Opinion Marc Séguin

Le miracle de la p’tite vache

Suis allé porter du foin aux cochons cette semaine. Pour qu’elles se fassent des nids ; les truies vont mettre bas d’ici quelques jours. Cycles naturels. Rassurants. Les sucres ont fait une longue pause parce que l’hiver s’accrochait à mars. C’est le temps de faire de la soupe aux pois et des bines. J’en ai aussi profité pour aller quelques jours au milieu du fleuve. La neige avait mille couleurs. Blanche aussi, comme du bicarbonate de soude.

À l’est de Québec, les glaces des berges sont déjà cassées. Elles flottent sur le courant du Saint-Laurent. Ce n’est pas nous qui avons décidé du sens. C’est beau. Un moment donné, je me suis arrêté une heure sur les battures, hypnotisé par ce mouvement lent et les bruits d’entrechoquement. Suis tombé pile poil au moment où la marée s’est mise à monter. Alors, les blocs qui s’en allaient vers le golfe se sont immobilisés sur l’eau, puis se sont mis à reculer, et à dériver dans l’autre sens, d’où ils venaient, en amont. Étrange beauté. Dans l’ancien temps, on aurait dit un truc de sorcière. Quelques secondes de grâce. Suis chanceux d’avoir été là, à ce moment. Ça fait parfois du bien de sortir de soi.

Je ne regarde à peu près pas la télé. Hormis quelques trucs avec les enfants, dont j’ignore le canal ; ce sont eux qui connaissent ces émissions. Des trucs sauvages. Sur des gens qui survivent seuls, dans des forêts, des montagnes et des endroits reculés, loin de notre civilisation. Même si c’est un ressac, ça fait du bien de voir que des gens savent faire des feux, se nourrir, marcher, construire des choses et se parler. Je n’ai rien contre la technologie, au contraire ; elle confronte mes limites.

Je n’ai jamais été sur les réseaux sociaux. Pas même une seconde. Ce qui se passe cette semaine, cette alerte sur l’utilisation des données personnelles par Facebook, me fait sourire. Pourquoi se scandalise-t-on que des gens utilisent ces données ? On croyait quoi ? Tout le monde fouille son voisin et espionne les autres, pour se rassurer de son état. Est-on assez bête pour penser que ce n’est qu’une façon de communiquer, et que ça n’engendre que les beaux rapports humains nécessaires et essentiels à notre belle humanité ? Come on. Si je vais à la poste, au village, et que je parle de mes cochons à un voisin, je sais fort bien que d’autres gens vont m’en parler.

Dans l’ancien temps, on appelait ça des commères. Ces personnes avaient l’avantage de connaître des choses. Ça leur conférait un pouvoir. Des informations. Les réseaux sociaux sont aussi des commères. À la différence que cette fois, c’est avec assentiment et confession. C’est fabuleux, mais à mon avis, c’est encore pire quand c’est volontaire, surtout quand on a les outils pour en faire des moyennes. Mais comme on a envie d’exister… faut aussi assumer les conséquences de cette réalité. Ça nourrit nos monstres. On nous fait croire qu’on a une voix, qu’on existe, qu’on est important. Certains ont compris cet avantage.

Pourquoi s’inquiéter ? Toute cette affaire nous nomme merveilleusement bien. Nous sommes devenus une pseudocratie.

Va-t-on perdre au change ? On a élu des ploucs, à mon avis une conséquence directe de ce vide, ces trois dernières années. À travers quelques éclaircies heureuses, notons-le. Mais ça vient beaucoup avec une perte de sens, ces moyennes. L’art s’est institutionnalisé. Notre cinéma d’auteur renvoie trop souvent l’image d’une résignation. Les jeunes auteurs, tous genres confondus, sont inquiets. Ils ne savent plus quoi écrire. La réalité étouffe la fiction. Pour ça, j’en veux aux réseaux sociaux.

À travers la complexité des rapports humains, je persiste à croire qu’on va perdre à faire semblant que tout va bien. L’équilibre des moyennes sert le pouvoir en place, qui n’en n’a jamais assez. Faudrait redonner ce pouvoir à des gens qui auraient une vision. Et l’enlever à ceux qui ne font que le gérer.

On peut croire ce qu’on veut. C’est déjà ça de gagné sur les grandes noirceurs. Ma grand-mère mettait de la p’tite vache dans ses bines (du bicarbonate de soude). C’était supposé atténuer les effets indésirables de digestion des légumineuses. Elle y croyait. Peut-être que ça l’aidait. Ça n’a rien changé pour moi. Et ça ne m’empêche pas d’en manger. Les truies, qui incidemment et par la force des choses se retrouveront dans les fèves au lard dans un avenir plus ou moins rapproché (tsé, quand toutte est dans toutte !), n’ont pas Facebook et ne semblent pas trop s’en formaliser. De même que les marées n’ont pas de compte Instagram pour montrer l’inversion des glaces. Ça fait parfois du bien de fixer l’horizon en silence, pour soi, au lieu de s’affirmer à tous vents comme une diarrhée !

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