Mon clin d’œil

Encore quelques victoires et Claude Julien va sourire autant que Kotkaniemi.

Opinion : Téo taxi

Un modèle rigide incapable de concurrencer Uber

Téo Taxi est possiblement arrivée à la fin de sa route. Bien que François Bonnardel, ministre des Transports du Québec, a déclaré le modèle d’affaires de Téo « brisé », en réfléchissant à sa disparition, il est important de distinguer sa mission de son modèle.

Cette distinction est primordiale, car la mission de Téo (la promotion d’un service de transport durable et éthique) était un objectif important et admirable ; malheureusement, elle a été mal exécutée. 

À l’échelle locale, Téo Taxi s’était positionnée en concurrence directe avec Uber. Les espoirs étaient grands pour la jeune entreprise montréalaise. Malgré ses nobles intentions, Téo a largement sous-estimé la pression économique du marché reposant sur l’utilisation d’une plateforme numérique. De plus, le fait que Téo Taxi était vraiment un concurrent d’Uber demeure même discutable. 

Tel que plusieurs le reconnaissent, Uber est la figure emblématique de la gig economy, un marché du travail numérique dans lequel des organisations recrutent des travailleurs indépendants pour des emplois à court terme, appelés gigs. En tant que pionnière de l’industrie, Uber a été classée comme une entreprise proposant une innovation perturbatrice. Par contre, bien que disposant d’une technologie similaire sous la forme d’une application mobile, Téo n’était qu’un modèle d’affaires de taxi numérisé, une approche désespérément nécessaire dans cette industrie locale archaïque et moribonde. 

Comme le démontrent les applications de type Uber développées par Taxi Diamond et Téo, les technologies sur lesquelles reposent les modèles de covoiturage commerciaux sont facilement reproduites. Cela implique que la concurrence dans la gig economy dépend tout autant de la technologie que de la mise à profit des travailleurs sur demande. La relation contractuelle entre les travailleurs indépendants et l’entreprise est une caractéristique essentielle de la gig economy. Cette caractéristique permet à Uber de bénéficier de coûts réduits (par exemple, absence de frais d’avantages sociaux pour les employés et d’espaces de bureaux), ainsi que d’une force de travail flexible. 

Avec 450 travailleurs syndiqués à qui Téo accordait un taux horaire de 15 $, Téo perdait de l’argent en période creuse. À l’opposé, Uber ne rémunère ses chauffeurs que pour les courses effectuées.

De plus, Uber applique une tarification dynamique qui permet d’imposer des prix plus élevés en période de pointe. Il faut ajouter à cela les frais qu’entraînent la propriété d’un parc de voitures et l’octroi d’avantages sociaux. Ainsi, Téo n’était en réalité qu’une autre compagnie de taxi, et son modèle rigide (avec des frais substantiellement supérieurs) l’empêchait de concurrencer pleinement Uber. 

Ce qui est surprenant après cet échec, c’est le manque de rapprochement avec d’autres entreprises similaires qui ont tenté de rivaliser avec Uber. Par exemple, en 2016, Juno, l’autoproclamé « anti-Uber », a été créé à New York. Juno a promu une approche plus éthique en offrant des actions aux conducteurs, en percevant moins de commissions et en promettant un centre de support, entre autres. Malheureusement, Juno a eu du mal à être rentable et a finalement été rachetée par Gett, un service de covoiturage mondial, qui a ensuite mis fin au programme d’actions offert aux chauffeurs. 

Des contre-exemples

Ainsi, les bons gars finissent-ils les derniers ? Pas nécessairement, en 2016, Volkswagen a lancé MOIA, un service de mobilité entièrement électrique. Bien que la vision soit similaire à celle de Téo, le modèle d’affaires est axé sur le partage des trajets par navettes électriques. Il faut toutefois noter que MOIA n’a pas eu à concurrencer Uber dans sa ville pilote et qu'elle se développera désormais à Hambourg, où elle devra y faire face. Certaines entreprises locales ont toutefois réussi à éliminer Uber. Par exemple, Grab, une entreprise de transport qui possède le plus grand parc de véhicules électriques et hybrides en Asie du Sud-Est, a réussi à éliminer Uber du marché en 2018. 

Du côté du traitement des travailleurs, Hilfr, une entreprise de la gig economy, a récemment signé une convention collective avec le syndicat 3F. Après 100 heures, les travailleurs de Hilfr sont automatiquement couverts par la convention, qui leur donne un salaire minimum, des congés de maladie, ainsi qu’un régime de retraite.

Ce modèle indique que les avantages de flexibilité et de rapidité de la gig economy peuvent coexister avec le traitement éthique des travailleurs. 

Alors devons-nous garder espoir pour Téo ? D’un côté, Uber bénéficie de l’avantage du premier arrivé et de puissants effets de réseau (son attrait en fonction du nombre d’usagers). De l’autre côté, lorsque chauffeurs et passagers peuvent accéder simultanément à d’autres plateformes de covoiturage, et que les frais de passage de l’une à l’autre sont modestes, ces effets de réseau ont tendance à s’atténuer si les entreprises parviennent à réduire suffisamment leurs délais d’attente. Dans ce contexte, les plateformes de covoiturage ne peuvent alors rivaliser que sur une stratégie de différenciation. 

En fait, alors qu’Uber et Lyft se rapprochent d’un premier appel public à l’épargne, et que les investisseurs questionnent davantage le modèle d’affaires, nous verrons probablement des entreprises concurrentes désirant se différencier de manière à justifier une hausse de prix pour assurer une longévité. Il y aurait donc certainement de la place pour une entreprise comme Téo si elle peut disposer d’un nombre suffisant de voitures et si le gouvernement permet d’appliquer des tarifs flexibles tels qu’Uber, Lyft et même MOIA. 

Finalement, bien que Téo n’a pas pu survivre au modèle désiré, il faut garder en tête que sa vision et son désir d’améliorer notre monde ne doit pas être écarté du revers de la main puisque nous avons démontré qu’ailleurs, certaines entreprises ont du succès malgré certains défis.

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