Les mal-aimés du système
Tout ou rien
Hypersensibles et intenses, les personnes souffrant d’un trouble de personnalité limite (TPL) vivent dans un quotidien en montagnes russes. Et leurs proches aussi. « C’est tout blanc ou tout noir, ce qui amène un certain clivage entre elles et les autres. Oui, on a tous des périodes où l’on est plus instables dans notre humeur, mais chez elles, c’est un élément très présent », explique tout d’abord le Dr Pierre David, chef médical du programme des troubles relationnels et de la personnalité à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
Résultat : même si elles peuvent soulever des montagnes et défendre la veuve et l’orphelin, les personnes qui souffrent d’un TPL connaissent des émotions négatives tout aussi intenses… souvent dans une même journée, dans une impuissance totale. Difficile, dans ce contexte, de garder un amoureux, ou un emploi. « Ce sont des gens qui ont tendance à s’automutiler pour diminuer cette espèce de tension interne, pour sentir ou ne plus ressentir quelque chose », explique Andrée Daignault, psychiatre à l’hôpital du Sacré-Cœur et à l’Institut Douglas.
À bout de souffle, près de 80 % des patients TPL ont des comportements suicidaires. « La tragédie, c’est que tel que je suis, je ne suis pas acceptable, je vais être rejeté. Il y a une énorme honte et une peur du rejet, une peur de l’abandon », expose Monique Bessette, psychologue et directrice de l’Institut Victoria.
Difficiles à aider
Or, même lorsqu’elles reçoivent un diagnostic et qu’elles sont prises en charge, les personnes avec un TPL viennent souvent chercher les médecins et les psychologues dans leurs derniers retranchements. « Elles sont agressives, on a l’impression qu’elles jouent sur le suicide, elles sont très instables avec les équipes de traitement, elles nous menacent de poursuites… tellement qu’à un moment donné, certains professionnels vont se tenir à l’écart ! », résume le Dr David, qui ajoute du même coup qu’aujourd’hui, plusieurs professionnels de la santé excellent tout de même dans l’art d’accompagner ces patients.
Encore faut-il être préparé et – surtout – formé. « Il faut qu’on soit capable de supporter qu’un client nous idéalise, nous dénigre, exige de nous des miracles, nous déteste et nous accuse d’empirer son cas », dit Monique Bessette, qui souligne au passage le manque de formation des professionnels à ce sujet malgré la prévalence du trouble.
« Ce sont des gens qui se tirent dans le pied sans faire exprès. Ils sont hyper attachants – ils ne sont juste pas faciles au premier abord. »
Pas un trouble bipolaire
Le trouble de personnalité limite a aussi longtemps été confondu avec le trouble bipolaire. Or, les changements d’humeur d’une personne « TPL » varient dans la même journée, voire la même heure. Pour leur part, les personnes bipolaires vivent des hauts et des bas prolongés.
« Dans le trouble bipolaire, la fluctuation de l’humeur est beaucoup plus neurobiologique, tandis que dans le TPL, cette fluctuation est très réactive aux événements ; ils reçoivent un appel, un texto, et l’humeur change », relate la Dre Andrée Daignault.
De plus, la bipolarité se traite avec des médicaments… ce qui n’est pas le cas du TPL. De la médication peut toutefois être donnée pour diminuer certains symptômes, comme l’impulsivité ou la dépression.
D’où vient ce trouble ?
Le trouble de personnalité limite est-il le fruit d’un milieu familial déficient ? « Les éléments d’abus et de négligence sont des éléments prédisposants, mais ils ne sont pas suffisants pour le créer », explique le Dr David. Ainsi, dit-il, il est possible qu’une personne ait vécu une enfance et une adolescence paisibles, et qu’elle développe malgré tout un TPL. Le médecin explique que le tempérament d’une personne peut, à la base, faire en sorte qu’un enfant se montre plus sensible aux variations de son environnement. Si on le place dans un climat plus difficile, « on a un package plus favorable à l’apparition du TPL », précise le spécialiste, en soulignant toutefois que les causes peuvent être multiples. « On stigmatise beaucoup moins les familles aujourd’hui », précise-t-il.
Le soutien affectif et émotionnel que la personne a reçu pendant l’enfance joue pour beaucoup, mais « il ne faut pas mettre tout le poids sur le facteur de l’attachement, estime Monique Bessette. Il y a aussi ce qui se passe après : l’intimidation à l’école, par exemple, c’est un facteur reconnu ».
De l’espoir
Une approche de psychothérapie dite « à court terme » peut amener les personnes souffrant d’un trouble de personnalité limite à améliorer leur état, selon le Dr Pierre David. L’objectif : dans des rencontres de groupes et individuelles, les personnes TPL sont amenées à reconnaître leurs défis, et surtout, les situations dans lesquelles elles ont un comportement problématique. « Dans telle situation, j’ai eu tel type de comportement, donc qu’est-ce que je peux mettre en place comme stratégie pour ne pas être impulsif, agressif, faire de l’automutilation, etc. On apprend à moduler l’émotion en comprenant mieux que ce l’on vit », résume le Dr David. « On a aujourd’hui des perspectives de traitements beaucoup plus encourageantes que ce qu’on connaissait il y a 15 ou 20 ans », explique-t-il.
Selon Monique Bessette, le traitement complet du trouble de la personnalité requiert toutefois une démarche à long terme. « Le développement psychologique, le développement affectif, la reprise du développement des fonctions de la personnalité n’est pas un processus cognitif ; ça passe à travers les transactions affectives de la relation thérapeutique », dit-elle.