Richelieu

Saisissant drame social

Si les fictions trop concentrées sur la transmission de leur message politique peuvent faire défaut au rayon du divertissement, c’est loin d’être le cas du premier long métrage de Pier-Philippe Chevigny.

En faisant appel à une mise en scène épurée et grâce à sa distribution de haut niveau et à son scénario méticuleux, Richelieu réussit à marquer l’esprit, à sensibiliser le public et à le tenir en haleine. C’est une réussite sur toute la ligne, un film important duquel on ressort mieux informé en plus d’avoir passé un excellent moment de cinéma.

Fraîchement séparée de son conjoint et de retour dans son patelin, Ariane (Ariane Castellanos) est la nouvelle interprète français-espagnol d’une usine de transformation alimentaire qui embauche des ouvriers guatémaltèques. Au fil des journées de boulot, elle se lie d’amitié avec les travailleurs temporaires, puis entreprend une résistance quotidienne pour les défendre de l’exploitation dont ils sont victimes.

Les conditions de ces migrants saisonniers, auxquels sont parfois infligés des mauvais traitements inimaginables, sont un enjeu dont il est question depuis des années au Québec. Même s’il avait déjà inspiré des œuvres (Les oiseaux ivres, Le temps des framboises), jamais ça n’a été aussi percutant qu’avec Richelieu.

La direction photographique de Gabriel Brault-Tardif nous plonge habilement dans le quotidien à l’aide de plusieurs plans séquences, de cadres serrés et de mouvements nerveux, caractéristiques du travail en usine. La recherche rigoureuse – Chevigny s’est déplacé au Guatemala avec la comédienne Ariane Castellanos pour recueillir nombre de témoignages – se manifeste tant dans les microdétails du texte que dans les scènes dramatiques les plus marquantes.

Ces scènes intenses n’abondent pas non plus, et c’est tant mieux. Chevigny ne tombe jamais dans le mélodrame, grâce à ses évidentes qualités d’observateur des rapports de pouvoir. On est dans la subtilité et la nuance, ce qui sert très bien le propos et permet de largement comprendre la problématique en peu de temps. N’empêche, la séquence musclée où l’un des travailleurs, Manuel Morales (Nelson Coronado), se retrouve gravement affecté par ses conditions de travail, glace le sang et saisit toute l’attention.

Et mentionnons la distribution, qui rend pleinement justice à cette réalisation. C’est en partie grâce à sa performance, particulièrement le jeu d’Ariane Castellanos et de Nelson Coronado, que toute la force du film se déploie. Leur complicité touchante ajoute d’ailleurs une pincée de douceur à cette histoire plus difficile que gaie.

Marc-André Grondin est efficace dans le rôle de Stéphane, le patron cassant et inflexible. Sa performance, bien qu’elle ne sorte pas du lot, réussit à bien rendre ce personnage habilement écrit, qui, si on s’attarde aux détails, est loin de n’être qu’un dirigeant tyrannique. Soumis à l’autorité de la haute direction, il a probablement lui-même connu les aléas du travail ouvrier avant d’accéder à ce rôle de pouvoir.

On a hâte de voir ce que Pier-Philippe Chevigny réserve au cinéma québécois, car sa signature de réalisateur a certainement le potentiel de servir la justice sociale. Comme quoi il n’y a pas que le documentaire qui peut être engagé.

Drame

Richelieu

Pier-Philippe Chevigny

Avec Ariane Castellanos, Marc-André Grondin, Nelson Coronado, Luis Oliva

1 h 30

En salle

8/10

Bottoms

Superbad rencontre Fight Club au féminin

Deux amies queers démarrent un club d’autodéfense féminin à leur école secondaire dans l’espoir de se rapprocher de belles filles populaires pour qui elles ont le béguin.

Les films et les séries qui se déroulent au secondaire vont toujours nous intriguer. Il y a la nostalgie, bien sûr, mais ces œuvres ouvrent aussi une fenêtre sur la réalité des jeunes de l’époque de leur sortie. Fast Time at Ridgemont High (1982) ou American Pie (1999) n’offrent pas un portait exact des générations qu’ils mettent en vedette, bien sûr, mais ces comédies donnent tout de même une idée des enjeux des élèves à cette période.

Bottoms ne fait pas exception. En fait, le deuxième long métrage d’Emma Seligman (l’intense Shiva Baby) est plus intelligent que la majorité des films dans le genre. Il est cru et violent, mais surtout drôle, authentique et plein d’amour.

PJ (Rachel Sennott) et Josie (Ayo Edebiri) se connaissent depuis le primaire et sont de grandes amies. Leur passage à l’école secondaire tire à sa fin et elles désirent tenter leur chance avec les filles à qui elles rêvent depuis longtemps : Brittany (Kaia Gerber) et Isabel (Havana Rose Liu), deux meneuses de claque.

Bien que la prémisse soit conventionnelle, remplacer des gars un peu losers par deux filles queers change la dynamique et est rafraîchissant. Le scénario de Seligman et Sennott intègre d’autres éléments classiques : l’équipe de football est reine et ses joueurs sont des imbéciles intimidateurs, le directeur est pitoyable et la qualité de l’enseignement n’est pas une priorité.

Le seul prof que l’on voit est Mr. G, incarné par l’ancien joueur de la NFL Marshawn Lynch. Son naturel comique brille, alors qu’il se retrouve surveillant du club d’autodéfense formé par PJ et Josie. Au départ, il n’est qu’un prétexte pour attirer des filles, mais les rencontres entre celles-ci deviennent des moments qu’elles chérissent, et ce, même si elles repartent le visage ensanglanté.

La chimie entre Rachel Sennott (Bodies Bodies Bodies, The Idol) et Ayo Edebiri (Theater Camp, The Bear, la voix de plusieurs personnages animés cette année) est exceptionnelle. Elles sont maladroites, charmantes, vulnérables. Leur amitié dans la vraie vie se reflète à l’écran. Les autres membres du club sont également attachantes et rendent bien les différentes personnalités qui se côtoient dans l’harmonie – ou non – au secondaire.

Le degré d’absurdité grimpe de plusieurs crans au dernier acte et nous éloigne un peu de la sincérité des émotions, mais le tout se conclut de belle façon et nous fait bien rire tout au long.

Bottoms est présenté seulement dans sa version originale anglaise.

Comédie

Bottoms

Emma Seligman

Avec Rachel Sennott, Ayo Edebiri, Ruby Cruz

1 h 32

En salle

8/10

Polaris

Mad Max dans la neige

En 2144, la Terre vit une nouvelle ère glaciaire. Une enfant humaine élevée par une ourse polaire doit affronter de nombreux dangers pour retrouver Polaris, la dernière étoile qui brille.

Sur la route des festivals depuis qu’il a été présenté en première mondiale à Fantasia en 2022, Polaris prend l’affiche alors que de terribles incendies ont ravagé l’Ouest canadien. Une vision prophétique pour cette production canadienne qui a été tournée dans les superbes paysages du Yukon et qui se déroule dans un monde post-apocalyptique ?

Si c’est le cas, il faudrait imiter la jeune héroïne du film et se mettre en mode survie. Capable de parler aux animaux et aux arbres, Sumi (Viva Lee) semble sortir d’un opus d’Hayao Miyazaki (Princesse Mononoke). Elle est attachante et courageuse, étant la force vitale de ce récit d’initiation poétique et environnemental.

Ce qui s’annonce comme un long métrage pour toute la famille (l’introduction avec l’ourse est particulièrement mignonne) se transforme rapidement en suspense sanguinaire où des gens se font sauvagement tuer et même décapiter. C’est Mad Max – ou Turbo Kid – dans la neige, sans le budget et l’humour. Un amalgame entre l’innocence et la violence qui laisse parfois perplexe, bien qu’il demeure représentatif de la réalité.

Plus intéressant est le choix d’éliminer les dialogues. Les personnages s’expriment dans des dialectes inintelligibles, arrivant cependant à créer des liens par la musique. Une idée qui rend le propos universel, même si elle finit par peser sur le scénario, étonnamment linéaire et superficiel.

La distribution entièrement féminine est une autre heureuse trouvaille. Malgré les archétypes en place, ce sont ces alliées et ces ennemies qui font respecter la loi du plus fort si chère à Darwin. Le rôle le plus marquant est l’ermite campée par la vénérable Muriel Dutil (oui, oui). Non seulement elle permet de développer une relation mère-fille avec Sumi (en vivifiant par la même occasion le jeu de Viva Lee), mais la voir prendre les armes et se battre relève du fantasme pur.

Réalisé avec soin par Kirsten Carthew (The Sun at Midnight), qui a su capter toute la beauté de ses immenses territoires, Polaris s’avère un conte plein d’espoir et de fantaisie qui arrive, malgré toutes ses imperfections, à apporter du sang neuf au film de genre canadien.

Aventure

Polaris

Kirsten Carthew

Avec Viva Lee, Muriel Dutil, Khamisa Wilsher

1 h 29

En salle

6/10

The Equalizer 3

Saint Robert McCall

Maintenant dans le sud de l’Italie, l’ancien marine et agent de la DIA Robert McCall doit protéger des villageois de la mafia napolitaine.

L’archange saint Michel représente la puissance des forces du bien contre le mal.

C’est essentiellement ce qu’est le charitable Robert McCall dans la trilogie The Equalizer, d’Antoine Fuqua (Training Day, Emancipation).

La symbolique religieuse demeurait subtile dans les deux premiers chapitres. Dans celui qui prend l’affiche ce vendredi, elle est presque de chaque plan tellement le film est truffé d’imagerie chrétienne.

L’œuvre s’ouvre avec une scène magnifiquement filmée – le triple oscarisé Robert Richardson est directeur photo – dans laquelle la caméra pénètre lentement à l’intérieur du bâtiment principal d’un vignoble en Sicile. Des corps dont la vie s’est brutalement arrêtée jonchent le trajet jusqu’à la cave où Robert McCall attend, assis sur une chaise. Deux hommes le tiennent en joue. Les deux autres qui viennent de les rejoindre sont aussi armés. Quelques secondes plus tard, le quatuor sera mort.

Dans un monde de John Wick et de presque tous les films de Liam Neeson depuis Taken, Denzel Washington a su créer un personnage d’homme invincible altruiste qui reste intéressant par son caractère énigmatique. Il tue pour faire le bien, certes, mais on l’aime surtout parce qu’il semble foncièrement bon. Le destin a simplement fait qu’il possède un grand talent pour éliminer les méchants. The Equalizer 3 poursuit dans la même lignée, mais associe à outrance les actions de Robert à sa foi – ou celle de son acteur.

L’histoire se déroule principalement dans le bucolique village d’Altamonte, où tout le monde se connaît. Robert – ou plutôt Roberto – y récupère de ses blessures et fait la rencontre de gens, qui, comme lui, ont un bon fond. Toutefois, ceux-ci sont menacés par la Camorra, la mafia napolitaine. Heureusement pour eux, Robert se trouve là où il doit être.

Richard Wenk a manqué d’inspiration pour cette troisième aventure, car son scénario est d’une minceur prodigieuse. Il y a tellement peu à raconter entre les scènes de violence qu’on suit longuement les déplacements à pied ou en voiture de chaque personnage. Robert Richardson le fait très bien, au moins.

Ça ne s’améliore guère quand la CIA débarque. Soudainement, on évoque le terrorisme et la « drogue du djihad ». Tout cela est inutile. Dakota Fanning incarne l’agente inexpérimentée qui apprend tout de Robert en ne passant que 15 minutes avec lui. C’est mignon de revoir les deux acteurs ensemble près de 20 ans après Man on Fire, mais le rôle de l’aînée des sœurs Fanning est particulièrement insignifiant.

Le prochain The Equalizer pourrait raconter le passé de Robert McCall. Antoine Fuqua a mentionné au site NME qu’il aimerait rajeunir Denzel Washington avec les effets spéciaux. On préfère la rumeur voulant que son fils, John David Washington, incarne le jeune Robert, car le paternel mérite sa retraite sur la côte amalfitaine. Et nous aussi.

Action

The Equalizer 3

(V.F. : Le justicier 3)

Antoine Fuqua

Avec Denzel Washington, Dakota Fanning, Gaia Scodellaro

1 h 49

En salle

4/10

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