Spécial intelligence

Notre QI est-il rigide ou élastique ?

Qu’en est-il de la fluctuation de nos capacités intellectuelles individuelles au cours d’une vie ? Varient-elles ? Si oui, avec l’âge, tendons-nous plus vers Einstein ou dégringolons-nous vers Simplet ? Et avons-nous un contrôle sur la musculature ou l’effritement de notre QI ?

« Oui, cela évolue dans une certaine mesure », répond d’emblée Nathalie Parent, psychologue et professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, spécialisée en psychométrie. « Au cours de l’enfance et jusqu’à l’âge adulte, les connaissances et les capacités intellectuelles se développent. Rendu au début de la vingtaine, ça se stabilise, puis un lent déclin s’amorce tranquillement jusque vers l’âge de 60 ans, où ce déclin est un petit peu plus marqué », résume-t-elle.

Nuance : les différentes aptitudes intellectuelles ne fanent pas au même rythme. Les connaissances acquises et les éléments stockés dans la mémoire à long terme (par exemple, la définition d’un mot), ainsi que les capacités d’apprentissage, restent très stables jusqu’à la soixantaine, avant de s’étioler subtilement. En revanche, les aptitudes liées à la mémoire à court terme et à la vitesse de traitement de l’information s’effriteront doucement au long de l’âge adulte, avec une accélération après 60 ans. « C’est bien sûr lié au vieillissement, mais aussi au fait que, passé cet âge, on est moins actif sur le plan du travail », explique Mme Parent.

Hommes et femmes logent-ils à la même enseigne ? Affirmatif, indique-t-elle : nous n’observons pas actuellement de différence significative en matière de quotient intellectuel. Par contre, on remarque de très légers avantages en fonction de certaines capacités – les filles ayant de meilleures aptitudes en matière verbale et les garçons, en calcul. « C’est documenté, mais très peu marqué », souligne la psychologue, précisant que ces différences étaient plus saillantes à des époques où emplois, tâches et divertissements étaient davantage stéréotypés.

Le poids du contexte

Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et spécialiste de l’intelligence humaine, prévient qu’il va servir un discours peu plaisant à nos oreilles : non, nous ne naissons pas égaux en matière de capacités intellectuelles. « C’est la vérité, et elle est désagréable. Et une chose que les gens oublient, c’est que l’intelligence est relativement stable à partir de l’âge de 7 ans », dit-il en insistant sur relativement et en fournissant deux illustrations.

D’une part, à l’issue de programmes de développement des capacités cognitives pour épauler des enfants américains de moins de 7 ans présentant un QI en deçà de la moyenne, ces derniers ont effectivement amélioré leur score… mais il est progressivement revenu à son niveau initial, année après année. « À long terme, ça ne marche pas, si on parle du quotient intellectuel. Heureusement, d’autres approches peuvent aider à améliorer notre façon de résoudre des problèmes », indique M. Larivée.

D’autre part, une étude néo-zélandaise suivant l’évolution de 800 enfants, sans intervention, a conclu que leur QI est resté globalement et relativement stable. Pour une centaine d’entre eux, on a certes observé des variations, mais sans dénominateur commun ; chacune semblait liée à des évènements personnels et particuliers (un deuil, par exemple, ou un changement radical d’environnement social).

Ce qui nous conduit tout droit à la fameuse polarité inné/acquis. Les deux universitaires sont unanimes à ce sujet : le contexte socio-économique pèse lourd dans la balance.

« C’est interdépendant. Nous avons tous un certain potentiel génétique d’intelligence, mais en fonction de notre environnement, cela se développera ou pas. »

— Nathalie Parent, psychologue et professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval

Mme Parent souligne à cet égard l’influence des « facteurs non intellectifs », qui peuvent être positifs (bonne estime de soi, motivation, persévérance) ou négatifs (anxiété, manque d’encouragement, etc.).

M. Larivée, lui, insiste sur l’héritabilité, c’est-à-dire la proportion, dans un score de QI, attribuable à la génétique. En bas âge, celle-ci est plus faiblement représentée, mais s’accroît avec l’âge. Il appert que la part d’héritabilité est relativement faible dans les milieux défavorisés. « Pourquoi ? Parce que l’environnement écrase le potentiel génétique. Dans des milieux riches, l’héritabilité prend le dessus. Pourquoi ? Parce que ce que l’environnement avait à donner, il l’a donné. »

Haltères cérébrales

Il n’y a pas de secret : pour garder la machine à neurones bien huilée, il faut l’entretenir. « Plus on pratique, plus ça va diminuer le déclin qu’on peut constater sur le plan cognitif », indique Mme Parent. Et cela peut être bien plus amusant que d’avaler une tranche d’encyclopédie tous les jours au déjeuner. Beaucoup de petits jeux sont cités par la psychologue, comme des mots croisés ou des défis de blocs, avec des contraintes de temps et de rapidité, comme le classique Tetris, qui permettent de maintenir notre vitesse de traitement de l’information.

Mme Parent cite aussi la série de jeux et ateliers Cerveaux actifs, ainsi que les jeux de société ou de cartes nécessitant l’application de règles. La lecture permet d’entretenir notre compréhension verbale, toutefois stable, mais surtout d’assouvir un appétit pour le savoir. « Notre soif de connaître entretient aussi notre cerveau. Cela peut être apprendre une nouvelle langue, faire un voyage et lire sur le pays visité. »

Serge Larivée a aussi ses pions à placer : il cite les échecs, entre autres, ainsi que la lecture, mais ne mâche pas ses mots au sujet de certaines émissions de télévision comme les téléréalités ou les romans-savons, à esquiver, selon lui.

Le cellulaire ? À double tranchant ; un cas d’abus pourrait être, par exemple, lorsqu’on l’utilise pour s’épargner systématiquement des calculs mentaux ou des conversions numériques. « Ça serait l’équivalent de ne plus être capable de lire un mot », illustre Nathalie Parent, qui considère aussi l’internet comme un bel outil pour approfondir des connaissances, à condition de conserver son sens critique face aux sources d’information.

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