La joie de Mary-Sophie, la peine de Katerine
Toronto — Mary-Sophie Harvey a réussi son pari en se qualifiant pour les Jeux olympiques de Paris dès sa première épreuve au 100 m papillon, lundi, aux Essais canadiens de natation de Toronto.
À l’inverse, son ex-coéquipière Katerine Savard a mordu la poussière, terminant cinquième à sa distance de prédilection, un coup au cœur pour la nageuse de 30 ans qui avait vécu une déception similaire dans des circonstances différentes en 2016.
Sans surprise, la finale a été dominée par Maggie Mac Neil. La championne olympique en titre s’est imposée en 56,61 s, un temps un poil plus lent que lors des séries en matinée, où elle avait semblé si en contrôle. L’Ontarienne a pris un moment pour consoler son amie Katerine Savard, qui évoluait dans le couloir voisin.
De l’autre côté, Harvey jubilait après avoir réussi ce qu’elle s’était promis après s’être contentée d’un relais en préliminaires aux Jeux de Tokyo : se qualifier dans au moins une épreuve individuelle pour Paris.
« Ça représente tout ! », a réagi l’athlète originaire de Trois-Rivières, tandis que son père, l’ex-nageur du Rouge et Or de l’Université Laval André Harvey, l’observait avec admiration. Sa mère, Stéphanie Matte, elle aussi ancienne nageuse de bon niveau, était également dans les gradins du Centre sportif panaméricain, comme sa belle-mère, ses grands-parents et ses deux tantes.
« J’ai eu beaucoup de hauts et de bas ces trois dernières années, a rappelé la jeune femme de 24 ans. Mais j’avais toujours cet objectif. […] Je savais que ce serait difficile. Tous les efforts que j’ai mis commencent à porter fruit. J’ai juste vraiment du plaisir en ce moment. »
Les émotions l’ont gagnée alors qu’elle parlait de tout le soutien qu’elle a reçu, dont celui de son entraîneur Greg Arkhurst au club CAMO. Celui-ci l’a convaincue de tenter sa chance au 100 m papillon, l’épreuve où elle a réalisé un premier record national à l’âge de 12 ans.
Ce n’est pas un hasard si la Montréalaise a un papillon tatoué sur l’avant-bras gauche. Deuxième en début de journée, elle s’est lancée pour la finale sans pression aucune dans une spécialité pour laquelle elle ne s’était pas spécifiquement préparée. « Je fais zéro fly ! J’ai fait un 50 fly cette semaine… Chaque fois que je demande à Greg, il me dit non ! »
Quatrième au virage en finale, Harvey a réussi une deuxième longueur tout en puissance pour remonter jusqu’à la deuxième place, à 64 centièmes de Mac Neil. Son temps : 57,31 s, soit près de trois quarts de seconde de mieux que son record personnel établi dans la même piscine un mois plus tôt !
C’est en apercevant Mac Neil du coin de l’œil qu’elle s’est dit : « Ça ne doit pas être si pire ! »
« Honnêtement, je pensais que je ferais comme 57 haut, que ce serait un peu serré pour le temps de qualification [57,92 s]. Je me suis dit : peut-être 58, je serais vraiment contente. 57,3 ? Je ne peux pas demander mieux. »
Harvey a continué de bondir, de rire et de gesticuler en anticipant avec appétit les quatre autres courses qui l’attendent cette semaine, à commencer par le 200 m libre dès ce mardi.
Les hauts, les bas
Elle a néanmoins ressenti « un petit pincement » pour Savard, sa partenaire d’entraînement des cinq dernières années. En février, la nageuse de 30 ans a quitté le club CAMO pour retrouver un peu de sérénité psychologique auprès de son coach au Club région de Québec, Marc-André Pelletier.
Celui-ci l’avait sentie « un peu crispée » dans les séries, où elle a effectué une traction de plus que la normale sur la deuxième longueur pour toucher le mur avec le troisième chrono, à égalité avec Rebecca Smith, une rivale de longue date.
Même si elle s’est remise d’aplomb depuis son retour à la maison, la native de Pont-Rouge a manifestement manqué de temps pour se rapprocher de son niveau d’antan. En finale, elle a viré troisième à deux dixièmes de Mac Neil, mais la deuxième portion lui a été fatale. Son chrono de 58,93 s était supérieur de trois dixièmes à celui de la matinée.
À sa sortie de la piscine, Savard s’est donné du temps pour digérer sa déception. Elle est revenue devant les journalistes peut-être une heure plus tard, les émotions toujours à fleur de peau.
Les questions étaient presque superflues. Impossible de ne pas penser à 2016, alors que la cinquième mondiale de l’époque avait reçu comme un coup de poignard sa troisième place surprise aux sélections olympiques.
« En 2016, j’avais mis tous mes œufs dans le même panier, a-t-elle rappelé d’entrée de jeu. J’avais vécu ça comme un choc. Je me suis découverte autrement en tant qu’athlète cette année. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que c’était une possibilité [de ne pas me qualifier]. Avec ce que j’ai vu dans les derniers mois, je ne savais pas nécessairement où j’en étais. Je m’étais en quelque sorte préparée à ce que ça puisse arriver. »
Ce n’était pas plus facile pour autant. Ses yeux rougis au-dessus d’un sourire résigné étaient là pour en témoigner.
« Les émotions sont quand même là. Je peux dire fièrement que j’ai porté la natation au Québec pendant 15 ans… Ce n’est pas encore fini, il me reste deux courses. C’est sûr que c’est une déception. Si je suis encore là après 15 ans, c’est que ça me tient à cœur ! »
— Katerine Savard
Savard a réitéré qu’elle ne regrettait pas ses choix, dont celui de quitter CAMO après 11 ans et une médaille de bronze olympique sous ces couleurs en 2016. Elle détient toujours le record québécois du 100 m papillon, qui a échappé à Harvey par six centièmes.
« J’ai eu une dernière année quand même assez difficile mentalement, mais je pense que j’ai pris toutes les décisions pour moi, pour me sortir de là, a souligné Savard. En fin de compte, c’est ce qui compte. Je suis arrivée ici dans un état d’esprit beaucoup plus sain. C’est important parce que c’est ce qui va me suivre dans le futur. C’est ma tête, ce n’est pas mon corps. »
Tout n’est pas perdu pour Savard, qui s’alignera au 200 m libre, ce mardi, et au 100 m libre, vendredi, avec la possibilité de se qualifier pour les relais. En 2016, elle avait fini deuxième derrière une jeune Penny Oleksiak deux jours après sa déconvenue au papillon.
« Je compatis vraiment avec elle, a commenté Mac Neil, qui lui a fait une longue accolade dans la piscine. La même chose lui est arrivée en 2016 et elle s’est ressaisie pour se classer dans une autre épreuve. Je pense vraiment qu’il y en a encore plus pour elle. »
Katerine Savard a une nuit pour s’en convaincre après avoir nagé ce qui était potentiellement son dernier 100 m papillon en carrière.
« C’est très possible. Je ne veux rien avancer par rapport à ça, mais ça fait quelque temps que je sais que la retraite s’en vient. J’avais vraiment espoir de représenter le pays pour de quatrièmes Jeux au 100 m papillon. C’est un scénario qui peut être différent. Je dois laisser passer les émotions, mais il faudrait que je les mette de côté dans quelques heures parce que les deux autres chances, il ne faut pas que je les manque. »
— Katerine Savard
Comme pour tester un peu plus sa résilience, Savard a été choisie pour un contrôle antidopage inopiné, urinaire et sanguin. Elle devait attendre deux heures après son dernier effort intense pour s’y soumettre afin que le résultat soit valide. Plus de deux heures et demie après la fin de sa course, elle poireautait toujours dans une salle en essayant de se conformer à cette exigence… Si elle réussit à passer au relais, elle ne l’aura pas volé.