Au-delà des maux

L’amour aux temps du cancer

Au-delà des lits trop durs, du « manger » trop mou et de l’engorgement aux urgences, les hôpitaux et les centres de santé du Québec regorgent d’histoires heureuses, petites ou grandes. Deux fois par mois, La Presse passe une bonne nouvelle, une bonne action ou un dénouement heureux au scalpel. Cette semaine, un couple qui s’est formé d’une façon bien particulière.

Attablés dans un restaurant à déjeuner de Boucherville, Stéphanie Guindon, 22 ans, et Antoine Gagnon Bouchard, 23 ans, ont de quoi rendre jaloux. Follement amoureux, gentils, jeunes et beaux. Sauf que…

Elle, secrétaire au Collège Letendre, habite à Laval, chez ses parents. Lui, étudiant en comptabilité à l’UQAM, habite à Boucherville. Chez ses parents aussi. Des chums et blondes de fin de semaine, en quelque sorte, sans obligations. Sauf que…

Sauf que les deux amoureux se sont connus dans le pavillon Charles-Bruneau de l’hôpital Sainte-Justine. Là-bas, on ne traite pas les rhumes ou les otites. On traite les cancers. Elle, celui des ganglions, le lymphome de Hodgkin. Lui, celui du sang, la leucémie.

Stéphanie se rappelle très bien ce qu’elle a dit à sa mère, en 2012, lorsqu’elle a vu Antoine pour la première fois, en chemise d’hôpital, sa poche de sang à la main. « Je ne sortirai jamais avec lui, il est vert et il n’est même pas beau. Non, jamais de la vie. »

Unis par leur âge et par leur combat contre le crabe, ils ont brièvement discuté. Pas de coup de foudre, pas de papillons, mais lui au moins la trouvait « vraiment jolie ». Assez pour qu’il commence à sortir de sa chambre de temps en temps. Au cas où il la recroiserait…

Sortir de sa chambre

Jusque-là, le jeune homme écoulait les heures passées à l’hôpital dans son lit, rideaux fermés pour se soustraire au monde extérieur. Regarder par la fenêtre, c’était aussi apercevoir sa carrière de joueur de basketball qui mourait sous ses yeux.

En 2011, le grand gaillard avait été sollicité par huit cégeps pour se joindre à leur équipe d’élite. Son choix s’était arrêté sur le Collège Champlain.

« On faisait de la course autour du terrain de football. La première semaine, ça allait très bien, j’étais dans les premiers. Mais la semaine d’après, tout le monde avait un tour d’avance sur moi. J’étais fatigué, j’avais mal à la tête. Je me demandais : “Qu’est-ce qui se passe ?” »

— Antoine Gagnon Bouchard

Un après-midi de septembre, c’en est trop. Fiévreux, il passe à deux doigts de s’évanouir. Son entraîneur le somme d’aller consulter un médecin.

Le verdict tombe quelques jours plus tard : il est atteint de leucémie. « J’ai tout de suite dit à mes parents que j’allais mourir. » 

À l’hôpital, entre les transfusions de sang, les séances de chimio et de radiothérapie, Antoine ne vit plus, il survit. « Je mesurais six pieds cinq, et je pesais 138 livres. »

Pendant cinq mois, sans jamais sortir de sa chambre, il accélère les aiguilles de l’horloge à coup de séries télé. De jeunes patients et des amis lui rendent visite, tandis que son père reste à son chevet.

Mais voilà, le visage de Stéphanie le pousse désormais à sortir de sa chambre et à arpenter les couloirs du « 2-12 », le pavillon des hospitalisations. Au cas où il la recroiserait. Ça arrive quelques fois, mais Stéphanie est toujours bien entourée : amis, famille, etc.

Pour la fille de 16 ans qui faisait du cheerleading, prenait soin de son apparence et fréquentait les salons de bronzage, le cancer, diagnostiqué en juillet 2012, n’évoquait pas la mort. « La seule pensée que j’ai eue, c’était : “Est-ce que je vais perdre mes cheveux ?” » Elle fait promettre à ses parents de ne pas pleurer. C’est un cancer « facilement » curable, le risque de récidive est faible, et elle est prête à se battre.

Dans le pavillon Charles-Bruneau, Stéphanie et Antoine se recroisent quelques fois, discutent platement. Les traitements de chimiothérapie prennent fin. Chacun rentre chez soi. Sauf que…

En janvier 2013, Stéphanie, qui étudie alors en soins infirmiers au cégep, doit interroger un patient sur les implications de sa maladie. Elle pense à Antoine, qui l’accueille chez lui. « C’est sa mère qui m’a parlé plus que lui. Je me suis dit : “Au moins, il est plus beau, mais il est toujours aussi bête.” » Rendez-vous manqué. Chacun retourne chez soi. Sauf que…

Le retour du crabe

Au mois de mai, Stéphanie se met à souffrir de fatigue et de maux de dos. Le crabe est revenu, et une longue hospitalisation se profile. Elle décide de texter Antoine, qui en connaît un rayon sur les meilleures séries pour pallier la solitude. Quelques échanges plus tard, un déjeuner s’impose. Puis des soupers, puis un spectacle de feux d’artifice… Il l’accompagne lors de ses traitements, qui accumulent les complications. Va la voir chaque jour à l’hôpital. Une relation prend forme.

Le 28 juillet, Stéphanie et Antoine officialisent leur couple. Dans les mois suivants, la jeune femme subit de nouveaux traitements de chimio et de radiothérapie, mais la tumeur a la tête dure. 

Son chum, qui est passé par là, lui tient la main tout au long du processus. Le 26 décembre, une autogreffe de la moelle osseuse sauve la mise. 

Aujourd’hui, le couple « va super bien ». Il s’est d’ailleurs fiancé l’année dernière. « Stéphanie a pris la place du basket. Dans un sens, je suis content d’être tombé malade pour l’avoir rencontrée », dit Antoine, qui souffre aujourd’hui de légers problèmes de hanche. Stéphanie, elle, doit ménager ses poumons, endommagés par la chimio. Un moindre mal. « Si Antoine n’avait pas été là, ç’aurait été vraiment différent. Lors de ma rechute, c’est lui qui m’a aidée à passer à travers de mes journées. »

Tous deux mènent une vie heureuse, jalonnée de tests annuels dans l’attente et l’espoir que leur rémission soit totale. Après notre rencontre, ils ont l’intention de visiter un condo à Laval. C’est qu’ils souhaitent emménager ensemble l’année prochaine…

Follement amoureux, gentils, jeunes et beaux. En bonne santé ? Du moins, de plus en plus…

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