Exigence du passeport vaccinal

Une porte ouverte pour les employeurs ?

Alors que des employeurs se demandent si exiger le passeport vaccinal sur les lieux de travail porte atteinte aux droits et libertés de la personne ou au droit au respect de la vie privée, une sentence arbitrale pourrait leur enlever un poids sur les épaules.

À la demande d’un syndicat d’employés de services ménagers qui travaillent pour cinq entreprises (Services ménagers Roy, Conciergerie Speico, Signature service d’entretien, GDI Services et GSF Canada), l’arbitre, MDenis Nadeau, a statué lundi que l’exigence d’une attestation vaccinale était une condition justifiée pour travailler chez leurs clients. Et nul besoin d’un décret gouvernemental pour mettre en place une telle exigence.

« Après analyse, je suis d’avis que l’exigence de fournir une attestation vaccinale porte atteinte au droit au respect de la vie privée prévu à l’article 5 de la Charte québécoise, lit-on sous la plume de MNadeau. Par ailleurs, à la lumière du premier alinéa de l’article 9.1 de la Charte, j’estime que cette condition est justifiée au regard “de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec”. Les employeurs pourront donc recueillir, avec un cadre limité, les renseignements relatifs au statut vaccinal des personnes salariées qui sont affectées aux édifices des clients qui formulent cette exigence. »

Si atteinte à la vie privée il y a, elle est jugée « sans conséquence en comparaison des inconvénients majeurs et reconnus par les constats scientifiques actuels, provenant de la présence de personnes non vaccinées en milieu de travail », lit-on.

Mais MNadeau estime que seuls les renseignements en rapport au statut vaccinal doivent être conservés par les employeurs. Les noms et les informations privées des personnes ayant un statut vaccinal ne peuvent non plus être transmis aux clients des entreprises ménagères. Par ailleurs, la collecte des informations devrait être faite par une personne du département des ressources humaines de l’entreprise de services ménagers, et non par un supérieur immédiat ou hiérarchique.

« L’arbitre considère que le statut vaccinal devient une exigence normale au travail pour les employés assignés à des contrats où une exigence vaccinale est requise », résume Fasken, la firme d’avocats qui représente les entreprises de services ménagers. Toutefois « la décision ne confirme pas le droit d’un employeur de placer ses employés en congé sans solde, ou de les congédier, advenant la violation d’une politique de vaccination obligatoire et cette question devra être tranchée par les tribunaux ».

« Une zone de confort pour un employeur »

Est-ce que cette décision pourrait faire des petits ? Donner le feu vert à d’autres organisations et PME pour exiger une attestation vaccinale, en ne craignant pas des recours ? « C’est clairement une première décision qui vient donner une zone de confort pour un employeur qui veut mettre ça en place », répond MJean-François Cloutier, avocat en droit du travail, droit de l’emploi et droits de la personne chez Fasken.

« Selon la logique de l’arbitre qui soupèse entre le droit individuel et collectif, l’objectif est légitime. »

– MJean-François Cloutier

« D’un point de vue légal, c’est rassurant, mais cette décision vient confirmer ce que les entreprises bien informées savaient déjà, à savoir que tu peux exiger le passeport vaccinal pour entrer dans tes locaux, estime Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. Cela dit, si j’exige que tu sois vacciné et que tu ne l’es pas, est-ce que tu travailles de chez toi ? Est-ce que je te mets en congé sans solde ? C’est le nœud de l’affaire. Ça vient bouleverser beaucoup de principes de droit et on n’a pas de clarté là-dessus. »

À la base, le type de milieu de travail aura une influence sur les décisions des dirigeants et sur la pertinence de mettre en place une telle exigence. « On peut se demander dans un magasin grande surface, par exemple, l’avantage que cela procure en termes de contrôle des risques qu’un employé soit vacciné, alors qu’il côtoie probablement chaque jour des clients qui ne le sont pas tous. Mais il revient à chaque employeur de faire sa propre évaluation des risques encourus », réfléchit MCloutier, qui rappelle qu’on parle ici d’une exigence, et non d’une obligation.

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