Ce trou que l’on contemple

Les délais et hésitations sur le troisième lien sont le symptôme d’un mal profond.

Car le ministère des Transports du Québec n’est pas seulement doué dans l’art de creuser des trous. Il excelle aussi dans celui de pelleter les problèmes vers l’avant, comme celui du financement des routes et du transport collectif.

Le fonds qui sert à les payer est déficitaire. Que faire ? Voilà une question à laquelle le gouvernement caquiste n’ose pas répondre, car il a peur de déplaire aux automobilistes. Alors la fuite se poursuit.

À l’hiver 2019, le ministre des Transports, François Bonnardel, lançait un chantier sur le sujet. Ses travaux se sont terminés à l’automne 2021. Mais aucune décision n’a été prise. Pas question de discuter, même avec des mimes ou des charades, de la taxation des automobilistes juste avant la campagne électorale.

Sa successeure, Geneviève Guilbault, a hérité du dossier. Comme si l’information manquait, elle a lancé une nouvelle tournée de consultations.

Pendant ce temps, ce qu’on prédisait depuis des années s’est confirmé : le système est brisé. Dans le fonds qui finance les transports routiers et collectifs (FORT), les dépenses augmentent plus vite que les revenus.

En 2021, les sorties d’argent s’élevaient à 5,6 milliards, contre 3 milliards en entrées.

La cause est connue.

D’un côté, les droits sur les permis de conduire et l’immatriculation n’ont pas été indexés. Et les revenus de la taxe sur l’essence vont diminuer à cause des véhicules électriques.

De l’autre, les besoins bondissent. Le réseau vieillissant entre en phase d’entretien, et l’offre de transport collectif ne suffit pas pour atteindre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre.

Ce n’est pas seulement un enjeu financier. C’est aussi une question d’équité.

À sa création en 2010, le FORT devait respecter le principe de l’utilisateur-payeur.

Contrairement au discours populaire, les automobilistes payent moins à l’État qu’ils ne coûtent à cause de leur utilisation des routes. Mais cela, jamais les caquistes n’oseront le dire. Ils préfèrent propager le mythe du libre choix.

Le modèle actuel n’est pourtant pas neutre. Sa logique se résume ainsi : construire plus de routes, ce qui étale les villes, coûte plus cher en infrastructures, rend le recours à la voiture inévitable, aggrave la congestion et donc accentue la pression pour créer plus de routes, et ainsi de suite.

Résultat, le transport est le deuxième poste de dépenses des ménages, devant l’alimentation. Cet argent sert à payer des biens produits à l’extérieur du Québec. Bref, la pollution s’intensifie et le déficit commercial se creuse.

On le voit, cette liberté est bien imparfaite.

Que cela leur plaise ou non, tous les contribuables financent indirectement les voitures avec leurs impôts. Ils ne sont pas libres de refuser.

Des citoyens souffrent aussi de la pollution de l’air, que cela leur plaise ou non.

En région, la voiture est nécessaire. Ailleurs, toutefois, nombre de gens qui conduisent pour se rendre au travail aimeraient avoir un mode de transport collectif fiable, mais ils ne peuvent pas le construire eux-mêmes.

Quand on manque de choix ou qu’on est contraint de subir ceux des autres, on n’est pas vraiment libre.

***

Les rapports d’experts se succèdent et ils partagent un grand constat : les principes de l’utilisateur-payeur et du pollueur-payeur doivent être rétablis. Sinon, le système sera à la fois injuste et déficitaire.

Le Québec n’est pas seul à se poser ces questions. L’écofiscalité relève du gros bon sens économique. Pour le dire de façon plus technique : il s’agit simplement d’internaliser tous les coûts afin que le prix joue son rôle dans le marché.

Québec vient d’offrir 400 millions aux sociétés de transport collectif pour l’année 2023. Ce diachylon ne guérira toutefois pas le bobo. Dans quatre ans, il manquera près de 1 milliard par année pour exploiter et entretenir les métros, bus et trains. Et ça, c’est seulement pour le réseau existant. On ne parle même pas de bonifier le service.

Depuis son élection en 2018, le gouvernement caquiste promet plus de routes, plus de transport collectif et moins de taxes dans un Québec vert. C’est intenable.

L’automne dernier, on apprenait que le ministère des Transports étudiait des options comme tarifer les voitures selon leur kilométrage ou leur nombre de cylindres, avec un rabais en contrepartie pour les modèles à faible consommation. Le politique ne voulait toutefois rien savoir.

Le dernier budget rappelle qu’en 2027, il manquera près de 1,7 milliard chaque année pour payer les routes. Le ministère des Finances récoltera cette facture. Il conclut d’ailleurs avec cette remarque impatiente : « Des solutions devront être identifiées. »

En fait, elles sont connues. Suffit juste de ne plus les reporter.

Depuis ses débuts en politique, la ministre Geneviève Guilbault a surtout pu faire valoir ses aptitudes en gestion de crise, à la Sécurité publique et lors du fiasco à la SAAQ. Cette fois, on attend de voir sa vision.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.