Déversements de sols

Kanesatake loin de s'apaiser

Les déversements de sols à Kanesatake continuent de faire monter la tension. Nexus Construction veut faire taire la municipalité d’Oka, très critique à son endroit, tandis qu’on s’inquiète des compétences de l’organisme choisi pour mener l’évaluation d’un autre site très contaminé, celui de G&R Recyclage. Le tout dans un climat de « non-droit » où des membres de la communauté craignent d’être victimes de représailles en raison de leur opposition.

Déversements de sols

Nexus envoie une mise en demeure à Oka

Nexus Construction a envoyé une mise en demeure à la municipalité d’Oka et à son maire, les accusant d’avoir tenu des propos diffamatoires en affirmant que l’entreprise lavalloise avait « déversé [des sols] dans le lac des Deux-Montagnes ». La Ville persiste et signe : elle ne compte pas se rétracter, soutenant être dans son droit de dénoncer le va-et-vient des camions qui passent sur son territoire pour disposer de sols à Kanesatake.

Dans une mise en demeure envoyée jeudi dernier, Nexus Construction reproche à la municipalité d’Oka et à son maire, Pascal Quevillon, d’avoir diffusé sur les réseaux sociaux « des propos faux et non fondés » en soutenant que Nexus a « déversé dans le lac des Deux-Montagnes ».

L’entreprise cible particulièrement une photo que le maire d’Oka a diffusée sur Facebook, le 4 juin dernier. On y voit un camion arborant le logo de Nexus qui déverse le contenu de sa benne près du cours d’eau. L’image est accompagnée de la déclaration suivante : « La compagnie Nexus qui déverse dans le lac des Deux-Montagnes à Kanesatake, rien de moins. Où sont nos gouvernements pour les communautés autochtones ? ».

Ces propos « sont non seulement faux, injustifiés, sans fondement et diffamatoires, mais constituent également une violation directe, illicite, intentionnelle et préjudiciable du droit [de Nexus] à sauvegarder son honneur, son intégrité et sa bonne réputation », estime Nexus, dans la mise en demeure.

Celle-ci a été déposée lors d’une assemblée extraordinaire du conseil municipal d’Oka, lundi. L’entreprise dirigée par les frères Romeo et Antonio Sacchetti y exige « immédiatement » des excuses publiques de la municipalité et la suppression de la publication du maire Quevillon.

Or, Oka ne compte pas se rétracter. Dans une réponse envoyée à l’entreprise ce lundi, l’avocat de la municipalité affirme qu’avec cette démarche, Nexus « cherche manifestement à restreindre les droits à la liberté d’expression » de la municipalité et du maire.

Ces derniers « n’ont en aucun cas franchi la ligne séparant l’opinion versus l’atteinte à la réputation », écrivent-ils. L’image diffusée sur Facebook « démontre bien les déversements illégaux dans le lac des Deux-Montagnes ».

En cas de poursuite, Oka compte se défendre : « Nous soulèverons un abus de procédure et nous réserverons la possibilité de réclamer des dommages-intérêts compensatoires et punitifs à l’égard » de Nexus.

Il s’agit de la seconde mise en demeure dans ce dossier en lien avec la disposition de sols en territoire mohawk. Le 14 mai dernier, le Conseil de bande de Kanesatake en a fait parvenir une à Nexus pour forcer l’arrêt des travaux sur son territoire, révélait La Presse. « Si vous croyez, ou si on vous a avisé, qu’il s’agit d’une région de non-droit, vous vous trompez », lit-on dans le document.

Le Conseil y rappelle « que les lois fédérales environnementales s’appliquent, tout comme les lois provinciales en matière d’environnement ». Si Nexus ne cesse pas « immédiatement tout déversement sur le territoire mohawk de Kanesatake », des poursuites seront entamées, écrit le Conseil de bande.

« Malgré les tentatives des membres du Conseil pour bloquer l’accès de ces camions au territoire mohawk, les chauffeurs de votre entreprise ont continué à arriver et à considérer Kanesatake comme un site de déversement non réglementé », est-il écrit.

Après des questions que La Presse a envoyées à Nexus au sujet de ses activités à Kanesatake, la firme de relations publiques National a transmis à La Presse les réponses au nom de l’entreprise. Celle-ci dit n’être responsable que du volet transport des sols et assure qu’elle « n’a déversé en aucun temps des sols dans la rivière des Outaouais ». Elle assure « conserver une bande tampon entre les milieux naturels et le lieu de dépôt » et réitère que son « engagement envers la protection de l’environnement demeure inébranlable ».

Rectificatif

Nexus à Kanesatake

L’une des vidéos accompagnant le texte « Des déversements de sols causent de vives tensions à Kanesatake » dans notre numéro d’hier montrait en fait le site de G&R Recyclage (voir onglet suivant). La vidéo qui aurait dû être publiée, et montrant un délestage de sol près de la rivière des Outaouais, est publiée ci-dessous. Nos excuses.

Dépotoir illégal de Kanesatake

« L’état de non-droit demeure »

Ottawa — Un an après que des membres eurent dénoncé la « zone de non-droit » qu’est devenue Kanesatake, ils constatent que rien n’a changé. Le gouvernement fédéral va dépenser des millions pour décontaminer un autre site problématique, celui de G&R Recyclage, mais ils estiment que cela risque d’être un coup d’épée dans l’eau tant que la question de la sécurité publique ne sera pas réglée.

« Le plan sera exécuté dans un contexte où l’intimidation se poursuit sans contrôle, rendant impossible toute consultation de la communauté », déplorent-ils dans une lettre anonyme publiée en ligne la semaine dernière. La Presse a pu parler à un membre du groupe qui a demandé que son identité demeure confidentielle parce qu’il craint que sa maison soit incendiée ou pire…

« Car, en effet, quiconque soulève des questions difficiles s’expose à des représailles de la part de ceux qui sont associés au crime organisé », exposent ces résidants du territoire mohawk.

Le déversement de sols issus de chantiers sur un autre site en bordure de la rivière des Outaouais en est une nouvelle illustration, selon eux. La Presse rapportait lundi que l’entreprise d’excavation Construction Nexus déleste ces sols depuis des mois sur le territoire. L’un des chefs du Conseil de bande a même reçu un coup de poing du propriétaire de l’endroit.

Cet autre site s’ajoute à celui de G&R Recyclage, un dépotoir illégal d’où s’écoule une eau toxique qui dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons et qui pollue les cours d’eau de la communauté et des municipalités avoisinantes. Il appartient aux frères Robert et Gary Gabriel qui traînent tous deux un lourd passé criminel.

Les frères Gabriel avaient été condamnés respectivement à un an et à 15 mois de prison, en 2005, pour leur participation à une émeute au poste de police de la communauté et à la séquestration de 67 agents des Peacekeepers l’année précédente. La maison du grand chef James Gabriel avait également été incendiée après qu’il eut dénoncé publiquement l’influence grandissante du crime organisé sur le territoire.

Depuis ces évènements, le territoire mohawk n’a plus de force policière. C’est la Sûreté du Québec (SQ) qui est chargée d’assurer la sécurité. Malgré tout, des enquêteurs privés ont refusé de se rendre sur le territoire, considérant la situation trop dangereuse, selon des documents que La Presse a pu consulter.

Choix remis en question

Le groupe mohawk remet en question le choix du Conseil tribal W8banaki pour procéder à l’évaluation des contaminants sur le site de G&R Recyclage faite par « un conseil de bande dont les membres font l’objet d’une enquête par l’unité des crimes financiers de la SQ », en référence à une perquisition menée l’an dernier en lien avec une plainte pour fraude entourant un fonds d’aide de 5 millions attribué par le gouvernement fédéral pour la COVID-19.

Ces membres de Kanesatake constatent que « le gouvernement n’a toujours pas agi pour rétablir la sécurité publique dans la communauté » et que l’enfouissement de déchets contaminés se poursuit « dans l’impunité la plus totale » tout comme le trafic d’armes et de drogues.

« L’état de non-droit demeure », résument-ils.

Et la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, refuse de les rencontrer, contrairement à son homologue québécois, Ian Lafrenière. Le gouvernement du Québec « s’est montré à l’écoute et ouvert au dialogue ».

« Une communauté sans protection policière accueillant tant de groupes violents ne peut être appelée à “résoudre ses propres problèmes” au nom de l’autodétermination autochtone, en particulier lorsque ces problèmes sont enracinés dans le colonialisme canadien et des décennies de politique du gouvernement fédéral. »

— Des membres de Kanesatake

Cette lettre a amené l’ex-co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, à interpeller les deux ministres dans une publication sur les réseaux sociaux la semaine dernière. « Le silence de la part de la ministre Hajdu est honteux », a-t-elle dénoncé.

« J’ai aussi envie de demander à notre propre ministre aux relations avec les Premières Nations et Inuit, Ian Lafrenière, ce qu’il en est des pressions de son cabinet auprès du fédéral », a-t-elle ajouté.

« Ce qu’on comprend, c’est que personne ne veut se mettre le nez là-dedans », a-t-elle résumé en entrevue.

Canaux ouverts

À Québec comme à Ottawa, on assure que les canaux de communications sont ouverts autant sur la question du site de G&R Recyclage que sur celle de la sécurité publique, mais on insiste sur le rôle de la SQ.

« C’est un enjeu sur lequel nous travaillons avec le fédéral », a indiqué Maxime Tardif, attaché de presse du ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, avant de nous inviter à nous adresser à la SQ.

« Nos discussions se poursuivent avec le gouvernement du Québec en vue de trouver une solution commune et pérenne concernant les enjeux de sécurité publique à Kanesatake », a fait savoir pour sa part Jean-Sébastien Comeau, directeur adjoint des communications du ministre fédéral de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc.

« La SQ, en tant que police ayant juridiction sur le territoire de Kanesatake, veille sur les résidants de la communauté. Nous espérons être en mesure de communiquer les prochaines étapes dans un avenir rapproché. »

— Sébastien Comeau, directeur adjoint des communications du ministre fédéral de la Sécurité publique

« On suggère fortement à toute personne qui aurait des informations sur des activités criminelles de contacter la Sûreté du Québec », a indiqué à son tour Simon Ross, directeur des communications de la ministre Hajdu. « Le fédéral n’est pas en position de dire quoi faire à la SQ. »

« Oui, on est présent, c’est sûr », a répondu le porte-parole de la SQ pour le district Ouest, Marc Tessier. Il ajoute que des patrouilles ont lieu régulièrement, mais que la question des dépotoirs illégaux relève plutôt du ministère de l’Environnement du Québec. La SQ peut accompagner les employés du ministère au besoin.

« Ce qui nous est signalé, c’est enquêté », ajoute-t-il. La SQ enquête présentement sur quatre voitures qui ont été incendiées récemment sur le territoire.

L’accès au site de G&R Recyclage risque d’être un enjeu pour la première phase d’évaluation des contaminants. Le ministère fédéral des Services aux Autochtones indique que la responsabilité d’obtenir l’autorisation pour accéder au site revient au Conseil de bande.

— Avec Tristan Péloquin et Ulysse Bergeron, La Presse

Dépotoir illégal de Kanesatake

Le Conseil tribal W8banaki agira comme intermédiaire

Montréal et Ottawa — La compétence de W8banaki pour évaluer les contaminants du dépotoir illégal de Kanesatake soulève des doutes. Le Conseil tribal spécifie qu’il doit plutôt jouer les intermédiaires afin de choisir une entreprise pour procéder aux travaux qui s’annoncent complexes. Entre-temps, les tensions sont toujours vives entre le grand chef de la communauté mohawk et les cinq chefs dissidents.

« Nous tenons à préciser que le rôle pour lequel W8banaki est actuellement ciblé vise à coordonner la prochaine phase de caractérisation du site », a fait savoir sa conseillère en communication, Joanie Rancourt, dans une déclaration écrite. « Nous tenons également à mentionner que nous sommes actuellement en attente de l’obtention officielle du mandat de la part de la communauté. Une fois le mandat officiellement attribué, un fournisseur de service sera choisi afin d’accomplir le travail sur le site, et ce, à la suite d’un processus d’appel d’offres rigoureux. »

W8banaki est le Conseil tribal des bandes abénakises d’Odanak et de Wôlinak, dans le Centre-du-Québec. Il offre divers services techniques aux communautés autochtones et aux municipalités. Ses membres sont « conscients de la délicatesse de l’opération » et comptent s’allier « aux meilleurs experts dans le domaine le moment venu ».

Le dossier du site de G&R Recyclage traîne depuis des années en raison d’un conflit interne au sein du Conseil de bande de Kanesatake, divisé entre deux factions. D’un côté, le grand chef Victor Bonspille et sa sœur jumelle – la cheffe Valerie Bonspille – dénoncent une fronde des cinq autres chefs membres du Conseil de bande qui s’opposent vivement à leurs décisions.

La Presse révélait récemment qu’Ottawa avait mis fin à l’impasse dans le dossier en acceptant la proposition des chefs dissidents qui ont la majorité au conseil, ce qui a suscité la colère du grand chef Victor Bonspille, qui est minoritaire.

« W8banaki vont avoir un contrat de plusieurs millions de dollars. Pourquoi utiliser une tierce partie qui devra sous-contracter à une autre quand on aurait pu embaucher directement une entreprise spécialisée dans le domaine ? »

— Le grand chef Victor Bonspille

« Le conseil de Kanesatake a choisi cet organisme, a rappelé la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, en entrevue. Ils coordonneront l’assainissement du site avec un certain nombre d’experts. On ne sait toujours pas exactement quel est le type de contamination et ce qu’il faudra pour nettoyer. »

Elle espère que les travaux d’évaluation débuteront dès que possible. Ils doivent inclure l’atténuation des mauvaises odeurs.

« Bien que le sujet divise, il est évident que nous collaborerons étroitement avec la communauté de Kanesatake, a indiqué Mme Rancourt de W8banaki. Grâce à notre expérience de longue date avec les communautés autochtones, nous avons une compréhension profonde de la réalité et des enjeux spécifiques de cette communauté. »

« Simplement chargé de projet »

Pour sa part, le chef Serge Simon – qui a été grand chef de 2011 à 2021 – a soutenu en entrevue que W8banaki agira « simplement comme chargé de projet ». Il a tenu à rappeler que l’organisation ne « fera pas la caractérisation ou la décontamination du site ». Son mandat se résume à engager les professionnels détenant les compétences pour le faire.

« Nous faisons affaire avec eux depuis plusieurs années et nous avons confiance en eux », déclare-t-il, indiquant qu’ils seront aussi responsables de la gestion des sommes avancées par le gouvernement. « Aussi, en se tournant vers W8banaki, le Conseil ne devient pas propriétaire du terrain en question et des mauvaises surprises qui peuvent survenir. »

L’évaluation des contaminants constitue la première étape qui mènerait éventuellement à la décontamination du terrain. Elle « permettra de déterminer le meilleur plan d’action pour réhabiliter le site, ainsi que les coûts et les délais pour y parvenir », a fait savoir le ministère des Services aux Autochtones. « Ces détails ne sont toutefois pas encore connus pour le moment, car l’organisation retenue devra elle-même sélectionner un fournisseur de service pour accomplir ce travail sur le site. » Le gouvernement du Québec avait déjà estimé que l’ensemble des travaux s’élèveraient à 100 millions.

Des enquêtes de La Presse l’an dernier avaient permis de constater qu’une eau brunâtre s’écoulant du dépotoir dépasse de 144 fois la concentration de sulfures jugée sûre pour la survie des poissons. Le dépotoir pollue ainsi les cours d’eau de la communauté et des municipalités avoisinantes, en plus de générer des odeurs nauséabondes.

Un des « plus gros projets au Canada »

Le dossier est complexe, rappelle Kevin Morin, directeur général du Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec, qui représente les entreprises du secteur environnement : « Ça implique aussi bien le fédéral que le provincial, les communautés autochtones et des municipalités qui se trouvent près du site et qui peuvent être affectées à cause des écoulements sur leur territoire. »

Mais la complexité est également liée aux activités qui s’y sont déroulées au fil des ans. Des couches de matières résiduelles de différentes natures ont été superposées les unes aux autres, à la façon d’un mille-feuille. « Les travailleurs ne savent pas sur quel type de matières ils peuvent tomber en creusant. Est-ce qu’il y a des matières dangereuses ? On ne le sait pas. Tout ça reste inconnu. »

« La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de l’expertise au Québec, mais il faut toutefois s’assurer que ce soient les bonnes entreprises qui travaillent sur ce terrain », dit-il. « C’est un des plus gros projets existants au Canada » sur le plan du volume de matières qui devra être traité.

— Avec Tristan Péloquin, La Presse

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