Lutte contre la pauvreté

De la charité à un véritable projet de société

L’augmentation des sommes minimums que les fondations doivent retourner en forme de dons chaque année (contingent de versement), annoncée dans le budget du gouvernement fédéral de jeudi, ouvre la porte à la nécessité d’explorer une nouvelle approche philanthropique.

Une fois cette nouvelle mesure en vigueur, j’estime que des dizaines de millions de dollars supplémentaires, au Québec, pourraient rapidement être investis dans les causes et organismes de bienfaisance. De nombreuses fondations dépassent déjà largement le contingent qui était jusqu’ici fixé, mais, pour certaines, la nouvelle exigence se traduira par une augmentation considérable de leur versement annuel.

Par ailleurs, pour les organismes communautaires qui ont pour mission la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et que Centraide du Grand Montréal soutient, le moment ne pourrait être mieux choisi de bénéficier d’une partie de ces sommes additionnelles.

Nombre de ces organismes sont dans une situation précaire et manquent cruellement de moyens. Ils doivent composer avec des contraintes aiguës de pénurie de main-d’œuvre, une augmentation de leurs coûts d’exploitation et la fatigue de leur personnel qui doit répondre au nombre sans cesse croissant des demandes de soutien et de services.

La pandémie de COVID-19 et ses effets collatéraux, le manque de logements abordables et la poussée de l’inflation ont exacerbé les nombreux enjeux sociaux auxquels faisaient déjà face les personnes en situation de vulnérabilité.

Cette nouvelle mesure, combinée à celles annoncées dans le récent budget provincial, devrait bonifier le financement des organismes communautaires.

Pouvoir compter sur un financement prévisible leur permettrait de stabiliser leurs activités, de sortir de l’urgence à court terme, de mieux planifier et de s’organiser pour apporter toute l’aide nécessaire aux personnes en situation de vulnérabilité, peu importe le contexte économique ou sanitaire ambiant.

Se fixer des objectifs communs et s’engager collectivement

En philanthropie, l’approche de collaboration a longtemps permis aux fondations d’agir sur les défis sociaux. Elles ont maximisé leur impact en se joignant à un groupe plus grand, en s’appuyant sur l’expertise des autres, et elles ont bénéficié des apprentissages communs.

Cette approche ne permet toutefois pas d’impliquer systématiquement la société civile et, trop souvent, les organismes communautaires. Elle ne tient pas toujours compte, non plus, des besoins qui émanent des communautés elles-mêmes et de leurs réalités propres.

Cela peut paraître complexe de réunir des personnes qui proviennent d’instances diverses avec leurs objectifs propres, mais, ces dernières années, j’ai été témoin de modèles de collaboration qui ont montré de beaux résultats : l’Initiative montréalaise de soutien au développement local et ses tables de quartier ou encore le Projet Impact collectif, ce dernier réunissant des fondations privées et des institutions comme la Santé publique et la Ville de Montréal.

Si la collaboration est un modèle qui permet les échanges et qui a vu naître des projets inspirants, il convient maintenant de le pousser un peu plus loin. La collaboration doit céder la place à l’engagement de la communauté et des citoyens afin de cibler les problèmes, d’effectuer des changements systémiques et de réduire ainsi plus efficacement les inégalités.

La pression qu’exercent les enjeux sociaux sur la communauté et le souhait d’y remédier appellent souvent des changements rapides dont l’impact est immédiatement visible : contribuer à servir 5 000 repas, par exemple.

Viser une transformation sociale sur le long terme n’apporte des résultats qu’après de multiples essais et erreurs, mais permet de s’attaquer en amont aux causes de la pauvreté et de l’exclusion plutôt qu’à ses seuls effets.

Je pense que, avant de trouver des solutions aux effets de la pauvreté, il faut s’attarder à développer une vision commune des problèmes et se fixer des objectifs communs. Pour ce faire, nous devons envisager une nouvelle forme de philanthropie que l’on pourrait appeler philanthropie communautaire, où toutes et tous seraient mis à contribution : les citoyens, les organismes communautaires, le milieu des affaires, les institutions, les villes et les gouvernements, etc. Cette approche permettrait un dialogue franc, parfois dissonant, où les enjeux de pouvoir seraient atténués par la mise en commun des expériences.

La pandémie de COVID-19 nous a rappelé que l’esprit de communauté transcende l’individualisme. Nous avons compris que les inégalités sociales et économiques continuent de grandir et qu’elles sont en partie responsables des enjeux de pauvreté.

Il y a une richesse inestimable à construire une société juste, équitable et égalitaire où toutes et tous peuvent vivre selon leurs aspirations légitimes. Il reste beaucoup à faire pour répondre aux besoins des enfants, des familles, des personnes âgées et des personnes marginalisées.

Dans l’établissement d’un projet de société efficace en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, nous ne disposons ni d’assez de temps, ni d’assez d’énergie, ni d’assez d’argent pour nous permettre d’en dépenser en vain.

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