Chronique

Les vices cachés du régime de retraite de la construction

Les travailleurs de la construction devraient profiter de la fin de leurs vacances d’été pour se mettre le nez dans leur régime de retraite. En effet, plusieurs milliers d’entre eux sont actuellement privés d’une partie de leur rente de retraite, ce qui peut se traduire par des pertes de plusieurs dizaines de milliers de dollars par personne.

La Commission de la construction du Québec (CCQ), qui gère le régime de retraite, est au courant du problème depuis belle lurette, mais elle n’a pas suffisamment informé les participants de leurs droits. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le Tribunal administratif du travail dans un jugement rendu le 19 juin dernier.

Le juge a tapé sur les doigts de la CCQ qui refusait de payer rétroactivement les rentes de deux travailleurs de la construction lésés. L’un d’eux, un frigoriste de 56 ans, a perdu plus de 15 000 $ parce qu’il n’a pas demandé sa rente alors qu’il y était admissible sans le savoir.

D’où provient cet imbroglio ? Pour bien comprendre, il faut savoir que le régime de retraite de la CCQ comporte deux volets depuis 2005 : d’une part, l’ancien régime à prestations déterminées dans lequel les sommes accumulées restent accessibles pour tous ceux qui ont droit à une rente et, d’autre part, le nouveau régime à cotisations déterminées où toutes les nouvelles cotisations sont aiguillées.

Depuis le 1er juillet 2014, les travailleurs peuvent réclamer une « retraite partielle ». S’ils répondent à certains critères, ils peuvent commencer à recevoir leur rente de l’ancien régime, tout en continuant de travailler et de cotiser au nouveau régime.

Mais lorsque ce changement est entré en vigueur, la CCQ a mal informé les quelque 13 000 travailleurs admissibles. Au lieu de leur envoyer une lettre personnalisée, elle leur a fait parvenir un dépliant qui ressemblait « bien plus à une publicité de résidence à temps partagé sous les tropiques qu’à un document communiquant une modification importante », ironise le juge.

La CCQ a aussi modifié ses relevés annuels de retraite pour tenir compte des changements. Mais ce document « long et dense contient beaucoup d’information difficile à comprendre », ajoute le juge.

Ainsi, la CCQ n’a jamais averti clairement les travailleurs visés qu’ils perdraient à tout jamais des sommes importantes auxquelles ils avaient droit s’ils ne demandaient pas leur retraite partielle dès leur admissibilité.

Le frigoriste, par exemple, avait droit à une rente mensuelle d’environ 1350 $ à partir de janvier 2015. Mais ce n’est que 11 mois plus tard, en téléphonant à la CCQ, qu’il a découvert qu’il pouvait toucher cette somme même s’il ne prenait pas encore sa retraite et, de surcroît, que la somme resterait identique même s’il retardait sa retraite de cinq ou dix ans.

« Alors je suis ben mieux de la prendre tout de suite ! », s’est-il exclamé.

« Ben oui », lui a répondu l’agent.

Or, la CCQ a ensuite refusé de lui verser les quelque 15 000 $ de rente perdue à cause des 11 mois de retard.

Le frigoriste est loin d’être le seul dans cette situation. Plus de 13 000 autres participants visés sont passés dans le beurre, relate le jugement. Mais depuis, la CCQ estime que 1000 d’entre eux ont pris une retraite partielle et plus de 5000, une retraite complète. Il reste tout de même 2000 personnes qui ont réclamé un formulaire sans y donner suite et 5000 personnes qui n’ont jamais donné signe de vie.

Imaginez un peu l’argent qu’ils laissent sur la table !

Un travailleur qui serait admissible à une rente mensuelle de 2000 $ depuis le 1er janvier 2014, mais qui ne l’aurait pas encore demandée, aurait laissé filer 84 000 $ à cause de ces 42 mois de retard. Ça fait de gros montants !

Fort heureusement, la CCQ a annoncé qu’elle se plierait à la décision du tribunal et qu’elle verserait rétroactivement les rentes non réclamées depuis trois ans. Les actuaires de la CCQ s’activent actuellement à calculer la somme due à chaque participant admissible. Cette fois, les personnes visées seront contactées personnellement. Espérons que la CCQ réussira à les joindre…

En juin dernier, je vous racontais que la CCQ a envoyé plus de 100 millions de dollars au Registre des biens non réclamés du Québec, depuis six ans, parce qu’elle n’arrivait pas à verser les rentes à des retraités dont elle avait perdu la trace.

En tout cas, le récent coup de semonce du tribunal devrait donner à réfléchir à tous les employeurs qui remettent des informations obscures ou carrément erronées aux participants de leur régime de retraite.

Gare aux poursuites ! Les questions relatives aux communications avec les employés sont une des sources principales de litiges contre les administrateurs de régimes de retraite.

Certains employeurs ont payé cher pour avoir envoyé de mauvaises communications aux participants de leur régime de retraite. IBM Canada, par exemple, vient de régler une action collective pour 23 millions de dollars à cause de communications litigieuses transmises au fil des ans à ses employés.

Les régimes de retraite ont un devoir fiduciaire, ce qui inclut l’obligation de bien informer les membres. Et il ne suffit pas d’envoyer une foule de renseignements indigestes aux participants pour s’en décharger, il faut aussi que l’information soit clairement présentée et compréhensible.

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