À table avec… Guy Nantel

Le rire, pas le silence

Guy Nantel aime l’humour politique et l’humour qui grince, qui provoque. La religion fait partie de ses sujets de prédilection et n’a rien d’intouchable, selon lui. « Une joke, c’est une joke, va falloir que tout le monde apprenne à vivre avec. »

On est vendredi et je suis en retard au rendez-vous parce que j’ai suivi la fin de la prise d’otages en France et de la traque des assassins de Charlie Hebdo. Mais l’humoriste m’attend quand même à la pizzeria Gema avec un grand sourire. Le Montréalais de 46 ans est affable, généreux. Et dans la foulée de l’attaque contre les caricaturistes de l’hebdomadaire français, il a envie de parler de liberté. De liberté de dire, de faire rire, d’aborder tous les sujets. 

Il tient à répéter que la religion n’est pas un thème sacré. On peut se moquer de tout, croit-il fermement, que ce soit le nationalisme, la religion musulmane ou Israël, en passant par la religion catholique et toutes ses institutions. « Il n’y a pas juste les États-Unis qu’on peut basher dans la vie ! », lance-t-il.

« Si on ne rit pas de tout, on ne rira plus de rien. »

— Guy Nantel

Les mécanismes fondamentaux de l’humour veulent que ce qui heurte l’un fasse rire l’autre. « Si tu veux que je sois mordant sur toutes sortes de sujets, prépare-toi à te faire mordre aussi. »

Presque chaque jour, il reçoit, sur Facebook notamment, des messages de citoyens mécontents de son humour. Il se fait interpeller, insulter, sur toutes sortes de sujets. « Ce n’est pas un fan-club », dit-il. Quand il a le temps, il répond à tout le monde. « J’aime vraiment les gens », dit-il. Il rit de nous, mais il nous adore quand même. « Et cet amour que j’ai pour le public inclut même ceux qui ne m’aiment pas. »

Né dans les années 60 dans le nord de Montréal, « entre les cheminées de la carrière Miron et la Métropolitaine », Nantel a grandi dans un milieu pas très riche. Son père était chauffeur de taxi, sa mère était occupée à temps plein à élever cinq enfants, dont un fils handicapé intellectuel. Rien ne le prédestinait à obtenir un diplôme de l’École nationale de l’humour et à finir brillamment une année de voyages et de reportages pour La course destination monde, en 1994. Cela l’a amené à parcourir la planète. À visiter des pays de toutes les religions. À bâtir une connaissance du monde entier pour mieux comprendre ce qui se passe ici.

« À La course, c’est moi qui ai gagné le prix Ouverture sur le monde, cette année-là ! »

Pourtant, c’est lui aussi que des militants du Front national ont déjà cité sur leur site web, disant qu’il avait tout compris. Ils prenaient les provocations de son personnage sur scène au premier degré, comme s’il s’agissait de ses idées à lui, le citoyen, alors que ce sont deux entités bien distinctes… « Ça, ça m’a valu pas mal de courrier… » Une de ses blagues controversées ? Lorsque son personnage, sur scène, explique qu’au Québec, « quand on dit “faites comme chez vous”, c’est juste une expression »…

ÊTRE CHARLIE TOUS LES JOURS

Cela dit, Nantel croit qu’il faut effectivement, comme humoriste, mais surtout comme citoyen, empêcher le fanatisme religieux de changer notre façon de vivre moderne. Il refuse l’autocensure, nous encourage à la fuir. 

« Que ceux qui n’aiment pas ce que je fais changent de poste. Ou me poursuivent. Mais toucher la religion avec une blague, ce n’est pas pire que toucher un roux ou un nain. »

— Guy Nantel

Il faut être « intégriste avec les intégristes ». Ne rien laisser passer, surtout pas en matière de liberté d’expression. Il ne faut pas hésiter à publier les caricatures de Charlie Hebdo. Le silence est un cautionnement, affirme Nantel.

« Il faut que la presse soit Charlie tous les jours maintenant, pas juste pendant une période de deuil. » Et il faut aussi, insiste-t-il, laisser les gens libres de se tromper. Eh oui, lui-même « se sent un peu cheap parfois », en sortant de scène, quand une blague improvisée, peu importe le sujet, n’a pas été à la hauteur. Mais les humoristes travaillent sur la corde raide. La provocation n’est pas une science. L’erreur fait partie des parcours normaux. Et tout le monde doit apprendre à vivre avec cela. « Sinon, sans agitateurs, on plafonnerait comme société. »

Nantel, qui était pour le projet de Charte de la laïcité du Parti québécois, croit lui-même en Dieu. « Et je me dis que Dieu doit regarder le monde et se dire : “Quelle bande de fous a pris la relève.” »

À table avec…

Guy Nantel

46 ans.

Marié, un enfant.

A grandi dans une famille de cinq enfants à Montréal, dans un quartier modeste. Son père était chauffeur de taxi.

Diplômé de l’École nationale de l’humour en 1989.

A participé à La course destination monde en 1993-1994.

Adore les voyages et a visité environ 50 pays.

Est actuellement en tournée au Québec avec un spectacle intitulé Corrompu.

Écrit lui-même tous ses textes.

Sa marque de commerce comme humoriste :  les vox pop qui font ressortir notre ignorance.

La religion, selon lui, c’est quoi ? « Une lumière puissante. Tellement puissante, en fait, que parfois elle aveugle. »

Se trouve vraiment chanceux de faire le plus beau métier du monde, même au lendemain de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.

À TABLE AVEC… GUY NANTEL

On a mangé

Guy Nantel a choisi la pizzeria Gema, dans la Petite Italie, qui est ouverte le midi certains jours de semaine. C’est le restaurant du chef Michele Forgione et de Stefano Faita, qu’on a connu à la télévision notamment. Le restaurant propose quatre pizzas le midi, dont une margherita toute simple – avec basilic frais, tomates et mozzarella fraîches – qu’on a partagée, après une salade de fenouil et d’orange, bien vitaminée pour un midi de janvier super froid. Nantel s’est dit que la prochaine fois, il prendrait au dessert la glace maison, une sorte de crème anglaise glacée, hyper onctueuse et délicate.

À TABLE AVEC GUY NANTEL

Un peu de culture…

Guy Nantel vous recommande d’aller faire un tour dans la communauté de Wendake, près de Québec, où il y a un magnifique hôtel, un musée, un village authentique recréé. « J’ai beaucoup voyagé dans le monde, mais j’ai réalisé récemment que je ne savais rien des Autochtones. Alors j’y suis allé avec ma famille. J’ai d’abord fait ma recherche, 11 pages que j’ai imprimées pour ma femme et ma fille. On a lu ça, on a beaucoup appris et c’était super. »

Guy Nantel n’a pas encore lu le nouveau livre controversé de l’auteur français Michel Houellebecq, qui a été obligé d’en arrêter la promotion dans le climat politique et social actuel. Mais Nantel a bien l’intention de le faire, ne serait-ce que par principe, pour revendiquer le droit de le lire. Le quotidien français Le Monde décrit ainsi ce nouvel ouvrage intitulé Soumission : « Politique fiction imaginant l’arrivée à l’Élysée, dans sept ans, du candidat d’un parti nommé Fraternité musulmane, et l’islamisation de la France qui s’ensuivrait. » Évidemment, Nantel recommande aussi la lecture du numéro de Charlie Hebdo  qui sortira mercredi, si quelques-uns parmi les millions d’exemplaires se rendent au Québec.

L’humoriste suggère également d’aller visiter la superbe exposition sur la Grèce au musée Pointe-à-Callière.

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