Caroline Monnet

Au-delà du laminage culturel

Ouverte sur rendez-vous, la galerie Blouin Division, dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal, prolonge l’exposition R-Value de Caroline Monnet jusqu’au 1er juillet. Les œuvres de l’artiste canadienne évoquent des aspects de l’impact du colonialisme sur les autochtones. Un nouveau corpus subtil, dense et implacable sur le laminage et l’aliénation culturels.

R-Value succède au corpus Au nom du progrès que Caroline Monnet avait déployé au même endroit en 2018, avec des œuvres pour lesquelles elle avait alors utilisé du cèdre blanc de la région de la réserve algonquine de sa mère, Kitigan Zibi, en Outaouais. Et quelques matériaux industriels qui, découpés au laser, abordaient la dépossession des terres, la sédentarisation forcée et les traditions autochtones.

L’artiste de 35 ans aux origines algonquine et bretonne va plus loin avec R-Value. Sa signature visuelle demeure et combine symboles de la modernité et motifs anichinabés dans des créations très originales qui parlent, même si ce n’est pas évident à première vue, du problème de l’habitat dans les réserves.

Ceux qui vivent dans ces réserves (moins de la moitié des autochtones canadiens habite sur ces territoires) logent le plus souvent dans des maisons bâties avec des matériaux parfois peu adaptés à leur environnement. Des résidences à la même apparence générale, souvent mal entretenues à cause d’un sentiment d’appartenance absent. Et quelquefois inachevées, si bien que le contreplaqué peut être apparent ou bien la laine minérale, les panneaux insonorisants, les isolants synthétiques, les membranes asphaltées, le béton, le polystyrène, etc.

Caroline Monnet a utilisé ces matériaux pour évoquer le laisser-aller, le poids de l’héritage et la nécessité de retrouver une certaine fierté. Son corpus R-Value (la valeur R en français) renvoie à une mesure dans le domaine de la construction qui permet d’évaluer la résistance thermique d’un bâtiment, sa capacité à être bien isolé du froid ou du chaud. La valeur R dépend par exemple de l’épaisseur de laine minérale et d’autres matériaux dans les murs d’une maison. Elle est donc plus élevée dans les régions froides.

En même temps, R-Value, c’est aussi « our value » pour Monnet, « nos valeurs », notre culture, nos traditions. Un symbole, donc. Concrétisé avec sa sculpture éponyme, un R en plexiglas rempli de laine minérale.

Caroline Monnet a déjà utilisé le béton dans ses œuvres, notamment en 2016 pour son exposition touchante au centre d’artistes AXENÉO7, à Gatineau. Ses bustes de vêtements et de béton suggéraient l’oppression, l’anéantissement et les femmes autochtones disparues. Pour Smoke Plume 01 et 02, le béton est présent, mais il a la douceur fantasmée et le mystère de la surface lunaire.

The Flow Between Hard Places, une espèce de vague verticale en béton Ductal – matériau de construction de haute performance –, correspond à une représentation en 3D d’une onde, d’un ébranlement, d’une vibration à la fois physique et poétique, d’un espoir finalement.

« On sent avec ces œuvres le désir de Caroline d’aller rechercher un langage plus proche du ressenti animiste, dit Dominique Toutant, directeur de la galerie Blouin Division. La Terre, l’eau, la Lune, l’astre, la spiritualité, un rapport au réel qui, oui, à travers le béton, parle de destruction, mais Caroline ramène une beauté dans tout ça. »

L’atmosphère et la poésie se retrouvent aussi dans We come in numbers, un cadre de Tyvek noir, sorte de coupe-vent cousu sur du tissu et faisant penser aux plumes d’un corbeau. Par contre, avec Longing for trust n.1 et n.2, on est plus dans l’apparat. Les deux tondi ornementés et de teinte rosée et orangée contiennent des miroirs. Une allusion à la beauté, à l’élégance, à la séduction et à la féminité autochtones. Mais aussi une invitation qui nous est lancée de réfléchir à notre propre regard sur la culture des autres.

D’autres œuvres, très travaillées avant d’être ciselées numériquement – en placoplatre, membrane de toiture Blueskins ou Sonopan –, marient tout autant le domaine de la construction résidentielle, la réalité autochtone et notre histoire commune d’occupation du territoire et de logement. Si Caroline Monnet souligne chaque fois comment la technologie occidentale a laminé, voire « asphalté » les traditions autochtones, sa façon de l’exprimer génère une élégance trompeuse. Mais le sens de ses créations est implacable.

Brillante, complexe, d’un esthétisme rare qui intègre à la perfection un message proche du manifeste, l’exposition de Caroline Monnet laisse un goût amer. Sa détermination louable d’avancer dans son expression, de provoquer des changements chez ses frères et sœurs autochtones est là. Éloquente et superbe.

Mais en même temps, on ne peut s’empêcher de ressentir une impatience, une forte gêne avec ces réalités autochtones si diverses où le plus beau côtoie le délabré, où l’espoir se mêle au découragement. Il y a un tel fossé civilisationnel, sinon à combler, à accommoder…

L’assimilation et l’assistanat social ont un coût chez bien des autochtones, nous dit Caroline Monnet. Non seulement humain, mais aussi stylistique. Prendre possession de soi-même, exprimer sa différence et sa fierté au quotidien, dans son apparence, dans son attitude et dans sa foi en la vie. Telle est l’ossature de ce remarquable corpus R-Value.

R-Value, de Caroline Monnet, à la galerie Division jusqu’au 1er juillet, du mardi au samedi. Pour s’y rendre, il faut appeler préalablement au 514 938-3863 ou au 514 971-7156. Masque et gel désinfectant seront fournis.

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