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Mourir sur le K2

Le pompier et alpiniste montréalais Serge Dessureault tentait de devenir le premier Québécois à atteindre le deuxième sommet du monde. Portrait d’un athlète aguerri. Et d’une montagne aussi mythique que dangereuse.

« C’est vraiment un accident bête »

« Serge ne prenait aucun risque. » Au bout du fil, un ami de longue date de l’alpiniste Serge Dessureault, qui a fait une chute mortelle hier matin au cours d’une expédition sur le K2, est affirmatif : son camarade a été victime d’un accident lors de sa conquête du sommet le plus difficile à gravir au monde.

« Le mot “accident” est important », assure Benoit Lamoureux, lui-même alpiniste. « Serge n’a pas pris un risque. C’est vraiment un accident bête. Serge était un pompier de formation, alors c’est quelqu’un qui pensait toujours à la sécurité, aux secours. Est-ce que c’est un malaise, un bris d’équipement ? […] On n’a vraiment aucune idée pour l’instant. »

Serge Dessureault faisait partie du trio d’alpinistes à la conquête du K2, la deuxième montagne du monde en hauteur, située entre la Chine et le Pakistan. Maurice Beauséjour et Nathalie Fortin l’accompagnaient et cherchaient ainsi à devenir les premiers Québécois à atteindre le sommet. L’équipe avait passé la nuit de vendredi à samedi au camp 2.

La Presse avait consacré un dossier à l’expédition et à sa préparation le mois dernier.

Une chute de 1300 mètres

Le mont Everest a beau détenir le titre du plus haut sommet, le K2 est réputé pour être le plus ardu à gravir. D’une altitude de 8611 m, ce pic a déjà été le théâtre de près de 100 morts. Jusqu’à maintenant, moins de 400 personnes l’ont escaladé, comparativement à plus de 5000 pour l’Everest. C’est donc environ une personne sur cinq qui meurt en s’y aventurant.

Selon Jean-Pierre Danvoye, un autre grand ami de Serge Dessureault, qui l’avait d’ailleurs accompagné jusqu’au camp de base du K2 il y a quelques semaines, « il n’est pas mort durant un passage difficile de la montagne ».

D’après les détails qu’il a recueillis auprès de Maurice Beauséjour, ce dernier ne sait pas lui-même ce qui a bien pu se passer. « Il montait, et tout à coup, il a vu Serge tomber à 20 m de lui, nous a raconté Jean-Pierre Danvoye par téléphone. Ils étaient à plus de 6700 m et ils l’ont retrouvé à environ 5200 m. C’est une chute énorme. »

L’annonce de la mort de l’aventurier de 53 ans a été publiée sur la page Facebook consacrée à l’expédition. « C’est avec une tristesse indescriptible que nous annonçons le décès de Serge, ce matin », peut-on lire sur le réseau social. « À 9 h 25, heure du K2, Serge a fait une chute près du camp 2. Son corps a été retrouvé. La famille et les amis ont appris les faits […]. »

« Maurice et Nathalie sont de retour au camp de base. Je vous dirais qu’ils sont en gestion de crise. J’imagine que les sentiments vont venir ensuite », a indiqué M. Lamoureux, précisant que les communications au Pakistan n’étaient pas optimales.

« Je pense être certain, pas mal à 100 %, que l’expédition est terminée aussi pour eux. »

— Benoît Lamoureux

Selon un représentant du Club alpin du Pakistan, le corps de Serge Dessureault a été transporté au camp de base de la montagne et sera plus tard acheminé vers Islamabad, la capitale du Pakistan.

Un homme dévoué

Passionné de grands défis, Serge Dessureault n’en était pas à sa première expédition. Il avait d’ailleurs tenté de gravir le K2 en 2016 en compagnie de M. Lamoureux, mais une avalanche avait mis fin à leur périple. M. Dessureault avait aussi conquis l’Everest et le Kilimandjaro, entre autres. Il était également un adepte d’ultramarathons.

« On ne sait jamais les motivations profondes des alpinistes, mais pour Serge, y retourner une deuxième fois était peut-être une façon de terminer un travail inachevé, a supposé Jean-Pierre Danvoye, qui le connaissait depuis une dizaine d’années. C’était un vrai passionné, il s’entraînait à longueur d’année pour ça. »

« C’était un homme dévoué à son travail et surtout à sa famille. Il a toujours dit que s’il pouvait faire ce qu’il faisait, c’était parce que sa famille acceptait qu’il vive sa passion. Son amour premier était sa famille », a ajouté M. Lamoureux. Serge Dessureault était le père de deux filles dans le début de la vingtaine.

L’alpiniste Al Hancock, un des deux seuls Canadiens à avoir atteint le sommet du K2, a tenu à présenter ses condoléances à la famille et aux amis de M. Dessureault, lors d’un entretien téléphonique avec La Presse en soirée hier. « Je crois, malgré l’immense tragédie, que c’est une mort honorable, car il est mort en faisant ce qu’il aimait, a-t-il signifié. Il a malheureusement perdu la vie, mais il la vivait au moins au maximum. »

Les pompiers en deuil

Les grandes portes de la caserne 19 à Montréal étaient fermées hier. Serge Dessureault en était le capitaine. Il a travaillé au Service de sécurité incendie de Montréal (SIM) pendant 28 ans. Il était d’ailleurs à l’aube de la retraite, a confié M. Lamoureux. Sur place, les pompiers de la caserne ont expliqué tenir à vivre leur deuil en privé.

À l’intérieur, on pouvait apercevoir qu’une photo de M. Dessureault ainsi que son casque avaient été déposés dans une espèce de mémorial improvisé. Dans un communiqué de presse, le SIM a indiqué avoir appris la mort du capitaine, « un pompier entièrement engagé au service de la communauté », avec « une grande tristesse et un immense regret ».

« La direction du SIM a toujours appuyé avec fierté les nombreuses expéditions du capitaine Dessureault. »

— Bruno Lachance, directeur du SIM

« Le SIM soutiendra la famille de M. Dessureault dans cette période de deuil », a-t-il ajouté, précisant également que la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait été informée de la triste nouvelle. « Elle offre également ses condoléances à la famille ainsi qu’à la grande famille du SIM. »

Un « mentor »

Yanick St-Martin, un pompier de Longueuil qui avait fait la connaissance de Serge Dessureault il y a environ un an, par l’entremise d’amis communs, a pour sa part déploré la perte d’un « mentor », a-t-il confié à l’Associated Press.

« C’est vraiment lui qui m’a communiqué la passion de l’alpinisme », a expliqué M. St-Martin en entrevue téléphonique depuis les Rocheuses, où il s’était rendu sur les conseils de M. Dessureault. L’alpiniste chevronné conseillait l’apprenti en vue d’une expédition que ce dernier compte faire sur le mont Everest l’an prochain.

« Serge me disait de vraiment prendre mon temps, d’être prêt, d’être à l’affût des moindres dangers, mais de suivre ma passion, a commenté Yanick St-Martin. Il disait aussi que c’était toujours la montagne qui avait le dernier mot. Et dans son cas, c’est malheureusement ce qui s’est passé. »

— Avec l’Associated Press

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L’enfer de la « montagne sauvage »

Le K2, surnommé la « montagne sauvage », a été apprivoisé par moins de 400 personnes, dont deux Canadiens. La Presse s’est entretenue avec l’un d’eux, l’alpiniste Al Hancock.

Comment se déroule l’ascension du K2 ?

Au début, à partir de 80 pieds jusqu’au premier campement, il faut passer d’énormes rochers et parfois faire face à des avalanches ou des chutes de pierres. Puis, jusqu’au camp 2, il y a des barrières rocheuses qui pourraient être assez simples à grimper au niveau de la mer, mais en altitude, à 1000 pieds, elles représentent un vrai défi. Ensuite, la montée de la cheminée, qui est très intense, puis d’autres bandes de roches. Au bout, finalement, on arrive au camp 2. De là, il y a les pyramides de rochers à escalader, qui sont extrêmement à pic. Arrivé au camp 3, puis 4, on en est ensuite à la dernière étape, les dernières centaines de mètres nous emmènent dans des endroits sombres et exigus. […] C’est difficile et effrayant. C’est une montagne très intimidante, elle mérite bien son nom de « montagne sauvage ». […] Tout le monde sait que l’Everest est un immense défi. Et, pour vous situer, si on plaçait son niveau de difficulté à 5/10, le K2 se trouverait entre 8,5/10 et 10/10.

Et en combien de temps environ la montée se fait-elle ?

Il faut laisser son corps s’ajuster à l’altitude, donc prendre son temps. Alors on monte pour vivre les effets de l’altitude durant un jour ou deux, puis on retourne au camp et ensuite on monte plus haut. […] Et monter au sommet est seulement la moitié de la tâche. L’objectif est aussi de réussir à redescendre. En général, on compte entre six et huit semaines avant de retrouver le bas de la montagne.

Quelles sont les principales difficultés qu’impose le K2 ? On dit que la météo y est particulièrement féroce.

La montagne mesure plus de 8500 mètres, elle atteint la stratosphère ! On y observe donc une météo qui lui est propre. Le climat est le pire que j’ai jamais vu, il est complètement imprévisible. Une minute, le ciel est bleu, et en un clin d’œil, une tempête se prépare au-dessus de vous. C’est un facteur majeur dans le niveau de difficulté de l’ascension. Cette année particulièrement, il y a eu beaucoup de neige, ce qui rend ça encore plus compliqué. […] Après environ six semaines à monter jusqu’au sommet, la descente peut se faire en trois, quatre jours, grâce à l’air qui devient plus riche. Le problème que l’on peut rencontrer, c’est encore une fois la météo, qui nous réserve souvent des surprises. […] Sinon, il y a de longues sections qu’il faut grimper sans cordes. Je me souviens d’avoir eu à aller aux toilettes pendant la nuit, d’avoir mis mes crampons et de m’y être rendu sans cordes… J’étais terrifié. Un faux pas et tout est terminé.

Comment se prépare-t-on pour l’ascension de ce sommet ?

C’est comme pour chaque métier, il faut avoir une grande connaissance et une parfaite compréhension de ce que l’on fait. L’alpinisme est un jeu mental autant que physique. Le K2 est reconnu comme le plus féroce, alors le mental et le physique sont particulièrement sollicités.

Quelles sont les erreurs fatales durant une montée ?

Peu importent les heures d’entraînement ou l’expérience qu’on peut avoir, une fois sur place, durant six à huit semaines, l’environnement est vraiment unique et les erreurs surviennent plus facilement. […] Une simple bévue, comme se détacher à un moment inopportun, peut vous entraîner dans une chute mortelle. Il faut être concentré 24 heures sur 24. Le fait de vouloir atteindre le sommet à tout prix coûte la vie à certains alpinistes, qui ne prennent pas les précautions qu’il faut parce qu’ils sont aveuglés par le but. […] On voudrait que ce ne soit pas le cas, mais les accidents arrivent. Ce qui compte le plus, c’est de prendre les bonnes décisions, mais surtout de savoir que certains gestes anodins peuvent être fatals.

Qu’est-ce qui vous pousse alors à pratiquer cette discipline et à vous lancer dans ces excursions dangereuses ?

Pour chaque alpiniste, la réponse à cette question sera différente. Mais pour moi, plus je me rapproche de la mort, plus je me sens vivant. C’est ma façon de mieux apprécier ce que j’ai. On me demande si c’est un sport sécuritaire. Bien sûr que non, mais s’il fallait être toujours en sécurité, il faudrait rester enfermé et ce n’est pas pour cela qu’on est sur terre. […] Ma passion, c’est l’alpinisme, j’y suis attiré comme un aimant, parce que c’est ce qui me fait vivre. Pour d’autres, c’est la plongée, la course, le vélo… Le danger est partout, alors autant faire ce qui nous passionne. Je ne veux pas avoir de regrets à la fin de ma vie.

En chiffres

1902 : Première tentative d’ascension du K2, par l’alpiniste anglais Oscar Eckenstein.

1954 : Première expédition réussie jusqu’au sommet du K2, par des alpinistes italiens. La suivante n’aura lieu qu’en 1977.

378 : Nombre d’ascensionnistes ayant terminé l’escalade du K2, entre 1954 et 2016.

85 : Nombre de personnes ayant perdu la vie en tentant de conquérir le sommet, entre 1954 et 2016.

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