Opinion : Aires protégées

Le ministre des Forêts contrevient-il à sa propre loi ?

Dans les dernières semaines, l’emprise de l’industrie forestière sur la gestion de la forêt publique québécoise a été exposée au grand jour. La rumeur court que le mot d’ordre adopté par le ministre Pierre Dufour et les hautes autorités du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs est de refuser toute baisse de possibilité forestière, même si cela bloque la création d’aires protégées dans le sud du Québec. Ce blocage nous préoccupe, et il pourrait même contrevenir à la loi.

Des projets d’aires protégées bloqués par le Ministère

L’automne dernier, le ministre Dufour, appuyé par les hauts fonctionnaires du ministère des Forêts, a rejeté sans explications 83 projets d’aires protégées se trouvant dans la « forêt commerciale » du Québec.

Pire encore, en Outaouais, le ministre ne s’est pas contenté de ne pas coopérer à créer de nouvelles aires protégées ; il a démoli des acquis de conservation.

Quatre projets d’aires protégées annoncés en grande pompe en 2018 ont été rayés de la carte lors de l’annonce de l’atteinte de la cible de protection de 17 % du territoire québécois en décembre dernier parce que le ministère des Forêts leur a retiré son appui.

Il s’agit des projets de réserves de biodiversité Mashkiki, Noire-Coulonge, de la Rivière-Fortier et Cabonga, qui auraient permis de protéger 1655 km2 d’écosystèmes riches et diversifiés.

Non seulement ces projets bénéficient depuis des années d’un appui colossal de la population et des élus locaux, le ministère des Forêts leur a émis un avis favorable basé sur les évaluations du Bureau du Forestier en chef, préalablement à l’annonce publique de leur création. Deux ans plus tard, le Ministère a pourtant retiré sans justifications son avis favorable à la création de ces aires protégées, entraînant par le fait même un recul majeur en matière de conservation de la nature en Outaouais.

Un manque de collaboration

Plusieurs se sont indignés de voir de nombreux projets d’aires protégées bloqués par le ministère des Forêts dans presque toutes les régions du Québec, et avec raison. Ce que les gens savent moins, c’est qu’en agissant ainsi, le ministre des Forêts pourrait avoir contrevenu à la loi. Dans le long périple que constitue la création d’une aire protégée au Québec, les ministères concernés sont consultés afin d’analyser les territoires candidats à l’obtention d’un statut de protection.

En ce qui concerne le ministre des Forêts, sa collaboration dans le dossier des aires protégées est inscrite dans la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF).

L’article 52 de la LADTF mentionne que le ministre est tenu d’exercer ses pouvoirs et responsabilités dans le respect de la Stratégie d’aménagement durable des forêts, « l’âme du régime forestier », selon le site internet du Ministère. Ce n’est pas peu dire.

La LADTF stipule que la Stratégie expose la vision du Ministère et qu’elle doit être à la base de toutes ses politiques et actions. La Stratégie, quant à elle, est catégorique concernant le rôle du ministre dans la création d’aires protégées : celui-ci s’engage à « contribuer au développement et à la gestion durables d’un réseau d’aires protégées efficace et représentatif de la biodiversité ».

Force est de constater que lors des négociations interministérielles pour atteindre la cible de 17 % de protection, le retrait impromptu et arbitraire de l’appui du ministère des Forêts aux quatre projets d’aires protégées en Outaouais, et l’absence de toute proposition d’aires protégées de rechange pour la région, montre que le ministre n’a pas collaboré à la création d’un réseau représentatif d’aires protégées en contradiction avec son obligation légale de respecter la Stratégie d’aménagement durable des forêts.

Le ministre des Forêts a brisé le contrat social établi formellement par la Stratégie. Nature Québec lui demande de faire amende honorable et de reconsidérer sans plus attendre les 83 projets d’aires protégées non retenus dans un processus de désignation menant à la création d’un réseau représentatif d’aires protégées, ce qui doit inclure notamment la « forêt commerciale ». Quant aux hautes autorités du ministère des Forêts, elles ont très mal conseillé leur ministre. Nature Québec demande que l’Assemblée nationale charge sa Commission de l’administration publique de faire la lumière sur les sources de cette défaillance.

* Alice-Anne Simard est directrice générale, Emmanuelle Vallières-Léveillé est coordonnatrice biodiversité-forêt et Louis Bélanger est co-responsable de la commission forêt, Nature Québec

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