Opinion : Troisième lien à Québec

La modernité tonitruante des années 1960

Le gouvernement de la CAQ entend nous persuader que l’avenir de la région de la capitale nationale dépend de la construction d’un troisième lien entre Québec et Lévis. Ce projet, au dire du premier ministre, fera de Québec une grande métropole. Il est plutôt paradoxal de prétendre fonder l’avenir d’une région métropolitaine en tablant sur une conception indéniablement dépassée – et désespérément coûteuse − du transport.

L’évaluation totalement fantaisiste et frivole des besoins en transport automobile devrait suffire à convaincre que le projet « ne tient pas la route ». Mais les voies de la politique québécoise sont souvent insondables, surtout quand il s’agit de ponts… de tunnels et de campagnes électorales à venir. Le moins que l’on puisse dire, c’est que certains engagements électoraux sont considérés comme plus rentables que d’autres.

On se sent néanmoins dans l’obligation de trouver un justificatif plus convaincant. Le comble est toutefois atteint quand on soutient que le projet de Réseau express de la Capitale est une initiative favorable aux transports collectifs. D’autant qu’on affirme dans la foulée qu’on n’enlèvera rien aux automobilistes. Pourquoi, dans cette circonstance, ces derniers abandonneraient-ils leurs voitures, une fois l’effet de nouveauté du tramway passé, si tant est que cela suffise à souhaiter en faire l’essai ?

D’autant que cette affirmation est d’emblée fausse à sa face même.

En construisant un tunnel et en créant des voies réservées sur lesquelles on reportera autobus, taxis et véhicules électriques, on augmentera la capacité du réseau autoroutier de manière importante.

Or, l’expérience des dernières décennies est on ne peut plus claire : il s’agit là de la voie royale d’une croissance de la circulation véhiculaire. Sans compter qu’il est toujours possible, advenant une montée de la grogne chez les automobilistes, de rendre moins exclusives ces voies réservées. Ce qui fait d’ailleurs dire aux experts qu’il s’agit là de l’approche transports collectifs la moins prometteuse et la moins durable quand on la compare aux modes collectifs dédiés, notamment le train de banlieue, le SLR, le tramway et le bus en emprises propres.

Favoriser l'étalement

On fait par ailleurs peu de cas de l’effet de ce projet sur l’évolution des périmètres d’urbanisation. Dans un contexte où les deux principales régions métropolitaines du Québec comptent parmi les plus étalées du Canada et où les efforts consentis ces dernières années pour corriger le tir ont donné des résultats pour le moins modestes, il n’y a là rien de très réjouissant.

L’étalement qui sera favorisé, y compris en matière d’emploi, ne manquera pas de plomber encore davantage la capacité des transports collectifs de répondre adéquatement à une demande déjà difficile à satisfaire de manière convenable.

L’enthousiasme manifesté par le monde politique, y compris à l’extérieur de la Communauté métropolitaine de Québec côté Rive-Sud, ne laisse aucun doute sur l’état d’esprit d’édiles municipaux qui ne manqueront pas de revendiquer leur droit au développement.

Rien dans ce qui a été présenté le 17 mai dernier n’a refroidi l’ardeur des nombreux opposants au projet, tant s’en faut. On voit mal comment il aurait pu en être autrement. Le refus obstiné du gouvernement Legault d’écouter les nombreux experts qui mettent en doute le bien-fondé du projet, ainsi que le rejet par anticipation de tout rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui formulerait des réserves, montre cependant qu’on a affaire à une conception étriquée du progrès et de la manière de piloter les grands projets.

Il y a certes de quoi être inquiet. Cette attitude et la position de ce gouvernement dans d’autres dossiers apparentés incitent par ailleurs à s’interroger sur la portée prévisible de la grande conversation sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire à laquelle la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation convie la population. On admettra en la circonstance que le message véhiculé en regard du troisième lien par ses collègues du Conseil des ministres est pour le moins ambigu.

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