Programme Culture et citoyenneté québécoise

UN NOUVEAU COURS EN CHANTIER

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a dévoilé dimanche le programme Culture et citoyenneté québécoise, qui remplacera le cours Éthique et culture religieuse à partir de la rentrée 2023. Au menu : la culture, la citoyenneté québécoise, ainsi que le dialogue et la pensée critique. Une refonte essentielle, selon le ministre, mais qui ne fait pas l’unanimité auprès des enseignants et des experts.

« Ça va être une transition »

Québec présente le programme Culture et citoyenneté québécoise pour remplacer celui d’Éthique et culture religieuse

La refonte du cours Éthique et culture religieuse (ECR) au profit du programme Culture et citoyenneté québécoise, dévoilée dimanche par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, était très attendue, mais elle ne fait pas l’unanimité, notamment chez les enseignants.

Trois axes guideront le cours : la culture, la citoyenneté québécoise, ainsi que le dialogue et la pensée critique.

Le nouveau programme sera déployé progressivement dans les écoles primaires et secondaires dès la rentrée 2022, puis dans l’ensemble du réseau à la rentrée 2023. Des ajustements pourront être faits au cours de l’année scolaire 2022-2023, a indiqué le ministre Roberge.

« Ça va être une transition. On n’est pas dans l’urgence. Je pense que personne ne va se sentir brusqué », a soutenu le ministre Roberge.

Les détails du programme et les contenus des cours seront mis à la disposition des professeurs au printemps 2022.

« Les enseignants vont avoir le temps de se l’approprier. Ceux qui voudront l’expérimenter en septembre 2022 le feront et les autres auront une année pour se former et se l’approprier. »

— Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation

Des formations seront offertes aux enseignants pour les encadrer dans la mise en œuvre du programme, et du matériel pédagogique leur sera fourni.

Les élèves de la 1re année du primaire à la 5e secondaire, à l’exception de ceux de 3e secondaire, bénéficieront du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise. Le nombre d’heures consacrées au cours sera déterminé plus tard dans le processus.

Le contenu

Le cours, qui se déclinera en trois axes, sera offert à tous les jeunes du primaire et du secondaire.

D’abord, le volet culture amènera les élèves à s’intéresser à la culture et à la comprendre, en mettant de l’avant la culture québécoise, comprenant notamment ses fondements, son évolution, son héritage et ses œuvres.

Ensuite, l’aspect citoyenneté québécoise traitera des valeurs, de la vie civique, du respect de soi et des autres, de l’égalité, de la laïcité et de la liberté d’expression. Les élèves seront également amenés à réfléchir aux nouveaux défis de la citoyenneté, notamment à l’ère du numérique et des questions environnementales.

Enfin, le thème du dialogue et de la pensée critique permettra « de limiter la polarisation » dans la société, a soutenu le ministre Roberge. Les élèves seront amenés à se questionner et à aborder des dilemmes moraux, à examiner les repères d’ordre culturel, religieux, scientifique et social. La défense de la liberté d’expression sera mise de l’avant.

Du contenu d’éducation à la sexualité sera intégré dans le nouveau programme. Les enjeux liés aux Premières Nations et aux Inuits seront aussi abordés et élaborés en collaboration avec les partenaires autochtones.

Des personnalités publiques donnent leur appui

Lors de l’annonce, Ingrid Falaise, Pierre Curzi et Dany Turcotte étaient présents pour donner leur appui au nouveau programme.

« J’ai quitté Tout le monde en parle il y a huit mois à cause de la haine en ligne. Je réclamais d’avoir un cours d’éthique sur les médias sociaux, et c’est inclus dans Culture et citoyenneté québécoise et je suis très content », a déclaré l’animateur Dany Turcotte, qui a précisé qu’il n’était pas payé pour être présent à la conférence de presse.

De son côté, la comédienne Ingrid Falaise, qui a été victime de violence conjugale, a rappelé l’importance d’éduquer les jeunes sur les violences sexuelles. « Pour qu’il y ait un réel changement dans notre société, il faut absolument que les mentalités changent et outiller nos enfants, et qu’ils reconnaissent les comportements qui sont inadéquats et les comportements toxiques », a-t-elle soutenu.

Une absence remarquée

Aucun membre du personnel enseignant n’a été invité à la conférence de presse du ministre Roberge. Une absence qui a été remarquée par la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), qui s’est dite « inquiète » par l’annonce de dimanche.

« Ce qu’il faut à tout prix empêcher avec cette refonte, c’est une instrumentalisation de l’éducation à des fins politiques, à un an du scrutin provincial », a affirmé par écrit Léandre Lapointe, vice-président de la FNEEQ–CSN, un syndicat représentant des enseignants de cégeps, d’universités et d’établissements d’enseignement privés.

« Ce que nous souhaitons éviter, c’est que ce nouveau cours devienne le guide-du-bon-Québécois-caquiste », a-t-il poursuivi, en évoquant que la définition de « citoyenneté québécoise » n’a pas été précisée.

Pour la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), qui représente des professeurs qui œuvrent dans des centres de services scolaires, « le fait que le programme soit révisé, c’est une bonne nouvelle selon nous », indique la vice-présidente de l’organisation, Brigitte Bilodeau. Le syndicat avait perçu une volonté des enseignants que le programme soit modifié.

Les membres du syndicat avaient fait valoir leur inquiétude que le cours devienne un « programme fourre-tout », en raison de la grande variété des sujets abordés. « Le ministre a voulu se faire rassurant, il nous a dit que tous les thèmes ne seraient pas abordés à chaque degré scolaire, à ce sens-là, ça nous convient », a déclaré Mme Bilodeau.

Elle estime cependant que c’est lorsque le programme sera dévoilé dans son entièreté que le syndicat pourra juger s’il est satisfaisant.

Ancien programme

Pour le ministre Roberge, la refonte du programme était essentielle, puisque l’ancien cours ECR proposait « des images stéréotypées » et « propageait des préjugés ».

« L’ancien programme reposait sur l’appartenance à une confession religieuse qui définit notre identité. On ne peut plus tolérer ce genre de biais dans nos écoles. »

— Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation

Il a souligné le travail remarquable des enseignants au cours des dernières années, mais a ajouté qu’il y avait tout de même « quelque chose de vicieux dans le cours d’Éthique et culture religieuse. »

Pour le ministre, le nouveau cours est une façon de résoudre les problèmes de notre société qui se sont accentués dans les dernières années. « Dans notre société [actuelle], les propos nuancés sont trop rares. Ce n’est pas propre au dialogue et aux échanges respectueux », a-t-il indiqué.

Il déplore notamment les appels à la censure, le manque de respect sur les réseaux sociaux et les atteintes à la libre expression, qu’il dit de plus en plus marquants dans notre société. Selon lui, le nouveau cours permettra de retrouver les bases du dialogue et des relations respectueuses.

l’opposition réagit

« Je trouve que c’est une longue liste d’épicerie pour le peu d’heures qui sont consacrées à ce cours-là actuellement. […] C’est comme si le ministre présentait ce cours comme une solution magique pour un très grand nombre d’enjeux de société qui sont importants. »

— Christine Labrie, porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation

« J’ai l’impression qu’ils ont fait un gros show de boucane pour annoncer qu’ils ont changé une piastre en quatre 30 sous, mais ils n’ont toujours pas défini ce qu’est la citoyenneté québécoise. C’est parce que la très grande majorité des thèmes qu’ils ont annoncés aujourd’hui sont déjà abordés, mais portent un autre nom. »

— Marwah Rizqy, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière d’éducation

« Le Parti québécois demande depuis plusieurs années l’abolition du cours ECR, un cours qui laissait une place prépondérante aux religions et non sans véhiculer certains stéréotypes. Nous nous réjouissons que la CAQ partage maintenant notre point de vue. Nous espérons, ceci dit, que le contenu du futur cours sera sans biais et qu’il ne deviendra pas non plus un fourre-tout dans lequel les élèves auraient du mal à trouver un fil conducteur. Nous serons très intéressés et vigilants pour la suite. »

— Véronique Hivon, porte-parole du Parti québécois en matière d’éducation

Les trois axes

Culture

Comprendre la culture québécoise

Apprendre ses fondements, son évolution, ses ambassadeurs et ses œuvres phares

Comprendre les diverses formes que la culture peut revêtir à travers le monde

Protéger et promouvoir sa culture, son héritage et ses particularités propres

Citoyenneté québécoise

Comprendre les principes fondamentaux de la vie civique

Initiation aux institutions démocratiques et judiciaires québécoises

Éducation aux médias et aux médias sociaux

Réflexion sur les nouveaux défis de la citoyenneté

Éducation sexuelle

Dialogue et pensée critique

Développer leur esprit critique par la pratique du dialogue

Questionner et aborder des dilemmes moraux

Examiner, évaluer et analyser les repères d’ordre culturel, religieux, scientifique et social

Argumenter dans le respect

un accueil mitigé

Si certains sont heureux de l’instauration du programme Culture et citoyenneté québécoise, pour d’autres, la réforme du cours d’Éthique et culture religieuse (ECR) a l’effet d’une gifle. L’opacité du processus de conception du programme est montrée du doigt, et des enseignants estiment que les changements proposés par le ministre de l’Éducation n’en sont pas vraiment.

« Des orientations floues »

« Il y a énormément de choses qui ont été présentées comme étant nouvelles, et c’est ce qu’on fait depuis des années en ECR dans le programme actuel », lance Line Dubé, présidente de l’Association québécoise en éthique et culture religieuse (AQECR). Plusieurs éléments du nouveau cours restent aussi à préciser, estime Mme Dubé. « Les orientations demeurent encore floues pour les pédagogues », dit-elle. « Axe, compétence, savoir, ça semble interchangeable dans la bouche du ministre. Sur le plancher des vaches, c’est autrement », ajoute la présidente de l’AQECR.

Éviter le danger de l’endoctrinement

Normand Baillargeon, essayiste, auteur et ancien professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), accueille positivement le nouveau programme présenté dimanche. « J’ai été critique du cours d’ECR. Je n’aimais pas moi non plus la réduction de l’identité à la religion, l’absence de perspective critique sur la religion », affirme-t-il. « Dans ce qui semble s’annoncer, on veut voir les cultures et les religions comme une composante possible des cultures ou des individus », a-t-il ajouté, disant avoir une position nuancée sur la question. Pour l’auteur, il est primordial de ne pas tomber dans « le danger d’endoctrinement sur le plan intellectuel et le danger de propagande sur le plan politique » en enseignant ce nouveau cours.

Le dilemme de la laïcité

Michel Seymour, essayiste et professeur de philosophie à la retraite de l’Université de Montréal, croit qu’il est « symptomatique » de remplacer le cours d’ECR. Pour l’homme, enseigner les différentes religions relève du devoir de laïcité de la province. « La disparition du cours d’ECR, ce n’est pour moi pas un indice que l’État est vraiment laïque. C’est un indice que la laïcité qui est pratiquée en est une qui vise à expulser la religion de l’espace public, pour la confiner dans l’espace privé », explique-t-il. La laïcité « doit inclure non seulement l’indépendance entre l’Église et l’État, mais [aussi] la neutralité de l’État. Pour que l’État soit vraiment neutre, il doit respecter les différentes postures à l’égard de la religion », renchérit-il.

« Une réforme de nature politique »

Le processus de réforme du cours d’ECR est critiqué par plusieurs acteurs du milieu de l’éducation. « Le ministre annonce une réforme qui n’est pas de nature pédagogique, c’est une réforme de nature politique », affirme le président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Sylvain Mallette. « Le ministre n’est pas capable de nous expliquer les raisons pédagogiques de son choix, parce qu’il n’a pas de bilan. Il a surtout pris soin d’écarter les profs », ajoute-t-il. Il raconte que les professeurs n’ont pas été mis au courant de ce qui ne fonctionnait pas dans le programme d’ECR en tant que tel, à l’exception de certains ouvrages qui véhiculaient des préjugés. M. Mallette a aussi dénoncé l’absence de professeurs lors de la conférence de presse de Jean-François Roberge. « Il y avait des vedettes […], mais ce n’est pas eux qui vont se retrouver en classe pour enseigner », déplore-t-il.

Une affirmation nationale poussée trop loin

« On a affaire à un processus qui est complètement opaque, presque secret », évoque le philosophe Georges Leroux. L’homme a siégé à la commission Bouchard-Taylor (soit la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles) et a recommandé la création du cours d’ECR. Il dénonce aujourd’hui que les 200 mémoires reçus par le ministère de l’Éducation n’aient pas été rendus publics. « À Bouchard-Taylor, quand un mémoire arrivait, il était mis en ligne », raconte-t-il. M. Leroux croit également que la consultation en ligne était biaisée, étant composée de questions sur lesquelles tout le monde est d’accord. « À ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire du Québec qu’un gouvernement va aussi loin dans l’idée de la promotion nationale », renchérit-il.

« Une gifle au visage »

Mélanie Dubois, chargée de cours à la formation des maîtres en ECR à l’UQAM, estime que la conférence de presse du ministre de l’Éducation représentait une « gifle au visage des enseignants et des spécialistes en éducation ». Elle croit que les universitaires qui étudient actuellement pour être enseignants d’ECR sont « les grands oubliés » du nouveau programme. Les jeunes enseignants qui entrent sur le marché du travail devront « s’approprier c’est quoi être un enseignant et s’approprier un nouveau programme », déplore Mme Dubois en disant que l’insertion professionnelle des enseignants est déjà « très longue ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.