Le Far West se réinvente

Il y a 33 ans aujourd’hui, Marc Lépine tirait à bout portant sur 28 personnes à l’aide d’une carabine obtenue légalement, tuant de sang-froid 14 femmes. Trois décennies plus tard, l’opération CENTAURE enchaîne les arrestations. Une saisie de 33 armes à feu a eu lieu le 10 novembre dernier à Portneuf, en banlieue de Québec. En parallèle, l’arrestation de plusieurs trafiquants possédants des armes aussi hétéroclites qu’un pistolet semi-automatique Beretta ou une carabine CZ Scorpion EVO souvent utilisée dans les tueries de masse a été effectuée l’été dernier par des enquêteurs de la Sûreté du Québec sur la Rive-Sud.

Ces évènements plutôt percutants font comprendre à la population qu’il n’y a pas que dans l’île de Montréal que le climat se réchauffe. La Couronne Nord, la Montérégie, la Capitale-Nationale, l’Estrie et des régions comme la Côte-Nord sont des territoires marqués par l’augmentation du trafic d’armes à feu et la variété des spécimens à canon en circulation est pour le moins étonnante. Comme la plateforme d’Échec au crime est directement reliée à toutes les régions du Québec, nous sommes bien positionnés pour le savoir.

Le Québec vit en ce moment ce que Toronto subissait il y a près de 10 ans en termes de conflits armés. La capitale de l’Ontario enregistrait un total de 408 fusillades en 2021, selon le service de police de la métropole.

Les gangs de rue s’émancipent

Des groupes de plus en plus jeunes, parsemés de plusieurs communautés unies dans la même quête : toucher le magot. Le démantèlement traditionnel s’effrite et les cyberenquêtes explosent. Les guerres personnelles prennent le dessus sur un certain « code d’éthique » que les vétérans du crime organisé imposaient autrefois. Les fusils à air comprimé sont particulièrement populaires chez les adolescents et les jeunes adultes de la gent masculine.

Nous collaborons avec une multitude de corps policiers dans la transmission d’informations privilégiées sous le couvert de l’anonymat. Il est toujours d’actualité de dire que plus de 80 % des armes illégales transitant au Québec proviennent d’États américains où la législation sur la possession et le port d’arme à feu est laxiste : la Pennsylvanie, l’Alabama, la Floride. Les armes prohibées sont expédiées sur les chemins du « Iron Pipeline » pour ensuite s’introduire au Canada, c’est connu.

Saviez-vous que sur les 875 millions d’armes à feu répertoriées sur la planète, seulement 25 % appartiennent aux autorités militaires, policières et gouvernementales ? Difficile de ne pas se questionner sur les trois quarts des armes d’assaut restantes qui battent le pavé, accrochées à la ceinture de tous ces civils.

Des jouets capables d’enlever la vie

Aujourd’hui, les tentacules du marché de l’armement se glissent dans la matrice informatique et gambadent nonchalamment sur les réseaux sociaux, les sites de revente et le dark web. Ces fusils en kits de pièces détachées en plastique créés à partir d’une imprimante 3D sont vendus en étant « partiellement » assemblés. L’acheteur qui le reçoit peut facilement terminer l’assemblage grâce à des tutoriels sur YouTube.

Ces fusils casse-tête ne comportent pas de numéro de série et ne sont pas catégorisés comme des armes à cause de leur procédure d’acquisition. Il devient impossible pour les autorités policières de faire du traçage à partir d’un fusil fantôme. Ceux-ci deviennent donc extrêmement prisés par les individus sans permis, avec un casier judiciaire et/ou un profil psychiatrique problématique, car il n’y a aucun contrôle d’antécédents à fournir pour y avoir accès. Le durcissement de la réglementation par Joe Biden devant ce marché immense qui prend de l’ampleur rapidement ressemble à une guerre utopique entre David et Goliath.

De ce fait, la réalité dépasse la fiction et ces jouets capables d’enlever la vie se retrouvent entre des mains aussi novices que celles de jeunes de 14 ans. Tirant sur la vitrine d’un commerce de Montréal ou faisant du « scoring » dans les rues de Laval, se pensant dans un jeu vidéo avec des cibles à ciel ouvert.

Peu importe la provenance de l’arme, que ce soit un TEC-9 de Suède, un VZ 58 de République tchèque ou un Shot Gun américain, nous avons tous un sérieux examen de conscience à faire en tant que société sur les acteurs qui dirigent le gouvernail de ces éternels rouages trop bien huilés. Des chefs de mafia et des motards, jusqu’aux organisations criminelles indépendantes et aux membres de gang de rue. Qu’on le veuille ou non, le proxénétisme et le trafic de stupéfiants sont des fléaux intrinsèquement reliés à l’augmentation du trafic des armes à feu illégales au Québec.

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