Véro qui ?

Ce ne sont pas n’importe quels cégépiens. Pour la plupart, ils souhaitent travailler dans le milieu de la télé. Lorsque Caroline Savard, prof à l’École supérieure en Art et technologie des médias (ATM) du Cégep de Jonquière, leur a présenté en classe une émission animée par Véronique Cloutier… personne dans son groupe ne savait de qui il s’agissait.

« Ils n’avaient aucune idée c’est qui, me dit l’enseignante. Pourtant, son visage est placardé partout ! Je comprends qu’ils ne regardent pas ses émissions, mais qu’ils ne sachent pas qui c’est, c’est autre chose. »

Ce n’est sans doute pas dramatique que des jeunes de 17, 18 ou 19 ans, qui étudient en télé, ne connaissent pas Véronique Cloutier, l’ancienne animatrice des Enfants de la télé.

Mais c’est pour le moins ironique. C’est peut-être aussi le symptôme d’un phénomène plus inquiétant : le désintérêt généralisé des jeunes pour la culture populaire québécoise.

Ce fut, quoi qu’il en soit, l’élément déclencheur d’une étude menée par Caroline Savard avec sa collègue Audrey Perron, qui enseigne aux élèves en radio en ATM. Elles ont voulu brosser un portrait des habitudes médiatiques et culturelles de leurs élèves, afin notamment d’adapter leur enseignement à leur niveau de connaissances générales.

« Lundi matin, raconte Audrey Perron, une collègue a demandé à ses étudiants quel était le talk of the town, le sujet du jour dans le milieu culturel québécois. De quoi tout le monde parle depuis dimanche soir ? Personne n’avait entendu parler de l’histoire avec Guillaume Lemay-Thivierge. Il y a du rattrapage à faire de notre part. »

Il y a un an, les enseignantes-chercheuses ont sondé par questionnaire 643 collégiens en ATM, qui proviennent pour la grande majorité de l’extérieur de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Un échantillon plus représentatif, disons, qu’un vox pop de Guy Nantel.

Les résultats de leur étude ont été dévoilés la semaine dernière et ils sont tout sauf rassurants. « En général, pour les jeunes d’âge collégial, les référents médiatiques communs, particulièrement ceux des médias traditionnels, semblent de plus en plus rares. La connaissance et la consommation de contenus québécois semblent également s’amoindrir, alors que l’offre n’a jamais été aussi grande », constatent Audrey Perron et Caroline Savard dans leur étude.

Elles ont observé que les cégépiens sondés – qui aspirent à travailler dans les médias, devant et derrière les micros et caméras – ont délaissé la télévision québécoise (seulement 22,7 % d’entre eux s’intéressent chaque semaine à une série québécoise de fiction) au profit de contenus qu’ils retrouvent sur Netflix (85,4 % fréquentent hebdomadairement la plateforme) ou YouTube (86,9 %).

Moins de 4 % des élèves regardent les émissions en direct à la télé et près de la moitié ne regardent des séries ou des films qu’en anglais. « Les trois quarts des jeunes (75,4 %) identifient une série américaine comme étant leur série préférée », constatent les enseignantes dans leur étude. « Toutes les plateformes de diffusion de contenu principalement québécois ont des taux de fréquentations faméliques chez les jeunes », ajoutent-elles.

Les résultats n’ont pas surpris outre mesure Audrey Perron et Caroline Savard, qui sont aussi mères d’adolescents. Comme ils n’étonneront pas davantage la plupart des parents d’adolescents et jeunes adultes, dont je suis. Mes fils connaissent Véronique Cloutier, mais l’idée de regarder un gala des prix Gémeaux ne leur a jamais traversé l’esprit. Même quand leur père comptait parmi les finalistes…

L’étude des profs en ATM est une nouvelle confirmation de la netflixisation de notre culture et du fait que le jeune public préfère les plateformes américaines aux plateformes québécoises comme Tou.tv et Club Illico.

« Et pourtant, les contenus y sont disponibles et gratuits, contrairement à Netflix, mais les jeunes n’y vont pas. »

– Audrey Perron, professeure en ATM

Ce n’est pas que les jeunes sont fermés à tout ce qui n’est pas américain, observent les enseignantes-chercheuses. À preuve, leur intérêt pour des séries coréenne (Le jeu du calmar, Squid Game en anglais) ou espagnole (La casa de papel). Aussi, une série québécoise comme M’entends-tu ? sera davantage connue des cégépiens simplement parce qu’elle est accessible sur Netflix.

« Qui est Véronique Cloutier ? », se demandait, dans son billet du plus récent magazine Véro, son conjoint Louis Morissette. Il s’y inquiète lui aussi d’un phénomène souvent abordé dans cette chronique : les effets du rouleau compresseur américain sur la culture québécoise.

« Si Véro a de la difficulté à maintenir l’intérêt de ses propres enfants pour une CHAÎNE QUI PORTE SON NOM, je suis bien inquiet de l’intérêt que portent à notre travail les jeunes de Laval, de Sainte-Julie ou de Beauport », écrit-il.

Il y a une consolation pour Véronique Cloutier dans l’étude de Caroline Savard et Audrey Perron. Elle a beau être inconnue d’une classe de production télé, elle est la personnalité radiophonique préférée de 15,9 % des élèves en ATM (qui compte d’aspirants animateurs radio), loin devant Jay Du Temple (3,9 %). (Il y a aussi une consolation pour La Presse, le média le plus consulté par les élèves, c’est-à-dire près de la moitié…)

Certains cégépiens connaissent donc Véronique Cloutier. Assez pour qu’on cesse de s’inquiéter de l’américanisation des contenus, de l’érosion des référents communs intergénérationnels et du lien de plus en plus ténu qu’entretient le jeune public avec la culture populaire québécoise ? Pas sûr.

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