait pas de soucis pour Marc-André Fleury à Las Vegas.
« Il a la personnalité parfaite pour se retrouver à Vegas. Les gens oublient qu’il a connu des années difficiles à son arrivée à Pittsburgh. Je me demandais s’il allait survivre. Il s’est relevé. Ils ont vraiment choisi le meilleur gars pour la job. Psychologiquement, il ne s’en fait pas avec des niaiseries, complètement le contraire de moi. Il est capable de subir le revers, revenir le soir suivant et connaître son meilleur match. Il est très équilibré.
« Il arrive à un stade de sa carrière où il maîtrise parfaitement le métier. Il est au bon endroit, au bon moment. Il a vécu ses moments de gloire, il a vécu des moments difficiles, il est capable de faire la part des choses. S’il y a quelqu’un de stable dans le vestiaire, qui va les mettre en confiance, c’est lui. Ils n’auront pas un méchant club. Ils pourraient surprendre. »