Libre-échange et approvisionnement local

Un subtil jeu d’équilibriste

Oui, les règles commerciales internationales actuelles permettent au gouvernement du Québec d’acheter davantage au Québec qu’il ne le fait. Mais non, ce n’est pas simple.

C’est, en quelques lignes, le portrait que dressent deux professeurs spécialisés en droit international, Richard Ouellet et Geneviève Dufour.

« Les États ont une marge de manœuvre, malgré les accords, mais très souvent, ils ne l’utilisent pas, déplore Mme Dufour, qui enseigne à l’Université de Sherbrooke. Parfois, je pense qu’ils ne comprennent pas la marge dont ils disposent. Juste le fait de parler d’“achat local” montre qu’ils ne comprennent pas. »

Même si c’est l’objectif ultime, mieux vaut se faire discret, rappelle-t-elle. La non-discrimination est un principe de base des accords internationaux. « Il n’y a pas un pays au monde qui peut discriminer. Tous les accords de libre-échange doivent respecter ça. Même le commerce interprovincial. »

Cela ne veut pas dire que les textes des accords internationaux ne comportent pas quelques portes dérobées à exploiter.

« Une fois qu’on a dit ça, est-ce qu’il y a des opportunités ? Oui, il y en a plein », poursuit Mme Dufour.

La première en tête de liste : l’environnement.

« On peut imposer que les fournisseurs satisfassent à certaines exigences environnementales. C’est possible, par exemple, d’écrire dans l’appel d’offres que la marchandise doit provenir de l’intérieur d’un certain rayon, ou même qu’elle utilise tel ou tel moyen de transport. »

— Geneviève Dufour, professeure à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke

Bien sûr, ce n’est pas parfait. Un appel d’offres de ce genre pour un organisme public installé à Sherbrooke pourrait être accessible à des entreprises de quatre États américains, mais pas du Saguenay, rappelle-t-elle.

Si les gouvernements canadiens favorisent systématiquement le plus bas soumissionnaire, ce n’est pas à cause des accords commerciaux, mais en raison de leurs propres règles, ajoute-t-elle. Il y a moyen de faire autrement.

Le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, en semble d’ailleurs conscient. « Il y a d’autres types d’appels d’offres que l’on peut faire, reconnaît-il. On peut faire des appels d’offres où, on appelle ça le facteur K, le facteur qualité, où on dit : “Pour certaines raisons, on serait prêts à payer un peu plus cher pourvu qu’il y ait des avantages qu’on peut définir.” »

Les règles internationales, selon Mme Dufour, imposent seulement que les critères de sélection d’un appel d’offres soient clairs, prévisibles, transparents, mesurables et objectifs.

Très complexe

Démêler les exigences des accords internationaux peut être extrêmement complexe. D’abord parce que les accords eux-mêmes, comme celui entre le Canada et l’Europe, peuvent l’être.

« Celui-là est particulièrement compliqué », convient M. Ouellet. « Il y a des annexes là-dedans, c’est incroyable. »

Ensuite parce que différents accords peuvent se chevaucher. Les règles de l’OMC régissent ainsi des échanges qui sont aussi couverts, pas toujours de la même façon, par les accords du Canada avec l’Europe (AECG), les États-Unis et le Mexique (ACEUM) ou l’accord de Partenariat transpacifique (PTPGP), lequel inclut d’ailleurs à nouveau le Mexique.

Ces accords n’ont pas tous la même portée. Le Canada n’a par exemple pas souscrit au chapitre de l’ACEUM qui couvre les marchés publics. Ceux-ci resteront donc régis par les règles de l’OMC.

Au sein d’un même accord, les contraintes ne sont pas les mêmes pour tous les ordres de gouvernement (fédéral, provincial, municipal) ou toutes les agences gouvernementales. La décision de VIA Rail d’acheter des voitures fabriquées par Siemens aux États-Unis plutôt que par Bombardier au Canada a ainsi mis en lumière le fait que le nom de cette société d’État figure textuellement dans certains accords qui l’empêchent d’exiger du contenu local. Ce n’est pas le cas, par exemple, d’exo pour les trains de banlieue.

Flexibilité

Au-delà des règles elles-mêmes, il y a leur mise en application, souvent laxiste, note M. Ouellet.

« Les gouvernements entre eux déposent rarement des plaintes et je pense que ce sera encore plus vrai avec la COVID, croit-il.

« Dans des situations de crise, des comportements pas tout à fait légaux, il y en a plein. La journée où l’on suit les règles de l’OMC à la lettre, on met la SAQ à terre. Les États ne s’attaquent pas entre eux parce qu’ils voient bien que dans leur propre cour, il y a des choses qui ne sont pas tout à fait aux normes. »

— Richard Ouellet, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval

Ce jeu politique fait en sorte qu’un gouvernement peut parfois s’en tirer avec un geste qui défie les règles. Mais en contrepartie, il peut arriver qu’on se retienne d’en commettre un autre qui serait pourtant légal.

« Oui, le gouvernement pourrait en faire plus, juge M. Ouellet. Mais à chaque fois, on prend le risque de choquer une entreprise étrangère et de subir les conséquences. Nous aussi nous avons des entreprises qui ont des contrats à l’extérieur. »

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