La pénurie de lait pour bébé risque de durer
Washington — La pénurie de lait pour bébé aux États-Unis va durer, et met en lumière l’absence de concurrence qui s’est propagée à tous les pans de l’économie, n’épargnant aucun produit, même les plus vitaux comme ceux pour les nouveau-nés.
Ce problème « ne va pas se régler en un jour ou en une semaine », a reconnu vendredi sur CNN Brian Deese, le conseiller économique de la Maison-Blanche, sans être en mesure de dire combien de temps la crise allait durer.
Selon le fournisseur de données Datasembly, le taux de rupture de stock de préparations de lait pour nourrissons a atteint 43 % à la fin de la semaine dernière.
Cette pénurie a plongé de nombreux parents dans le désarroi et la crainte de perdre leur nourrisson. Pour de nombreuses familles, le lait maternisé est une nécessité, en particulier dans les foyers modestes où les mamans, contraintes de reprendre le travail immédiatement après l’accouchement, ne peuvent pas allaiter. À leur inquiétude s’est ajoutée la hausse des prix.
Usine d’Abbott
Initialement causée par des problèmes sur la chaîne d’approvisionnement et un manque de main-d’œuvre en raison de la pandémie, la pénurie a été aggravée lorsqu’en février une usine du fabricant Abbott dans le Michigan a fermé après un rappel de produits soupçonnés d’avoir provoqué la mort de deux bébés.
« La sécurité est primordiale dans ce dossier », a souligné M. Deese, rappelant que l’usine d’Abbott avait été fermée en raison de problèmes de sécurité.
L’agence américaine du médicament (FDA) a dédouané le lait, mais a formulé « 483 observations » concernant l’usine, a indiqué Abbott dans un communiqué vendredi.
« Nous avons immédiatement commencé à mettre en œuvre des actions correctives et, sous réserve de l’approbation de la FDA, nous pourrions redémarrer notre production sur le site de Sturgis dans les deux semaines. »
— Extrait d’un communiqué du fabricant Abbott
Quelques semaines ?
De son côté, la FDA a promis « d’annoncer la semaine prochaine des plans » qui permettraient notamment d’importer des produits fabriqués par des groupes étrangers.
Aujourd’hui, la FDA interdit la plupart des laits infantiles, dont ceux produits en Europe, non pas pour des questions sanitaires – le lait en poudre européen est reconnu pour ses qualités nutritionnelles –, mais de normes d’étiquetage ou d’emballage.
« Nous pensons que ces efforts et d’autres en cours contribueront à améliorer considérablement l’approvisionnement aux États-Unis en quelques semaines », a estimé vendredi le patron de la FDA, Robert Califf, sur Twitter.
Le président Joe Biden a aussi évoqué « quelques semaines ou moins » pour voir réapparaître en nombre les boîtes de lait sur les rayons.
Selon lui, les niveaux de stock dans les magasins se stabilisaient cette semaine.
Accusée d’attentisme voire d’indifférence, la Maison-Blanche a présenté jeudi quelques mesures, mais dont la portée semble limitée.
Vendredi, Joe Biden a assuré que son administration était intervenue dès qu’elle avait eu connaissance du problème.
« Solution de fortune »
« La Maison-Blanche […] envisage toutes sortes d’options pour aider les parents, ce qui est une bonne chose », a déclaré à l’AFP Amanda Starbuck, directrice de recherche chez Food & Water Watch, une ONG militant notamment pour une alimentation sûre. « Mais ce n’est qu’un expédient. »
Elle souligne combien cette crise est révélatrice du problème de concentration à l’extrême sur toute la chaîne alimentaire.
Trois entreprises américaines contrôlent 95 % de toutes les ventes de lait infantile, rappelle Amanda Starbuck.
« Ce n’est pas gênant quand il s’agit de soda ou de croustille. Mais c’est grave quand on parle de biens essentiels comme le lait », a déploré la directrice de recherche de Food & Water Watch.
La situation aujourd’hui est le résultat d’un mouvement de fond qui a duré plusieurs décennies.
Et cette concentration a profité aux entreprises américaines qui, en l’absence de concurrence, ont pu s’entendre sur les prix, déplore Mme Starbuck.
« Mais les entreprises ne sont pas les seules à blâmer », poursuit-elle, se demandant pourquoi les gouvernements acceptent qu’il n’y ait que trois acteurs sur tel ou tel marché.
D’autant que leur taille gigantesque ne signifie pas qu’elles sont plus efficaces.
« Quand un seul rappel affecte tous les parents à travers le pays qui ont besoin de nourrir leur enfant, ce n’est pas efficient », lance-t-elle.