La fille de la famille, de Louise Desjardins

Histoire de fille

Dans La fille de la famille, Louise Desjardins nous parle de sexisme ordinaire avec douceur et ironie. Son roman raconte l’histoire d’une fille élevée au sein d’une fratrie avec, comme toile de fond, l’émancipation tranquille des femmes dans les années 1960 et 1970. Un livre qui nous arrive comme un murmure au beau milieu du tintamarre des dénonciations.

Elle est toute discrète, Louise Desjardins. Lors d’une rencontre de presse en juin dernier, elle semblait presque gênée d’accaparer le temps des journalistes pour parler de son nouveau roman.

Son livre lui ressemble. Du moins à première vue. Tout en finesse, sans grands coups de poing sur la table. Ce n’est pas le genre de l’autrice, qui est aussi poète et traductrice.

Dans son septième roman, elle égrène un chapelet de petites injustices subies au quotidien par les femmes qui, comme elle, sont nées dans les années 1940 et 1950. Et qui ont connu leur lot d’injustice, de sexisme et de mansplaining, bien avant que l’expression ne soit inventée.

« J’ai eu pas mal de plaisir à écrire ce livre, confie-t-elle en entrevue. J’avais commencé à rédiger des petites vignettes dans un cours d’espagnol avancé. Je plongeais dans mes souvenirs d’enfance. Puis je les ai réécrites en français et j’ai ajouté des histoires de la vie d’adulte. À un moment donné, c’est devenu évident que j’avais un roman. »

Une deuxième mère

Comme sa narratrice, Louise Desjardins a grandi en Abitibi, seule fille au beau milieu d’une famille de quatre frères, avec un modèle de père, disons carré, parfois violent, surtout avec « ses gars ». Oui, on aimait les livres et la musique dans la famille, mais le fait d’être la seule fille ne lui a pas octroyé le privilège d’être traitée en princesse, loin de là.

C’était plutôt l’époque où « la fille de la famille » était aussi la mère de substitution. Quand la mère de la narratrice est malade ou occupée ailleurs, c’est à elle que revient la responsabilité de prendre soin de ses frères, au détriment de ses études et de ses projets.

« Si mes frères lisent mon livre, ils vont dire que ça ne s’est pas passé exactement comme ça, dit Louise Desjardins en riant. Mais c’est librement inspiré de mes souvenirs ainsi que d’expériences représentatives de la vie des filles et des femmes de cette époque. Dans cette famille, l’univers de la fille est à part, elle forme une clique avec sa mère. Les garçons n’en font pas partie, ils ne veulent même pas être vus avec leur sœur sur le trottoir. »

C’est aussi l’époque pas si lointaine, faut-il le rappeler, où une femme avait besoin de la signature de son mari pour ouvrir un compte de banque. Et où une jeune prof de français avait besoin du feu vert de l’Église pour parler de Gustave Flaubert à ses élèves.

« Je suis partie à 15 ans de chez moi pour aller au pensionnat qui était un autre champ de bataille, se souvient Louise Desjardins. Là aussi, les filles devaient assumer des tâches domestiques. Mais les études étaient valorisées et la lecture, encore une fois, une façon de s’évader. »

Conciliation travail-famille

La littérature occupe une grande place dans la vie de la narratrice qui, comme Louise Desjardins, l’enseigne au cégep.

Encore une fois, la voilà plongée dans un monde d’hommes. « Mon expérience avec des gars m’a aidée à faire mon chemin, dit-elle. J’ai profité de cette éducation à la dure. »

Mariée à un artiste, la narratrice se retrouve dans le rôle de la pourvoyeuse. La conciliation travail-famille, elle l’a expérimentée avant que le concept ne devienne à la mode. Et elle galère. Enceinte, elle découvre que sa convention collective ne prévoit aucun congé lors de l’accouchement, alors que ses collègues masculins ont droit à trois jours de vacances lors de la naissance de leur enfant, pour se remettre de leurs émotions…

L’histoire personnelle de la narratrice se mêle habilement à la grande Histoire et parfois, il y a collision frontale. Ça donne des moments délicieux, comme lorsqu’elle tient tête au conseil d’administration du service de garde, entièrement composé d’hommes.

Ces messieurs discutent de luttes idéologiques et d’orientations politiques – on est dans les années 1970 après tout ! –, mais elle les ramène sur le plancher des vaches en leur parlant de la propreté des salles de toilettes de la garderie qu’elle finira par nettoyer elle-même. « Comme une bonne partie de mon salaire sert à payer les frais de garderie, il m’est pour l’instant impossible de changer le monde », observe-t-elle avec philosophie.

C’est le style Desjardins, on est dans le concret de la vie quotidienne des femmes, de leurs aspirations qui se heurtent à la dure réalité des choses : avant de penser la révolution, peut-on se demander qui préparera le souper et qui fera le lavage ? « Avec La fille de la famille, je voulais raconter des petites choses du quotidien », confirme l’écrivaine qui excelle dans l’art de raconter les inégalités avec l’air de ne pas y toucher.

À la fin, on referme La fille de la famille mi-amusée mi-révoltée, mais surtout remplie d’une grande tendresse pour la narratrice qui a réussi à se libérer de quelques boulets en cours de route. On aimerait bien connaître la suite de ses aventures.

Pour souligner le lancement de son livre, Louise Desjardins s’est entretenue avec Jocelyne Saucier (Il pleuvait des oiseaux). Elles y ont parlé de littérature et de condition féminine.s

La fille de la famille

Louise Desjardins

Boréal

200 pages

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