Société

Des minimaisons qui font une méga différence

Fredericton, Nouveau-Brunswick — « Des Marcel Lebrun, il en faudrait dans toutes les villes », déclare Al, le maire autoproclamé de la communauté 12 Neighbours, en nous faisant visiter l’agglomération de minimaisons destinées aux personnes en situation d’itinérance.

La 12 Neighbours Community, c’est un projet de 99 minimaisons pour personnes en situation d’itinérance qui a été lancé à Fredericton en février 2022. Au cours des premiers jours de septembre, L’Itinéraire s’est rendu sur place pour constater l’évolution de cette initiative lancée par l’entrepreneur social Marcel Lebrun.

Lors de notre passage, quelque 70 minimaisons avaient été complétées et presque toutes étaient habitées soit par des individus, soit par des couples, sur un terrain de 24 hectares. Le tout est situé à un jet de pierre de centres commerciaux et du transport en commun.

Le projet vient réduire substantiellement le nombre de personnes sans domicile fixe de la capitale du Nouveau-Brunswick qui, selon le dernier dénombrement réalisé plus tôt cette année, s’est chiffré à 200. On en compte par ailleurs 500 à Moncton, à près de 180 km de distance. C’est un comité de la Ville de Fredericton qui réfère les futurs résidants, qui proviennent de la ville, mais aussi des régions avoisinantes.

Parmi ceux-ci, Al, 59 ans, et sa fiancée Shandra ont été les premiers à s’installer dans la communauté. « On a été cinq ans à vivre dans la rue, ou plutôt dans les bois. C’était dur. On était toujours mouillés, nos sacs de couchage, nos vêtements… Rien n’avait le temps de sécher et on mangeait presque toujours froid », dit celui qui se réjouit d’enfin vivre bien au chaud dans une coquette demeure avec sa compagne qu’il compte épouser sous peu. « On va se marier au centre, dès que la construction sera terminée », affirme-t-il.

Le centre en question, c’est un très grand bâtiment, encore en construction au moment de notre visite. Marcel Lebrun, en offrant un tour guidé du Centre d’entrepreneuriat social en devenir, montre du doigt l’éventuel café qui occupera le devant de l’immeuble, l’atelier de sérigraphie où seront imprimés des t-shirts, la cuisine où seront cuisinés les produits du terroir, destinés à la vente au public. Il indique aussi que le deuxième étage abritera les salles de formation.

Car c’est là la mission de la 12 Neighbours Community : offrir une stabilité aux résidants en leur fournissant d’abord un logement, puis de l’aide pour leur développement personnel et leur employabilité, qui se réalise notamment par la formation et les plateaux de travail sous un même toit.

J’ai deux clés maintenant !

Depuis plus d’un an maintenant, le projet ne cesse de se développer. Les terrains se verdissent tranquillement et les chemins de gravier seront bientôt pavés. Près de l’entrée, une boîte de casiers postaux joue un rôle pratique, mais aussi valorisant pour les résidants. « En plus de la clé de ma maison, j’ai maintenant une clé pour ma boîte aux lettres. Je me sens important ! », laisse entendre Al, le doyen de la communauté.

Au gré de notre promenade, Marcel Lebrun décrit fièrement les spécificités du projet.

« Les maisonnettes sont construites dans un entrepôt à 3 km d’ici, puis sont transportées sur une remorque et déposées sur des fondations de béton. L’opération d’installation prend 30 minutes en tout. »

— Marcel Lebrun, créateur de 12 Neighbours

La construction est assurée par une équipe de 22 personnes, qui bâtissent à un rythme de quatre maisons par semaine. « Nous construisons au-dessus des normes de l’industrie », nous informe-t-il.

Si tout ce projet est possible, c’est grâce à la Lebrun Family Foundation, mise sur pied dans la foulée de la vente de l’entreprise techno de Marcel Lebrun et de ses deux partenaires, en 2011, pour plus de 325 millions de dollars.

En 2015, le fondateur, alors âgé de 45 ans, avait décidé de prendre sa retraite et se demandait ce qu’il allait faire du restant de ses jours. S’étant toujours intéressé au problème complexe de la pauvreté extrême, il a fait des recherches poussées sur le sujet en Afrique et aux États-Unis. Mais il affirme avoir été particulièrement inspiré par un séjour à San Francisco, où il côtoyait beaucoup de sans-abri dans la rue.

« Je me suis mis à leur distribuer des sandwichs tous les jours, mais un intervenant m’a dit que ça ne servait à rien, qu’il fallait trouver des solutions durables pour sortir les gens de la rue. Ç’a été mon moment d’épiphanie. »

— Marcel Lebrun, créateur de 12 Neighbours

De fil en aiguille, l’entrepreneur, animé par ses valeurs familiales et sa foi, décide de poser les premiers jalons de son projet. Épaulé par son équipe socialement engagée, il a su cogner aux bonnes portes pour obtenir le soutien de nombreux donateurs, entreprises et organisations ainsi que du financement des divers ordres gouvernementaux. « Par exemple, la Ville de Fredericton nous octroie 40 000 $ par maison via son Fonds de développement social. »

Coquettes et écoénergétiques

Il est difficile de ne pas être impressionné par la qualité des coquettes minimaisons colorées et accueillantes.

Tout a été pensé pour maximiser l’espace dans les maisonnettes, tout en minimisant les coûts énergétiques. Les systèmes d’aération et de chauffage sont dissimulés dans les murs et chaque toit est doté de panneaux solaires, ce qui réduit de beaucoup la facture d’électricité.

Chacune est configurée avec soin et il n’y a aucune perte d’espace. On y trouve un coin chambre à coucher, une salle de bain avec douche, une cuisinette munie d’une frigo, d’un rond à cuisson à induction et d’un micro-ondes. Les étagères sont équipées de vaisselle et d’ustensiles de base, alors que les armoires sont garnies de victuailles offertes gratuitement aux nouveaux locataires. Une fois bien installés, ceux-ci devront s’approvisionner par leurs propres moyens. Par ailleurs, le loyer est fixé en fonction du revenu des locataires, au bas mot à 190 $ par mois.

Douleurs de croissance

Par ailleurs, une équipe d’intervenants psychosociaux et en toxicomanie complète l’équipe d’employés. Ceux-ci accompagnent les résidants dans leurs démarches vers l’abstinence et la stabilisation de leur situation.

Par contre, et il fallait s’y attendre, la communauté a récemment connu quelques douleurs de croissance. Des personnes indésirables s’infiltraient parmi les résidants et squattaient les lieux à toute heure. Finalement, on a expulsé les gens problématiques et installé une guérite à l’entrée du terrain, qui demeure fermée la nuit, ce qui a créé un sentiment de sécurité dans la communauté.

« Je suis fier de ce que nous avons accompli ici. C’est un succès pour toute la communauté », résume l’entrepreneur social.

Le « maire » de 12 Neighbours a peut-être bien raison : il faudrait des Marcel Lebrun dans chaque ville.

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