Anxiété des jeunes

Cessons de faire peur au public

En tant que chercheurs et professionnels de la santé mentale, nous observons typiquement que de 20 à 25 % des jeunes sont aux prises avec des problèmes d’anxiété. Or, si l’on en croit les statistiques récemment véhiculées dans certains rapports présentés dans les médias, ce serait maintenant le double des jeunes qui souffriraient d’anxiété.

Bien que nous soyons conscients que la pandémie ait pu affecter la santé mentale de certains, 50 % de jeunes qui souffrent d’anxiété, c’est beaucoup. Or, en recherche, on dit souvent que « des affirmations extraordinaires nécessitent des données extraordinaires ».

Il est donc important de se demander si ces affirmations extraordinaires, issues de vrais résultats de recherche, peuvent provenir d’interprétations abusives. À titre de chercheurs scientifiques et cliniciens, nous souhaitons informer le public des divers biais qui peuvent avoir un impact sur les résultats obtenus et sur leur interprétation. Ainsi, avant d’affirmer que plus de la moitié des jeunes souffre d’un problème d’anxiété, plusieurs précautions doivent être prises.

Il faut s’assurer que le portrait de l’anxiété des jeunes a été obtenu à plusieurs reprises. À l’adolescence, il est attendu et tout à fait normal de vivre des émotions négatives importantes et passagères.

Avoir plusieurs symptômes d’anxiété n’est donc pas un problème en soi. Cela devient inquiétant seulement lorsque ces symptômes se maintiennent dans le temps.

Ainsi, s’inquiéter d’un pourcentage élevé de jeunes qui disent vivre des manifestations d’anxiété alors que ces symptômes n’ont été mesurés qu’une seule fois est une conclusion hâtive.

Il faut vérifier que les données obtenues ne sont pas biaisées. Les études réalisées en ligne amènent souvent un biais faisant en sorte que les statistiques rapportées représentent uniquement la réalité d’une partie des jeunes, c’est-à-dire ceux et celles qui choisissent de répondre au sondage. Ainsi, même si une étude a été réalisée auprès d’un échantillon de milliers de jeunes, si seulement 50 % des jeunes invités à participer à l’étude ont répondu au sondage, il est tout à fait possible que les données ne représentent qu’un portrait partiel de la situation : celui des jeunes qui vont le plus mal. Pourquoi ? Car il y a fort à parier que les jeunes qui se sentaient bien ne se sont pas sentis interpellés par l’étude et n’ont pas répondu au sondage.

Nuancer le négatif

Il faut éviter de ne mesurer que du négatif. Si une étude ne mesure que des états négatifs, elle ne trouvera que des états négatifs. Avoir des émotions négatives durant une période de bouleversements est normal et sain en soi. L’intensité de ces émotions est moins inquiétante si les jeunes utilisent leur optimisme, leur résilience et d’autres stratégies pour s’adapter à la situation. Malheureusement, ces aspects positifs sont rarement mesurés dans les études montrant des statistiques extraordinaires, ou sont très peu présentés dans les médias pour nuancer le portrait négatif.

Il faut distinguer l’anxiété normale de l’anxiété pathologique. L’anxiété n’est pas toujours un problème. En fait, c’est une émotion essentielle permettant de se préparer à une situation que l’on trouve importante et qui peut même faciliter la performance (par exemple : lors d’un examen). Cette nuance est peu présentée au public et l’on combine souvent les proportions de jeunes qui vivent des niveaux modérés et sévères d’anxiété pour avoir une statistique plus frappante. Or, il n’est pas du tout certain qu’un niveau modéré d’anxiété soit dommageable pour les jeunes qui font face à des stresseurs du quotidien (par exemple : transition scolaire, période d’examens ou de choix de carrière).

Présenter au public des statistiques extraordinaires sur l’anxiété des jeunes pourrait avoir de graves conséquences. D’abord, parler toujours aussi négativement de l’anxiété dans la sphère publique pourrait rendre les jeunes craintifs de ressentir de l’anxiété, alors que celle-ci est souvent gérable, saine et normale pour la majorité d’entre eux.

Les études montrent que cette peur de vivre l’anxiété peut propulser un jeune adulte vers le développement d’un trouble anxieux.

Ensuite, nous craignons qu’à force d’envoyer le message que plus de la moitié des jeunes souffre d’anxiété, nous soyons en train de noyer la voix de ceux pour qui l’anxiété est devenue pathologique, inquiétante et qui nécessitent effectivement une aide ciblée. Leur voix pourrait se perdre dans une mer de jeunes encouragés à craindre leur anxiété « normale », croyant qu’ils souffrent d’un grave problème.

Nous invitons donc à une certaine critique face à ces données très intéressantes, mais qui nécessitent des nuances. Nous nous devons de présenter les résultats de nos recherches en évitant des mots catastrophisants et dramatisants. Cessons de faire peur au public et favorisons plutôt une conclusion qui permette aux jeunes de retrouver un sentiment de contrôle réaliste face à leur anxiété. À elle seule, cette rigueur scientifique pourrait contribuer à diminuer le stress et l’anxiété chez les jeunes et leurs parents.

– *Cosignataires : Isabelle Plante, chercheuse, UQAM ; Audrey-Ann Journault, doctorante, Université de Montréal ; Réal Labelle, chercheur et clinicien, UQAM ; Marie-France Marin, chercheuse, UQAM ; Claudia Trudel-Fitzgerald, chercheuse, UQTR ; Isabelle Ouellet-Morin, chercheuse, Université de Montréal ; Robert Paul Juster, chercheur, Université de Montréal ; Stéphane Guay, chercheur, Université de Montréal ; Pascale Brillon, chercheuse et clinicienne, UQAM ; Jonathan Bluteau, chercheur, UQAM ; Marie-Claude Geoffroy, chercheuse, Université McGill ; Annie Dubeau, chercheuse, UQAM

À lire dans la section Arts et Être

« J’ai peur, est-ce grave, docteur ? »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.