Extrait

Qu’est-ce que le modèle québécois ?

Rassemblant les textes de divers spécialistes, cet ouvrage fait un bilan des évolutions du modèle de gouvernance québécois depuis la Révolution tranquille ; il présente ses principales caractéristiques actuelles, mais aussi les défis auxquels il doit faire face, et propose des voies pour l’avenir.

Puisque l’objectif de la Révolution tranquille était de créer une société francophone hautement développée, l’État est investi du rôle d’agent ou de moteur principal du rattrapage. Le gouvernement québécois devient progressivement très interventionniste pour, finalement, devenir la province canadienne la plus interventionniste. En laissant derrière eux leur attitude hostile envers l’État, les Québécois acceptent avec confiance l’accroissement de l’intervention de l’État dans les domaines économique, financier, fiscal, social et politique. Il s’agit d’un revirement de tendance très important. Le premier budget du gouvernement Lesage, le 14 avril 1961, était inférieur à 500 millions de dollars, ce qui équivaut à environ 4,5 milliards de dollars de 2021, selon l’estimateur de la Banque du Canada. À titre de comparaison, le budget de 2021 du gouvernement du Québec avoisinait les 125 milliards de dollars, ce qui représente un budget pratiquement 28 fois plus gros ou une augmentation de 2700 % depuis 1961 ! Il s’agit d’une augmentation considérable même si on tient compte de la croissance de la population. Cette dernière est passée, pendant la période, de 5 300 000 à 8 500 000 personnes, une hausse bien moindre de 60 %.

Pour Réjean Pelletier (1992), la Révolution tranquille avait pour finalité de créer un État fort et capable de coopter les autres institutions de blocage. Sous l’influence d’un nouveau nationalisme, la nouvelle élite dirigeante affronte trois institutions de blocage : 1) l’Église catholique dans le domaine de l’éducation et de la santé ; 2) la bourgeoisie anglophone dans le monde des affaires et de la finance ; et 3) le gouvernement fédéral sur le plan du partage des compétences. En somme, on veut que l’État du Québec ait pleins pouvoirs dans ces champs de compétence. Le gouvernement du Québec devait attaquer de front la centralisation des pouvoirs et des ressources fiscales à Ottawa, de même que la domination du secteur financier anglophone.

Ce qui change avec la Révolution tranquille, c’est la volonté des politiciens et des Québécois de voir l’État jouer un rôle moteur dans le développement du Québec et dans la promotion d’une bourgeoisie nationale francophone.

Le gouvernement du Québec souhaite que les membres de la nouvelle classe moyenne émergente occupent des postes de direction et de contrôle dans les entreprises publiques, comme Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et placement, mais également dans le milieu des affaires. Il revalorise également la fonction publique québécoise, qui devient un moyen de promotion pour les membres de la nouvelle classe moyenne.

Le néonationalisme est aussi politique, car le concept de province du Québec est remplacé par celui d’État du Québec, que Lesage présente comme la mère patrie des Canadiens français. Les slogans du Parti libéral du Québec, « C’est le temps que ça change » et « Maîtres chez nous », donnent le ton. Le gouvernement du Québec intervient dans les domaines économiques et sociaux tels que l’industrie, la finance, la fiscalité, l’énergie, l’éducation, les soins de santé, les services sociaux et la culture. L’État prend progressivement la place de l’Église catholique dans la prestation des services publics.

Soixante ans après la Révolution tranquille, bien que le Québec ne soit pas un pays souverain, les Québécois possèdent un « État national » et un « gouvernement » propre avec un budget de près de 125 milliards en 2021. Sur une base par habitant, le gouvernement du Québec est le gouvernement provincial le plus développé. En 2018, sur un total d’environ 170 milliards de dollars qu’ont prélevés au Québec les diverses administrations, le gouvernement du Québec en prenait environ la moitié, le fédéral, 32 %, les municipalités, 9 %, et le Régime de rentes du Québec, 9 % (Chaire en fiscalité et en finances publiques, 2020, p. 34). Le Québec dispose ainsi d’une autonomie financière puisqu’il perçoit directement environ 80 % de ses revenus par le truchement des impôts sur le revenu, des impôts sur les entreprises et de la taxe de vente. Le reste provient du gouvernement canadien par divers transferts sociaux et par la politique de péréquation.

Extrait du chapitre 1 par Stéphane Paquin

La Révolution tranquille 60 ans après

Stéphane Paquin et X. Hubert Rioux (dir.)

PUM, 2022

274 pages

Qui est Stéphane Paquin ?

Stéphane Paquin est professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique et directeur du Groupe d’études et de recherche sur l’international et le Québec (GERIQ).

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