Grande entrevue

Place à la baronne Amélie Nothomb

Un jour, Amélie Nothomb a demandé à son père, un baron de la noblesse belge, pourquoi elle ne pouvait pas être baronne. Il lui a répondu que le titre n’était pas transmissible et que sa seule option pour devenir baronne, c’était d’épouser un baron. Autant dire, mission impossible pour une femme qui n’a jamais cru à l’institution du mariage. Et puis, coup de théâtre, en 2015, le roi des Belges a nommé Amélie baronne avec une seule restriction : si jamais elle épouse son amoureux, il ne pourra pas devenir baron à son tour. Bonjour la parité !

La même année, la nouvelle baronne Nothomb a publié Le crime du comte Neville, une fable qui est en fait une réinterprétation de la nouvelle d’Oscar Wilde Le crime de Lord Arthur Savile.

« Neville est directement inspiré de mon père qui se sent constamment obligé de sauver les apparences. Quant à l’aristocratie belge dont je fais partie, je m’en moque un peu à travers ce conte, dans la mesure où c’est une toute petite aristocratie qui tient dans un mouchoir de poche et qui est un peu dérisoire », me lance Amélie Nothomb, assise droite sur sa chaise dans le hall d’un hôtel du Vieux-Montréal où elle vient d’atterrir.

Arrivée une heure plus tôt, elle s’est réfugiée dans sa chambre où l’attendait une maquilleuse qui a promptement retouché son look : fond de teint blanc aspirine sur yeux au charbon et lèvres rouge sang, le tout agrémenté d’une redingote noire et d’un diabolo, un chapeau haut de forme posé comme une couronne sur sa tête dans un style qu’elle qualifie de gothisme belge.

Cela fait sept ans qu’Amélie Nothomb n’est pas venue au Québec. Pas parce qu’elle boudait nos froides contrées : « Parce que je suis publiée dans 45 pays, tous très gourmands et pour qui chaque voyage fait l’objet de longues négociations », explique-t-elle de sa voix flûtée de petite fille malgré les 50 ans qu’elle fêtera en août.

Choisie par le conte

Sept ans plus tard, celle qui publie un roman par année depuis plus de 20 ans a eu le temps de publier sept livres dont les deux derniers sous forme de courts contes qui l’accompagnent aujourd’hui au Salon du livre de Québec.

En 2015, il y a eu Le crime du comte Neville (135 pages), l’histoire d’un comte ruiné et de sa cadette dépressive, et en 2016, Riquet à la houppe (188 pages), l’histoire inversée de La belle et la bête avec un homme laid qui charme tout le monde par son sens de l’autre et une beauté que tous trouvent sotte.

Pourquoi privilégier la forme du conte ?

« On ne choisit pas ce dont on tombe enceinte, répond-elle. Mais le conte, ça me va très bien. J’ai grandi dans les contes que me lisait ma mère dès l’âge de 3 ans, puis ceux de ma nourrice japonaise. »

« J’adore la fantaisie et la drôlerie des contes et le fait que les contes pour enfants racontent au fond des choses terribles. Or, je trouve ça plutôt bien qu’on enseigne aux enfants que le monde est terrible et la vie cruelle mais que l’on s’en remet. »

— Amélie Nothomb

Avec ces deux contes, la baronne écrivaine explore le thème des apparences et du paraître. Pourquoi ?

« Qu’on le veuille ou non, nous vivons dans le monde platonicien des apparences. On a beau vouloir s’attacher à la profondeur, ce sont les apparences qui mènent le monde. Le physique d’une personne, c’est ce qu’on voit en premier et c’est de prime abord ce sur quoi nous la jugeons. »

Plus qu’un simple look

Je lui demande si son look savamment construit est une façon de déjouer les apparences et de faire écran entre elle et le monde.

« Tout le contraire, réplique-t-elle. Mon gothisme belge, c’est ce qui me rend plus lisible. Si j’arrive en jeans et t-shirt, ce que je ne porte jamais, je ne dis rien. Tandis qu’avec mon chapeau et mon maquillage, je dis exactement qui je suis. »

Amélie Nothomb affirme qu’elle a toujours eu le look qu’elle arbore aujourd’hui, sauf évidemment lorsqu’elle écrit, moment où elle troque son noir gothique contre un pyjama thermonucléaire orange.

Reste que son look est devenu sa marque de commerce, y compris sur ses couvertures où elle tient l’affiche, livre après livre.

Serait-elle la présidente du marketing de sa propre marque ? Elle affirme que non et raconte qu’à la publication de son premier roman – Hygiène de l’assassin (1992) –, elle n’était pas sur la couverture.

Ce n’est qu’en 1996 qu’elle a commencé à apparaître en médaillon avant d’occuper tout l’espace. « Je ne suis pas à l’origine de cette révolution mais je l’approuve dans la mesure où elle dit aux lecteurs : “Vous voulez de l’image ? Vous allez en avoir.” »

Il n’y a pas que le look de la baronne qui la distingue, il y a le fait qu’elle est belge, un état de fait qu’elle apprécie. « C’est bien d’être belge. On ne se prend pas au sérieux, on vit à l’ombre de la France et pour un écrivain belge, la seule façon d’exister, c’est d’être publié en France, ce qui est mon cas. J’en suis ravie même si ça me place dans une position ambiguë. »

Le prochain roman d’Amélie Nothomb, qui sortira en septembre, est déjà écrit. Elle ne veut rien en révéler sinon que ce roman-là, le 26e, sera en réalité son 88e ouvrage. Amélie Nothomb raconte qu’elle écrit trois romans par année mais qu’il y en a toujours deux qui finissent dans ses tiroirs pour l’éternité parce qu’ils sont trop intimes et personnels. « Ce sont mes enfants de l’ombre. Ils correspondent à mon besoin de créer mais pas d’être publiée. » Chaque livre est écrit au stylo. La baronne n’aime pas les ordinateurs, ni les portables, ni les réseaux sociaux. Elle affirme qu’elle va continuer à écrire et à publier un roman par année, tant que ça l’amusera. Et comme elle semble être d’un naturel joyeux, ce n’est pas demain la veille que ses lecteurs devront apprendre à vivre sans un nouveau Amélie Nothomb.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.