Samuel Montembeault

Simple comme Samuel

En signant un nouveau contrat de trois ans, il y a trois semaines, Samuel Montembeault a réalisé ce qu’aucun Québécois n’avait fait depuis plus de 15 ans : obtenir le statut de gardien de but principal du Canadien de Montréal. L’emploi vient bien sûr avec une pression hors du commun. Or, le natif de Bécancour préfère l’aborder avec calme et simplicité, comme il le fait dans toutes les sphères de sa vie.

Un portrait de Simon-Olivier Lorange

Samuel Montembeault

Un pâté chinois et un film de Noël

Quand il a eu la confirmation que les détails de son contrat étaient réglés, Samuel Montembeault a fait ce qu’il fait chaque fois qu’un évènement important survient dans sa vie.

Après avoir agi à titre de gardien adjoint pour le match du 30 novembre dernier, une rude défaite de 5-1 aux mains des Panthers de la Floride, il a pris la route pour Bécancour afin de dévoiler la nouvelle en primeur à ses parents.

Lorsque la nouvelle est devenue publique le lendemain matin, toute la famille a rapidement été inondée de messages de félicitations. On s’attendait à des célébrations fastes. Or, un quart de nuit attendait Mario, le père de Samuel, à l’aluminerie où il est opérateur.

« Sam est resté chez nous, on a mangé un pâté chinois, on s’est mis en pyjama et on a regardé un film de Noël. Ç’a été ça, la célébration », a raconté en riant Manon Royer, mère du gardien, croisée avec son conjoint il y a quelques jours au Centre Bell.

« Mais on va se reprendre », a promptement promis le paternel.

Si une seule anecdote peut résumer Samuel Montembeault, c’est probablement celle-là. Un pâté chinois pour souligner un contrat de trois ans d’une valeur totale de 9,45 millions de dollars.

« C’est vraiment ça », confirme le principal concerné, en entrevue avec La Presse, dans un café du centre-ville.

« Je suis juste vraiment bien quand je suis à la maison avec ma famille. C’est tout le temps simple. On a du fun, on s’écœure. On est vraiment tissés serré. »

— Samuel Montembeault

La simplicité est probablement le thème qui revient le plus souvent quand on écoute parler Montembeault ou quand on entend parler de lui. Lors du point de presse ayant suivi la signature de son contrat, il a révélé avoir l’intention d’acheter un terrain à Trois-Rivières avec sa copine, elle aussi originaire de la région.

« On aimerait ça, avoir notre maison de rêve dans ce coin-là pour bâtir une famille et la voir grandir là-bas, précise l’athlète de 27 ans. C’est juste à une heure et demie de Montréal. […] Tous mes amis et toute ma famille sont encore là-bas, j’aime ça, être proche de mon monde. »

Stabilité

Ce qu’il a surtout acquis, c’est la « stabilité ». Au sein de l’organisation du Canadien, qui lui a témoigné sa confiance en s’associant à lui jusqu’en 2027. Et, forcément, sur le plan financier. N’ayant jamais senti « le besoin de flasher » – il conduit encore la voiture qu’il s’est offerte en 2016 après avoir signé son premier contrat professionnel avec les Panthers de la Floride –, il se réjouit, avant tout, d’avoir l’esprit tranquille pour longtemps.

« En grandissant, et on n’était pas la famille qui avait le plus d’argent, dit-il, mes parents ont fait tellement de sacrifices pour me permettre de jouer au hockey. Un gardien, en plus, on sait que ça coûte plus cher… »

« Quand j’étais junior, je gagnais 60 $ par semaine. Il a déjà fallu que j’appelle mon père pour payer mon gaz, parce que je n’avais plus d’argent. Alors oui, c’est le fun d’avoir plus de stabilité. »

— Samuel Montembeault

On comprend donc que ce n’est pas lui qui prendra la grosse tête avec son nouveau statut. Ce serait, à tout le moins, un choc pour son entourage si ça se produisait.

Ça trancherait drôlement avec celui qui peut encore être aperçu, en pyjama, à promener ses deux bouledogues français dans les rues du petit secteur de Bécancour où se trouve la maison familiale. Ou avec celui qui a fait des livraisons pour la pharmacie dont sa mère est gérante, pendant l’été 2022, pour remplacer un employé malade.

« Il ne réalise pas qu’il est devenu Samuel Montembeault du Canadien de Montréal, estime justement sa mère Manon. Lui, c’est Samuel Montembeault de Sainte-Gertrude. Ça ne le stresse pas du tout. »

Samuel Montembeault

« C’est stressant à quel point il n’est pas stressé »

En réalité, y a-t-il quelque chose qui stresse le numéro 35 du Tricolore ? La question mérite d’être posée. Et malgré l’énergie investie dans nos recherches, il semble que la réponse soit non.

Toutes les personnes à qui nous avons parlé dans le cadre de ce reportage s’entendent sur au moins une chose à son sujet : il faudra se lever tôt pour le déstabiliser ou lui faire perdre sa contenance. Unanimement, on décrit un être placide, dont le pouls ne semble jamais s’accélérer. « C’en est stressant pour nous à quel point il n’est pas stressé dans la vie », illustre sa mère.

Cette imperméabilité aux irritations semble le suivre devant son filet. Chaque fois qu’ils s’expriment à son sujet, ses coéquipiers et ses entraîneurs chez le Canadien vantent son calme et sa capacité à tourner la page sur un mauvais but ou un mauvais match. Un trait de caractère qui le suit pratiquement depuis qu’il a enfilé des jambières pour la première fois.

Steve Mongrain peut en témoigner. Entraîneur des gardiens de but chez les Estacades de Trois-Rivières, il a travaillé avec Montembeault pendant tout son secondaire, des rangs pee-wee jusqu’au midget AAA – aujourd’hui la ligue de développement M18 AAA.

« Son calme était légendaire, témoigne-t-il. On aurait dit qu’il n’avait pas de pression. Il jouait pour le plaisir. » Déjà à l’époque, « il avait des jambières très rapides, son bas du filet était très efficace », raconte l’entraîneur. Or, il était assez petit pour son âge, ce qui peut sembler surprenant pour quiconque a déjà croisé en personne le grand gaillard de 6 pi 3 po.

Selon Mongrain, c’est ce manque de maturité physique qui l’a empêché de jouer au niveau midget AAA à l’âge de 15 ans. Après une saison chez les midget Espoir, et à la suite d’une sérieuse poussée de croissance, il a toutefois été en mesure de faire sa place au sein du club principal des Estacades, où les choses sont devenues plus sérieuses pour lui. Dans tous les sens du terme.

D’une part, du point de vue de sa carrière. Quelques semaines après son arrivée, il a damé le pion à son partenaire Gabriel Forcier, un vétéran de troisième année. Il s’est ainsi retrouvé sur les écrans radars de la LHJMQ. Quelques mois plus tard, l’Armada de Blainville-Boisbriand en faisait un choix de troisième tour au repêchage.

D’autre part, sur le plan personnel. Car Montembeault, à l’adolescence, avait les défauts de ses qualités. Il avait toujours joué pour s’amuser, avec désinvolture. Or, « il avait des choses à améliorer sur le plan de l’éthique de travail ».

« Au début de la saison, dans le midget AAA, on rencontre tous les parents des joueurs, raconte Steve Mongrain. J’avais dit à ceux de Samuel : ses habitudes de travail ne sont pas toujours A1 dans les pratiques. Alors si vous êtes d’accord, on va le faire travailler vraiment fort. C’est ce qu’on a fait. Il avait besoin de beaucoup d’encadrement. On l’a pris par la main, un peu. […] Ç’a été une étape vers son cheminement actuel. »

Déclic

Chez l’Armada, il lui restait visiblement encore du chemin à parcourir à cet égard. Montembeault lui-même ne s’en cache pas : « Je n’étais pas assez mature à ce moment-là. J’arrivais à l’aréna juste pour avoir du fun, pour voir les gars. » On comprend que ça lui a valu des discussions les yeux dans les yeux avec son directeur général Joël Bouchard, qui a aussi été son entraîneur-chef à partir de sa deuxième saison.

C’est Jean-François Houle qui a été son premier entraîneur-chef à Boisbriand. Selon lui, un « déclic » a été nécessaire. « Il avait tout le package, rappelle celui qui dirige aujourd’hui le Rocket de Laval. Il est grand, il est athlétique. […] Ç’a été un très bon gardien de but pour nous, même à 16 ans. Il fallait juste qu’il apprenne à travailler. »

Qu’à cela ne tienne, Maxime Vaillancourt, entraîneur des gardiens de l’Armada à l’époque, n’a jamais douté des chances de succès.

« Sa capacité à arrêter la rondelle a toujours été exceptionnelle », dit-il. Sa mitaine, son anticipation et son maniement de la rondelle étaient déjà de grands atouts à 17 ou 18 ans.

Jusqu’à l’an dernier, Montembeault et Vaillancourt ont continué à travailler ensemble l’été. Le spécialiste a donc été à même de voir l’évolution dans la technique de son poulain, qui se veut le reflet du travail accompli d’abord dans la Ligue américaine puis dans la LNH. Il rend ainsi hommage à Éric Raymond, entraîneur des gardiens du Tricolore.

« Il a fait toute une job, estime Vaillancourt. On peut voir qu’il est aujourd’hui beaucoup plus prêt à affronter les lancers que par le passé. La rondelle le frappe plus, il contrôle mieux ses retours, il lit mieux les jeux. J’ai vraiment remarqué la différence au Championnat du monde, le printemps dernier. »

Confiance

Il n’empêche que, malgré toutes ses qualités techniques et athlétiques, la force de sa concentration dans les moments clés revient encore et toujours dans la conversation. « Surtout lorsque les enjeux sont élevés », insiste Maxime Vaillancourt.

Ses coéquipiers voyaient la même chose. Pascal Corbeil, qui a côtoyé Montembeault pendant trois ans chez l’Armada, a le souvenir d’un gardien « qui donnait confiance à tout le monde dans l’équipe ».

« Les gros lancers ou les grosses chances de marquer, ça semblait facile pour lui tellement il était calme devant le filet, relate l’ex-défenseur. Ça fait en sorte que tout le monde joue mieux, joue plus gros, et a moins peur de faire des erreurs. »

Hors de la glace, des anciens de l’Armada parlent de lui comme d’un joueur « rassembleur » qui contribuait à intégrer positivement les nouveaux venus dans l’équipe… et qui laissait de côté les légumes dans son assiette. Le surnom « Snacks », qui lui a plus tard été attribué à Montréal, ne tient pas du hasard.

« Il n’avait pas une super alimentation, nous a dit un ex-coéquipier il y a quelques années. Il y a des fois où on était sans connaissance. On allait à l’épicerie et on lui disait : tu ne peux pas manger ça ! »

« Heille, ce n’était pas si pire que ça ! », se défend Montembeault en éclatant de rire.

« C’est vrai que je suis vraiment gourmand, que j’aime les desserts, le fast food, avoue-t-il. Les jours de match et la veille, je vais bien manger, mais les jours de congé, je me laisse aller un peu… »

Lui-même témoigne du chemin qu’il a parcouru sur le plan de la préparation sous toutes ses formes, au point d’en faire une seconde nature.

« Oui, ça demande un effort, parce que c’est une business, et il faut travailler tous les jours, dit-il. Mais j’ai tellement de plaisir quand je suis à l’aréna que ça se fait tout seul. Avec le travail, tu t’améliores, ça va mieux dans les matchs. Et quand tu gagnes, c’est le fun. »

Samuel Montembeault

De grands souliers à chausser

Ce contrat de trois ans, c’est un peu (beaucoup) la consécration, justement, de tous les efforts investis et de la persévérance qui lui a été nécessaire.

Ses débuts chez les professionnels, sans lui faire vivre l’enfer, n’ont pas été un fleuve tranquille. Choix de troisième tour des Panthers de la Floride en 2015, il a fait le saut du junior à la Ligue américaine en 2017-2018 en se joignant aux Thunderbirds de Springfield, club de fond de classement dont il a été le principal gardien à 21 ans.

Pour la première fois de sa vie, il s’éloignait sérieusement de la maison pour jouer au hockey. Ses parents ont toutefois tiré profit d’une situation malheureuse – l’usine où travaillait son père était en lock-out – pour aller le visiter régulièrement.

À ses deux saisons suivantes, il a trouvé ses aises, prenant même part au match des Étoiles de la Ligue américaine en 2019. Il a aussi obtenu ses premiers rappels dans la LNH. Malgré une fiche positive de 9-8-3 à Sunrise, son taux d’arrêts de ,892 laissait croire qu’il lui restait encore des aspects de son jeu à peaufiner.

Sa situation chez les Panthers lui laissait toutefois peu d’espoirs de décrocher un poste à temps plein. Coincé derrière Sergei Bobrovsky et Chris Driedger, il a passé toute la campagne 2020-2021 dans les ligues mineures, cette fois avec le Crunch de Syracuse. Et avec l’éclosion de Spencer Knight la saison suivante, il était l’homme en trop.

Le 1er octobre 2021, son nom a été soumis au ballottage. Le lendemain après-midi, passé l’échéance de 14 h, Montembeault n’avait toujours aucune nouvelle. Son agent et lui échangeaient des textos : la rétrogradation semblait imminente.

Cette fois, le cœur n’y était pas, sinon si peu. Le club-école des Panthers était désormais situé à Charlotte et partagé avec le Kraken de Seattle. Un engorgement se profilait devant le filet. Il était question que Montembeault soit prêté à une autre formation de la Ligue américaine, peut-être même le Rocket de Laval.

Or, son cellulaire a sonné. Sur l’afficheur : l’indicatif 514. C’était Marc Bergevin, alors directeur général du Canadien, qui lui annonçait que le club de son enfance l’avait réclamé.

« Je ne m’attendais pas à ça. Je sautais de joie ! », affirme-t-il. Ses parents se sont spontanément inquiétés de la pression médiatique, à plus forte raison pour un Québécois.

« Il m’a dit : ça va être en français. Amenez-en, des journalistes ! », rapporte sa mère.

Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Dans la victoire comme dans la défaite, Montembeault s’entretient patiemment avec les reporters, en français comme en anglais, avec l’essoufflant débit qui est le sien. Il ne se formalise pas de répondre à quelques questions le matin d’une rencontre, une idée impensable pour plusieurs gardiens.

« Que ce soit un bon ou un mauvais match, c’est important de faire face à la musique et de répondre de ce qui est arrivé, croit-il. On le voit à la télé : tout le monde parle du Canadien. C’est important de donner l’information et de parler. Ça ne me dérange pas du tout. »

Porte-parole

Par la force des choses, il est ainsi devenu l’un des principaux porte-parole dans le vestiaire. Malgré des statistiques peu flatteuses au cours de ses deux premières saisons à Montréal, il a gagné la sympathie du public.

Le voilà, avec David Desharnais, Phillip Danault, Jonathan Drouin, et plus récemment David Savard et Mike Matheson, dans la courte liste des Québécois francophones qui ont eu un impact important chez le CH depuis 2010. Pour trouver son équivalent chez les gardiens, il faut remonter à José Théodore, au milieu des années 2000.

Samuel Montembeault est pleinement conscient, à ce titre, de son unicité.

Un concours de circonstances a fait en sorte que la prise de photos, en vue de la publication de ce reportage, s’est déroulée sur l’avenue des Canadiens-de-Montréal, près de la grande œuvre murale qui orne la façade nord-est du Centre Bell.

Derrière le natif de Bécancour, on pouvait apercevoir Patrick Roy brandir la coupe Stanley. Un plan rapproché de Carey Price. Ken Dryden, dans sa pose classique, debout, accoudé sur son bâton.

S’il demeure avec le CH pour toute la durée de son nouveau contrat, Montembeault s’approchera du top 10 de l’histoire du club pour le nombre de matchs joués et le nombre de victoires. Peut-être ne reproduira-t-il pas les prouesses des géants passés avant lui. Mais il en devient un incontournable héritier.

« C’est un peu fou », admet Montembeault, qui évoque aussi le nom de Jacques Plante, dont l’image décore son masque.

« C’est de grosses chaussures à porter, mais c’est vraiment le fun », ajoute-t-il.

Il attend avec impatience le retour de son équipe en séries éliminatoires. Son passage au plus récent Championnat du monde, où il a remporté la médaille d’or avec l’équipe canadienne, lui a redonné le goût des « matchs sans lendemain ».

« J’aimerais vraiment ça, vivre l’expérience des séries, ici, au Centre Bell. Ça doit tellement être bruyant… »

— Samuel Montembeault

Il est encore trop tôt pour prédire le type de carrière qu’il connaîtra. Son destin sera inévitablement lié à celui de l’organisation, dont les succès risquent de devoir attendre encore.

Ce dont on peut présumer, toutefois, c’est que le gardien affrontera les tempêtes avec tout le calme et la bonne humeur qui le caractérisent.

Un mandat infiniment complexe dans un marché comme Montréal. Mais qu’il tentera de faire paraître le plus simple possible.

Simple comme Samuel, finalement.

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