Tesla Model 3

Subventionnées par Québec... revendues plus chères en Ontario

Des centaines de voitures électriques Tesla Model 3 subventionnées par Québec ont été revendues avec « un profit intéressant » en Ontario au cours des trois dernières années, un phénomène inattendu et nettement en croissance en raison de la rareté du modèle et de l’abolition des subventions en Ontario.

Ces véhicules ont tous profité de la subvention de 8000 $ de Québec, à laquelle s’ajoutait le crédit fédéral de 5000 $. En Ontario, la subvention provinciale de 14 000 $ a été abolie en 2018 par le gouvernement de Doug Ford.

« Eric », qui veut garder l’anonymat parce qu’il craint de se faire « lancer des roches pour avoir profité des subventions du gouvernement », est un des nombreux propriétaires de Tesla qui ont trouvé ce filon.

« Avec les rabais, j’ai payé ma Tesla 43 000 $ plus taxes en 2019. J’avais fait zéro réparation dessus. Quand j’ai décidé de la mettre en vente, un gars de l’Ontario m’a offert 50 000 $. Mon char ne m’a rien coûté pour deux ans d’utilisation. »

Sur Facebook, le forum privé Tesla Model 3 Québec regroupe 10 100 membres. Des centaines de publications font référence à cette pratique. Des propriétaires de Tesla Model 3 demandent conseil et obtiennent des offres alléchantes de revendeurs québécois qui transfèrent ces voitures en Ontario.

Aucun des revendeurs qui s’affichent sur le forum n’a répondu aux sollicitations de La Presse. Deux concessionnaires mentionnés par les participants, par contre, ont accepté d’en parler.

« Moi, ça m’écœurait de les envoyer en Ontario, mais je viens de commencer ça il y a deux mois, explique Sébastien Marcotte, propriétaire de JN Auto, commerce automobile de Richmond, en Estrie. Les gens m’appelaient, on disait non. Puis, on s’est mis à dire oui, on ne peut pas perdre ces ventes-là. »

Chez Auto Flash, concessionnaire de l’arrondissement Saint-Hubert à Longueuil, on se dit « également étonnés par ce phénomène ».

Les subventions de Québec, résume le propriétaire Adam Schrufer dans un courriel envoyé à La Presse, « réduisent le coût du véhicule assez pour permettre aux propriétaires de ces véhicules de réaliser un profit intéressant en vendant leur véhicule après un an ».

Pour conserver la totalité de leur subvention québécoise de 8000 $, les vendeurs doivent en effet avoir conservé leur voiture électrique pendant au moins un an.

Spécifique à Tesla

À l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ), OBNL créé en 2013 pour promouvoir l’électrification des transports, on note que le phénomène de revente en Ontario a réellement pris son envol en 2021. Les statistiques de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) compilées à la demande de La Presse le confirment. Entre le 1er janvier 2019 et le 22 décembre 2021, 641 Tesla Model 3 immatriculées au Québec ont été revendues en Ontario. De 4 reventes en 2019, on est passé à 70 en 2020, puis à 567 en 2021.

« Beaucoup de revendeurs se tiennent aux abords des bornes de recharge rapide de Tesla et approchent les propriétaires en offrant tel montant, selon le nombre d’années et de kilomètres, rapporte Simon-Pierre Rioux, président et fondateur de l’AVEQ. Ils ne se gênent pas, ça se fait de façon très ouverte, et beaucoup de gens en ont profité. »

Les sources interrogées par La Presse confirment que ce phénomène touche presque exclusivement les Tesla Model 3 SR, dont la demande a tellement explosé que les prochaines livraisons n’auront lieu qu’en juin 2022, selon le site de l’entreprise.

Depuis les hausses de prix annoncées par Tesla en novembre dernier, ce modèle n’est plus admissible à la subvention fédérale de 5000 $, mais demeure, à 10 $ près, sous la limite de 60 000 $ imposée par Québec.

Les autres modèles électriques populaires, comme la Kona Électrique de Hyundai ou la Bolt EV de Chevrolet, ne semblent pas susciter cette frénésie.

« Les gens s’arrachent les Tesla, qui sont vraiment exceptionnelles, et pas seulement comparativement aux autres véhicules électriques », note Simon-Pierre Rioux.

Selon les statistiques les plus récentes de la SAAQ obtenues par l’AVEQ, on comptait au 30 juin dernier 13 088 Tesla Model 3 immatriculées au Québec, soit 12 % du parc de 110 774 véhicules électriques, qui comprend également les hybrides rechargeables. La Tesla Model 3 est devenue le 31 mars dernier le véhicule électrique le plus populaire au Québec, dépassant la Chevrolet Volt.

Malaise chez les vendeurs

Les 641 Tesla revendues en Ontario auraient permis aux premiers acheteurs de bénéficier d’un total de 5,1 millions de dollars depuis 2019 en subventions de Québec. Il n’a pas été possible d’obtenir les commentaires à ce sujet du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, de qui relève le programme Roulez vert.

Depuis l’implantation de ce programme, initialement baptisé Roulez électrique en 2012, Québec a accordé 504 millions en subventions pour l’achat de véhicules électriques neufs, et 287 millions pour des véhicules hybrides rechargeables.

Le fait que des subventions de Québec finissent par électrifier le parc automobile ontarien crée de toute évidence un malaise chez certains vendeurs. Marc-Antoine, contacté sur le forum Facebook et qui souhaite lui aussi garder l’anonymat, s’apprête à vendre sa Tesla Model 3 dès qu’il aura reçu la nouvelle version qu’il a commandée en août dernier. « Je comprends que ça puisse chatouiller un peu. À offre équivalente, je vais choisir le Québec. Mais la valeur de revente des Tesla, c’est fou, je vais la vendre en deux jours quand je vais l’afficher. »

Selon Simon-Pierre Rioux, les propriétaires de Tesla Model 3 devraient effectivement bien y penser avant de se départir de leur véhicule. « Ce sont des véhicules qui gardent leur valeur de toute façon, qui bénéficient de mises à jour et d’améliorations logicielles régulières. »

Le président de l’AVEQ estime que ce sont surtout les revendeurs québécois qui font des affaires en or. Les Ontariens, eux, n’évaluent pas toujours l’impact des taxes à la consommation, de 2 % plus élevées au Québec.

Outre l’absence de subventions en Ontario, le phénomène repose essentiellement sur l’offre insuffisante de Tesla Model 3, analyse-t-il. La pénurie devrait être moins criante d’ici peu. « Il va y avoir une nouvelle usine au Texas, une à Berlin, [et] celle de Shanghai commence à exporter. Dans quelques mois, on va avoir une augmentation phénoménale du nombre de ces véhicules. »

— Avec Maude Goyer, collaboration spéciale

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