Donner la parole
La santé mentale est un sujet qui se discute quotidiennement à L’Itinéraire. Plusieurs des camelots ont ou ont eu des enjeux de santé mentale au cours de leur vie. Les évènements violents qui ont fait les manchettes au Québec dans les derniers mois ont soulevé plusieurs questions sur le traitement médiatique de ces tragédies.
En cherchant « à tout prix » et rapidement une explication à la violence, l’évocation de troubles de santé mentale pour expliquer un crime « spectaculaire » semble être devenue un fourre-tout qui ne dit plus rien de précis. D’autant plus que ces hypothèses hâtives ont pour effet de stigmatiser davantage les personnes utilisatrices de services en santé mentale.
Pour en parler, L’Itinéraire a réuni deux camelots vivant avec la schizophrénie, Gabriel Lavoie et Robert Patenaude, ainsi que Luc Vigneault, auteur, conférencier et modèle par excellence de rétablissement pour ceux et celles qui doivent composer avec ce trouble psychotique… à vie.
« Quand j’entends qu’un drame comme celui de Laval ou d’Amqui est survenu, je me demande combien de temps ça va prendre avant qu’on prononce les mots « santé mentale » sans fondement. Ce n’est jamais très long. Quand ça arrive, je ne peux m’empêcher de me répéter que c’est une autre bataille qu’on vient de perdre, nous, les gens qui vivons avec la schizophrénie », affirme Gabriel Lavoie.
Au bout de la table, Robert Patenaude, lui aussi camelot, hoche la tête.
« Aussitôt que quelque chose qui arrive est bizarre et inexplicable, on pointe vers la maladie mentale parce qu’on cherche une réponse immédiate. »
— Robert Patenaude, camelot
« La première fois que j’en ai parlé avec mes parents, par exemple, ils m’ont tout de suite demandé si je pouvais devenir dangereux, renchérit-il. J’ai souffert de schizophrénie beaucoup plus jeune, mais c’était tellement tabou et j’avais honte d’en parler. »
Luc Vigneault, auteur, conférencier et vivant lui-même avec la schizophrénie, s’est joint à la discussion par visioconférence. Âgé de 63 ans, il a beaucoup fait avancer l’approche médicale et psychosociale du réseau de la santé envers les personnes atteintes de schizophrénie. Il est le premier pair aidant au Canada en milieu institutionnalisé. Il est aussi chargé de cours aux départements de médecine des universités Laval et de Montréal. En parallèle, il a cofondé l’association Vox Québec, qui donne une voix aux personnes utilisatrices de services en santé mentale auprès de différentes instances.
« Quand tu parles de honte, répond-il à Robert, on a tous, je pense, vécu cette étape-là. On porte beaucoup de préjugés sur nos épaules liés à la schizophrénie, dont celui d’être violent. Pourtant, c’est seulement 3 % des gens qui commettent des crimes graves qui ont des enjeux de santé mentale. On sait, scientifiquement, que les personnes schizophrènes sont moins dangereuses que la population en général. Ce sont les chiffres de l’Institut Philippe-Pinel, à Montréal, avec lequel je collabore parfois. »
Premières manifestations
Luc Vigneault a reçu son diagnostic de schizophrénie à l’âge de 18 ans. À cette époque, se souvient-il, ses proches remettaient en question les voix qu’il entendait. « On ne voit rien venir, lance-t-il au groupe. Ce qu’on appelle des hallucinations, pour nous, c’est notre réalité. Quand les gens te disent que ce n’est pas vrai, que ça n’existe pas, ça peut devenir dérangeant. »
Pour Gabriel Lavoie, c’est le stress qui lui a fait vivre ses premiers épisodes psychotiques.
« Pas un stress d’arriver en retard, mais un stress terrible. La peur de quelqu’un, d’une situation. Ça prend de l’ampleur et ça se construit de fil en aiguille. Ça s’installe insidieusement dans nos perceptions. Si j’hallucine une vache dans le fond de la salle, elle existe vraiment à mes yeux. »
— Gabriel Lavoie, camelot
Robert, lui, se faisait dire qu’il parlait tout seul. Il répondait aux voix qu’il entendait. « Quand on me disait ça, je n’y croyais pas. C’était confrontant. »
Hospitalisations traumatisantes
La discussion a vite dérivé vers le partage d’expériences lors des passages en établissement du réseau de la santé au Québec. Un système « cassé parce que sous-financé », offrant des soins déshumanisés souvent incapable d’accueillir des gens en crise sans faire vivre un traumatisme au patient, estime Luc Vigneault.
Ce ne sont pas les soignants le problème, tient-il à rappeler, mais la structure.
« Les gens qui vivent avec la schizophrénie sont souvent amenés de force par la police à l’hôpital. Ma première hospitalisation lors d’un épisode psychotique a été épouvantable. Je suis arrivé et j’étais très agressif. Je ne voulais pas être là », se souvient-il.
Accueillir autrement
Comment faire autrement ? Comment intervenir en situation d’agressivité et de crise ? En prenant le temps d’expliquer à la personne ce qui se passe, même si elle est en psychose. C’est la clé pour désamorcer la crise psychotique. M. Vigneault tenait, avant d’aller plus loin dans la discussion, à rappeler que les travaux de recherche de la chercheuse à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Marie-Hélène Goulet, ont démontré que la contention et l’isolement n’ont aucun effet thérapeutique. Au contraire, ils induiraient un traumatisme, comme les trois personnes autour de la table l’ont vécu lors de leurs premiers passages dans un établissement de santé.
« Il y a moyen de faire autrement, dit Luc Vigneault. La formation OMEGA, par exemple, est donnée aux intervenants de la santé pour pacifier les personnes en situation d’agressivité. Elle donne les outils pour établir un dialogue avec elles. Même si elles vivent un délire. Il y a toujours une partie « saine » du cerveau qui fonctionne. Il faut un endroit calme, qui n’est pas menaçant, et un seul interlocuteur alors que les autres autour se placent en retrait. »
Vous venez de lire un extrait d’un dossier sur la schizophrénie, qui a été édité par souci de concision. Pour lire le texte intégral, procurez-vous le numéro du 1er mai en ligne.