« La situation est critique »

Pendant que Québec instaure de nouvelles restrictions et interdictions partout dans la province, les complotistes ont défié les élus, mardi, et manifesté devant le parlement.

de nouvelles restrictions

« La situation est critique », prévient le premier ministre du Québec, François Legault. Quatre régions de plus passent au code jaune en raison d’une hausse des cas de COVID-19. Et « c’est sûr qu’on va avoir du orange sous peu », ce qui mène à de nouvelles restrictions et interdictions, prévient le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique. Compte rendu.

75 % de la population en zone jaune

Les trois quarts de la population québécoise se retrouvent maintenant en « préalerte ». Aux prises avec des cas de COVID-19 en hausse, les régions de Montréal, de la Montérégie, du Bas-Saint-Laurent et de Chaudière-Appalaches passent au jaune. Elles rejoignent ainsi Laval, l’Estrie, Québec et l’Outaouais. Aucune région ne se trouve à ce jour en orange, le palier suivant, celui d’« alerte modérée », qui doit entraîner de nouvelles restrictions. Or, selon le DHoracio Arruda, « c’est sûr qu’on aura du orange sous peu ».

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a énuméré les mesures qui seraient prises en pareilles circonstances dans les régions concernées : réduction de 10 à 6 du nombre de personnes pouvant se réunir dans une résidence, baisse du nombre de personnes permis dans les lieux publics, fermeture des bars et des salles à manger des restaurants (seuls les plats à emporter seraient permis).

Le Québec a enregistré mardi 292 nouveaux cas de COVID-19 et 5 morts supplémentaires. Le nombre d’hospitalisations a augmenté de 9, pour atteindre 133, dont 23 (+ 4) aux soins intensifs.

Deux nouvelles mesures

Pour le moment, Québec a annoncé deux nouvelles mesures qui entrent en vigueur partout dans la province.

D’abord, il est désormais interdit de vendre de la nourriture dans les bars à compter de minuit – un moyen qu’utilisaient des débits de boisson pour contourner les règles, selon le gouvernement.

« La raison, c’est parce que les gens se croient plus intelligents que les règles, puis ils se disent : “C’est facile, si on veut continuer à vendre de l’alcool, bien on a juste à rajouter des McCroquettes, puis ça va être parfait.” Mais ça ne marche pas comme ça. »

—  Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Dans les résidences pour personnes âgées, il faut désormais porter le masque dans les aires communes, comme les corridors, les ascenseurs et les salles. « Il y aura plus d’interventions policières » et « plus d’inspections » pour faire respecter les consignes sanitaires dans les huit zones jaunes, a ajouté le ministre.

Québec n’entend pas interdire les manifestations « anti-masque » pour le moment – ils étaient des centaines devant le parlement mardi (voir autre texte).

« Appel à la solidarité »

« Très inquiet » de la tendance actuelle, François Legault a lancé « un appel à la solidarité », implorant les Québécois à limiter les rassemblements à la maison et à éviter les partys. Ces regroupements sont responsables de la transmission communautaire du coronavirus que l’on observe en ce moment. « Il faut agir maintenant. Je compte sur vous », a-t-il insisté, adoptant un ton qui rappelait celui des moments les plus difficiles du printemps.

« C’est le temps de penser aux autres. S’il vous plaît, pensez aux personnes vulnérables, pensez à ceux qui attendent une chirurgie, pensez à ceux et celles qui travaillent dans notre réseau de la santé, pensez à nos enfants, pensez aux femmes et aux hommes de familles qui ont besoin de ces revenus-là pour leurs enfants. »

— François Legault, premier ministre du Québec

Il a ajouté qu’« il y a un vrai risque de deuxième vague, une vague assez forte pour qu’on soit obligé de recommencer à confiner les Québécois, et on ne veut pas ça ». Le DArruda a tenu à « cogner sur le clou » avec cet avertissement : « Quand ça flambe dans une deuxième vague, la première vague, c’est de la petite bière par rapport à la deuxième. »

Dubé dénonce… et fait une erreur

Christian Dubé s’en est pris à « l’irresponsabilité de certains individus » qui contribuent à la propagation du coronavirus. En Montérégie, a-t-il souligné, un rassemblement de 17 personnes dans un restaurant a entraîné 31 cas de COVID-19 et forcé le dépistage de 330 clients.

Autre exemple : un barbecue extérieur au mont Saint-Bruno s’est déroulé « sans aucune mesure de distanciation » et sans masque, ce qui a causé cinq infections sur place, sans compter les cas secondaires. « C’est inacceptable. Si les gens ne comprennent pas ce genre d’exemple, je m’excuse, mais ils ne comprendront jamais », a lancé Christian Dubé.

Dans le Bas-Saint-Laurent, des partys étudiants, dont l’un a rassemblé une centaine de jeunes à La Pocatière, ont engendré une quarantaine de cas.

Le ministre Dubé a toutefois erré en disant qu’une coiffeuse « qui savait qu’elle était contagieuse » était responsable de contaminations dans six résidences pour aînés et CHSLD de Chaudière-Appalaches, où elle a coiffé 15 personnes. Il s’est amendé plus tard sur les réseaux sociaux : « On m’indique qu’elle était contagieuse, sans le savoir. » Il a ajouté que, malgré cette erreur, son « message reste clair », à savoir que « chaque individu a sa part de responsabilité et doit respecter les mesures ».

Manque d’infirmières

Malgré ses efforts, le gouvernement Legault ne cache pas que « l’enjeu où [il] est le plus fragile, c’est avec [le] personnel ». Christian Dubé a admis que Québec « n’a[vait] pas eu le temps, avec la négociation syndicale, d’engager tout le monde qu’[il] voulait avoir » pour affronter la deuxième vague. « On a encore besoin d’infirmières », a-t-il précisé.

Mardi marquait la fin des classes pour les 7100 nouveaux préposés en CHSLD. Québec a revu à la hausse le nombre de places disponibles pour sa deuxième cohorte, de 2000 à 3200, pour atteindre son objectif de former 10 000 préposés. Ce groupe entreprendra sa formation le 28 septembre.

« On va être corrects dans les préposés aux bénéficiaires. Les infirmières, ça prend trois ans pour les former […], donc, ça va prendre un certain temps » pour régler la pénurie, a ajouté M. Legault.

Québec attribue également les délais d’attente pour obtenir un résultat à un manque de personnel, mais aussi à une croissance subite du nombre de tests de dépistage. Il disait à la fin d’août que les personnes testées pourraient avoir un résultat dans un délai de 24 à 48 heures. Or, le délai peut atteindre plusieurs jours. Québec veut communiquer le résultat plus rapidement, par courriel ou message texte plutôt que par téléphone, en demandant le consentement aux personnes qui se présentent dans une clinique.

Montréal

Hausse des cas liés aux mariages et aux fêtes privées

Le nombre de cas de COVID-19 est passé de 39 à 96 mardi à Montréal. Une situation attribuable en grande partie aux rassemblements privés, comme les baptêmes, les fêtes et les mariages, où les règles de distanciation physique ne sont pas respectées.

« Si vous pensez aller à un mariage, ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour le faire », a dit la Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal, en conférence de presse mardi après-midi.

La région de Montréal est passée du niveau « vert » au « jaune » mardi, alors que « tous ses indicateurs sont à la hausse ». Aucune restriction n’est encore appliquée. Mais la Dre Drouin demande à la population de « rehausser l’application de l’ensemble des mesures de santé publique », particulièrement dans les évènements privés comme « les fêtes en famille, les mariages, les baptêmes, les funérailles, les fêtes religieuses, les dimanches à la messe ».

La Dre Drouin rappelle qu’à l’intérieur, le respect des deux mètres de distanciation physique est « crucial » et qu’il faut porter le couvre-visage. Le lavage des mains est aussi essentiel.

« Il faut limiter le plus possible les rencontres […]. Si vous hésitez à faire la fête de votre fils et inviter 10, 15 personnes : non, on ne le fait pas actuellement », a dit la Dre Drouin.

Actuellement, très peu d’éclosions sont liées aux commerces et aux milieux de travail. Dans les écoles, 7 éclosions sont en cours et 125 écoles comptent au moins un cas de COVID-19 dans la métropole. Trois résidences privées pour aînés vivent actuellement de petites éclosions. Une situation « somme toute sous contrôle », selon la Dre Drouin.

« Mais c’est quand on arrive du côté des rassemblements privés qu’on voit clairement qu’il y a un relâchement, que la transmission s’opère dans ces évènements-là. »

— La Dre Mylène Drouin, directrice régionale de santé publique de Montréal

Des éclosions ont récemment été rapportées à Montréal à la suite d’évènements de danse latine, de deux mariages, d’une fête d’adolescents, d’un gros pique-nique et lors d’évènements sportifs. « Et ce n’est pas des évènements à 10 », note la Dre Drouin.

Le groupe des 18-30 ans est encore le plus touché par la COVID-19, souligne la Dre Drouin, qui appelle la population à collaborer aux enquêtes de santé publique.

Quand Montréal était en confinement, le printemps dernier, chaque cas de COVID-19 était lié en moyenne à 10 autres personnes – ce qu’on appelle des « contacts ». Aujourd’hui, chaque cas est lié à de 40 à 50 contacts. Une situation qui met une pression énorme sur les équipes de santé publique, note la Dre Drouin.

Elle rappelle que le réseau de la santé « est fragilisé » et qu’il faut donc y faire attention. « C’est maintenant qu’on doit se resserrer les coudes. Limiter nos contacts. Limiter les évènements où on est à plusieurs », plaide-t-elle. D’autant qu’avec son « contexte urbain », Montréal est plus « propice à une transmission plus accrue, plus rapide ».

rentrée parlementaire

Les complotistes défient Québec devant le parlement

Québec — Au moment où le gouvernement Legault martèle que la remontée de cas de COVID-19 est « critique » et « inquiétante », des centaines de complotistes – dont certains nient l’existence d’une pandémie – ont défié les élus, mardi, en se rassemblant aux portes du parlement, à Québec.

La dichotomie entre les manifestants et les députés, réunis pour la première fois depuis juin au Salon bleu, était saisissante. Dans la rue, les gens étaient rassemblés pacifiquement, collés les uns sur les autres, et la vaste majorité d’entre eux ne portaient pas le masque. Des discours se sont succédé pour nier l’existence d’une pandémie ou d’une potentielle deuxième vague, alors que des drapeaux du Québec, des patriotes, du Canada et du président des États-Unis, Donald Trump, flottaient parmi la foule.

Le premier ministre du Québec, François Legault, qui a été la cible de menaces de Québécois opposés au port du masque dans les lieux publics fermés, a affirmé mardi qu’il n’excluait pas d’imposer le masque aux manifestants qui s’opposent aux mesures sanitaires. Or, pour l’instant, ces manifestations ne génèrent pas de foyers d’éclosion, a-t-il dit.

« Au Québec, c’est important de pouvoir exprimer son désaccord avec le gouvernement. Donc, jusqu’à tant que ça ne nuise pas à la santé publique, bien, on va le tolérer. Mais on n’exclut rien pour la suite des choses », a ajouté M. Legault.

À la période des questions, les élus ont adopté à l’unanimité une motion présentée à l’initiative de la députée indépendante Catherine Fournier, qui reconnaît « que la montée du phénomène complotiste au Québec est préoccupante et nécessite des actions concertées entre la société civile et les autorités publiques ».

Thierry Giasson, directeur du département de science politique de l’Université Laval, prévient les députés qu’ils devraient tenir compte du fait qu’environ 20 % de la population adhère aux thèses conspirationnistes.

« C’est énorme, s’est-il exclamé en entrevue téléphonique. C’est plus que les gens qui votent pour le Parti québécois, c’est plus que les gens qui votent pour Québec solidaire. »

Au moment où les travaux reprennent à l’Assemblée nationale, il faudra « prendre acte » de la situation et parler à ces gens, insiste le professeur spécialisé en communication politique.

Québec refuse une commission d’enquête indépendante

En cette reprise des travaux parlementaires à Québec, le gouvernement Legault a également rejeté la demande des partis de l’opposition de créer une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur la gestion de la pandémie dans les centres d’hébergement pour aînés, où plus de 3900 personnes sont mortes depuis mars dernier.

Les trois partis de l’opposition ont déposé une motion commune, à l’initiative du Parti québécois (PQ), pour réclamer une telle enquête. Leur demande, formulée officiellement dans la rubrique des motions sans préavis, lors de la période des questions, rappelait que la COVID-19 avait tué jusqu’à présent 5780 personnes, dont 3938 résidants de CHSLD.

Sans le consentement du leader du gouvernement, la motion n’a pu être présentée au vote.

l’opposition dénonce un Manque de clarté

Les libéraux ont également dénoncé mardi le manque de clarté du gouvernement de la Coalition avenir Québec dans ses consignes pour prévenir une deuxième vague de contaminations au coronavirus qui mènerait le Québec à se reconfiner.

Alors que la cheffe libérale, Dominique Anglade, était absente du parlement, ayant passé un test de dépistage à la COVID-19, la critique du parti en matière de santé, Marie Montpetit, a dénoncé la « confusion, le cafouillage [et] l’absence de directives précises ».

« Ça fait une semaine qu’il [le gouvernement] a déposé son code de couleurs, et on ne sait toujours pas avec précision ce que ça veut dire », a-t-elle déploré.

« Les décisions du gouvernement, ce sont elles qui vont faire en sorte qu’on ne se rendra pas à un reconfinement », a pour sa part déclaré le leader parlementaire de l’opposition officielle, André Fortin.

« On s’attend à un message clair. Pas de message clair, ça crée de la confusion, et quand il y a de la confusion, ça donne les résultats que l’on a présentement. »

— Manon Massé, cheffe de Québec solidaire

Le parti de gauche est revenu à la charge mardi avec une de ses demandes historiques : la création d’un Pharma-Québec.

« Pharma-Québec, c’est une nouvelle société d’État qui va avoir comme mandat d’assurer, à terme, l’autosuffisance du Québec en matière de médicaments, de vaccins et d’équipement médical, notamment l’équipement de protection personnelle. À court terme, un outil comme Pharma-Québec, là, c’est notre meilleure arme contre la pandémie », a affirmé le leader parlementaire solidaire Gabriel Nadeau-Dubois.

— Avec La Presse Canadienne

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