Décryptage

La mort d’un démocrate

La Pologne est en état de choc à la suite du meurtre du maire de Gdansk Paweł Adamowicz, poignardé sur scène alors qu’il prenait part à un grand événement caritatif.

C’était en juin 2017. Le mouvement La jeunesse de la Grande Pologne, qui loge à l’extrême droite de l’échiquier politique polonais, avait publié sur son site web un « acte de décès politique » du maire de la ville de Gdansk, Paweł Adamowicz. Parmi les raisons invoquées pour expliquer cette mort annoncée, on cite « le libéralisme, le multiculturalisme et la stupidité ».

Il s’agissait bien sûr d’un souhait de mort politique, non réelle. Ça donne quand même une idée de la haine que pouvait cristalliser ce politicien progressiste, défenseur des minorités, des droits des personnes LGBT et de l’éducation sexuelle.

Un homme issu du mouvement de lutte contre la dictature communiste, réélu à six reprises à la mairie de Gdansk, un maire qui aurait voulu accueillir des enfants syriens blessés pour les faire soigner dans les hôpitaux de sa ville. Mais qui s’est plutôt heurté au refus du gouvernement en place, fermement opposé aux réfugiés. Un politicien, aussi, qui a fait école en implantant à Gdansk une politique d’intégration des immigrants inspirée de ce qui se fait ailleurs en Occident, initiative allant à contre-courant du climat politique dominant, signale Magdalena Dembinska, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

Poignardé sur scène

Paweł Adamowicz a été poignardé lors d’un grand événement caritatif tenu à Gdansk, dimanche, et il est mort hier de ses blessures, à l’âge de 63 ans.

Son assassin, qui a sauté sur la scène au moment où le maire Adamowicz s’adressait aux spectateurs, est un braqueur de banques de 27 ans, tout juste relâché de prison et souffrant de problèmes psychiatriques, selon la police.

En se jetant sur sa victime, il a hurlé qu’il avait été condamné à tort sous le gouvernement de la Plateforme citoyenne (PO), parti libéral auquel Paweł Adamowicz a longtemps appartenu et qui a soutenu sa réélection à la mairie de Gdansk.

« La Plateforme citoyenne m’a torturé et c’est pour ça qu’Adamowicz vient de mourir », a crié l’assaillant.

L’assassinat de l’homme qui dirigeait depuis 20 ans cette ville qui a vu naître le mouvement Solidarité en 1980 (Solidarność, en polonais), et qui incarnait des valeurs humanitaires et démocratiques héritées de ce mouvement face à un gouvernement qui courait en sens inverse, a plongé la Pologne dans la stupeur.

Avant même l’annonce de sa mort, hier après-midi, un élan de solidarité a conduit des dizaines de compatriotes du maire poignardé à se rendre dans des cliniques de don de sang. Hier, des milliers de personnes se sont rassemblées pour lui rendre hommage en tenant des minutes de silence. Une marche contre la haine était également organisée à Varsovie.

Geste politique ou accès de folie ?

La mort de Paweł Adamowicz a aussi soulevé l’inévitable question : s’agit-il d’un geste politique ou d’un simple accès de folie généré par un cerveau détraqué ?

« Le geste était planifié et intentionnel, accompli de sang-froid, et son auteur avait besoin d’une histoire qui le rendrait acceptable dans certains milieux », analyse le psychologue Janusz Czapiński dans le quotidien Gazeta Wyborcza.

Si l’on suit son analyse, le problème, c’est que dans la Pologne d’aujourd’hui, celle qui est dirigée depuis trois ans par le parti ultraconservateur et nationaliste Droit et Justice (PiS), un assassin en devenir a pu imaginer qu’en s’en prenant à un symbole comme le maire de Gdansk, honni par la droite, il pourrait faire paraître son geste moins abject.

En d’autres mots, il y a quelque chose de vicié dans l’air de la Pologne qui permet à un voyou assoiffé de sang, souffrant potentiellement de problèmes de santé mentale, de s’en prendre précisément à ce politicien-là.

« Nous récoltons les fruits de divisions terribles, imbibées d’agression idéologique, politique et religieuse. »

— Le psychologue Janusz Czapiński, dans le quotidien Gazeta Wyborcza

Une agression qui est répercutée, jusqu’à un certain point, par les médias et la télévision d’État.

Le rédacteur en chef adjoint du même journal, Jarosław Kurski, va plus loin dans un billet publié hier.

À ses yeux, ce qui s’est passé à Gdansk n’est ni plus ni moins qu’un « meurtre politique ». En d’autres mots, si le couteau a frappé précisément cette victime-là, c’est que le maire Adamowicz était ciblé comme un ennemi du gouvernement actuel. On l’a vu défendre les droits de la personne et constitutionnels attaqués par le gouvernement du PiS. Il s’est battu notamment contre les réformes de la Cour constitutionnelle, puis de la Cour suprême, qui ont affaibli les contre-pouvoirs politiques en Pologne et l’ont rapprochée d’une « démocratie illibérale » sur le modèle de la Hongrie de Viktor Orbán.

« La graine de haine »

D’ailleurs, rappelle Jarosław Kurski, le maire assassiné a été victime d’une campagne de dénigrement menée par les médias publics contrôlés par l’État.

Jarosław Kurski reproche en quelque sorte au gouvernement d’avoir semé « la graine de haine » que le tueur a récoltée et poussée à son paroxysme.

La politologue Magdalena Dembinska ne va pas aussi loin et croit que qualifier l’assassinat de dimanche de meurtre politique relève pour l’instant de la conjecture. Mais elle souligne que le climat en Pologne est extrêmement polarisé et reconnaît que Paweł Adamowicz n’avait pas bonne presse du côté de la droite.

Meurtre politique ou pas, les dirigeants polonais ont dénoncé cette tragédie avec force, hier, et rendu hommage à la victime. 

« Nous avons tous à faire notre propre examen de conscience », a notamment déclaré le président Andrzej Duda. Le chef du PiS, Jarosław Kaczyński, adversaire politique de Paweł Adamowicz, a exprimé « sa grande douleur pour cette mort tragique ».

Reste à voir si cette douleur et cet examen de conscience conduiront les actuels dirigeants polonais à s’attaquer au climat délétère dont s’est nourri l’assassin de Paweł Adamowicz. Et dont pourraient se nourrir d’autres assassins dans d’autres pays où l’on sème la haine à tout vent sans se soucier des conséquences. Ce ne sont pas les exemples qui manquent.

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