Opinion

La métamorphose du quartier de la guenille

Le quartier Chabanel connaît une évolution rapide et peut jouer un rôle-clé dans nos plans de reprise

Ce n’est pas un hasard si un quartier de Montréal en particulier est devenu, sur de nombreuses générations et tout au long du XXe siècle, une plaque tournante pour les familles en affaires qui recherchaient non seulement un espace urbain disponible et abordable pour créer et vendre leurs produits, mais aussi un emplacement géographique qui se prêtait à leurs ambitions multinationales.

En tant que fils d’immigrants œuvrant dans le domaine du textile, j’ai grandi dans le quartier Chabanel et j’ai observé son évolution de très près, comme enfant émerveillé et maintenant comme entrepreneur et développeur immobilier motivé. Mon père a commencé à fabriquer des vêtements sur le boulevard Saint-Laurent au début des années 50. En 1967, il a migré vers le nord, vers le quartier qui est connu sous le nom de Quartier de la guenille.

La rue Chabanel offrait une opportunité alléchante aux entrepreneurs disposant de ressources minimales : des millions de pieds carrés d’espace de fabrication dans une ville portuaire en plein essor, située près des artères principales de transport, y compris l’autoroute transcanadienne et le boulevard Saint-Laurent, mais dans une zone sous-développée.

Et ainsi, la rue, nommée en l’honneur d’un missionnaire français peu connu, est devenue une plaque tournante pour le commerce du vêtement et pour des générations d’ouvriers immigrants.

Les années 2000 ont été une décennie mouvementée pour le quartier de la mode de Montréal, en raison de la croissance de la fabrication à l’étranger qui a entraîné une vague de fermetures.

Aujourd’hui, le quartier n’est plus celui de nos parents. En fait, le quartier se diversifie bien au-delà de ladite guenille.

Tout comme à la fin des années 60, aujourd’hui, le quartier connaît un véritable boom. Le marché suggère qu’il ne s’agit pas de savoir si, mais comment le quartier sera transformé. À l’image de Soho, à New York, ou du quartier de la Distillerie de Toronto, nous devons réinventer le quartier et l’image de marque de Chabanel. Pourquoi ne pas envisager un rebranding qui honorerait un entrepreneur québécois inspirant ; une rue nommée en l’honneur de Lise Watier, de Marie Saint Pierre ou de Jean-Claude Poitras, peut-être ?

Le contexte actuel impose des défis de taille pour les dirigeants locaux, provinciaux et fédéraux, notamment pour créer du travail et stimuler une génération de jeunes dont le développement professionnel a été interrompu. La proximité du quartier avec les communautés parmi les plus durement touchées au Canada pendant la pandémie en fait également un centre de revitalisation évident.

Les résidants et entrepreneurs des arrondissements historiquement négligés comme Ahuntsic-Cartierville et Montréal-Nord réclament des investissements dans les infrastructures gouvernementales de base et des espaces publics plus habitables. La récente Déclaration de Montréal-Nord1 stipule, avec raison, qu’il faut « réinvestir dans ces espaces avec des services publics dignes, adéquats, de qualité et inclusifs ».

Un jardin de créativité professionnelle fleurit dans le Quartier Chabanel et il ne faut pas le laisser longtemps sans entretien. Si le commerce du vêtement reste au cœur de l’histoire du quartier et de celle de notre propre famille, son avenir devrait être plus diversifié.

Avec une planification urbaine et des investissements minutieux, le quartier pourrait représenter un centre dynamique qui viendrait revivifier l’arrondissement d’Ahuntsic.

Il est temps pour notre communauté de plaider en faveur des transformations dont il est question depuis plus d’une décennie. Cela commence par créer de beaux espaces habitables, dont de vastes espaces verts publics que la ville peut accueillir au cœur du district central. Le progrès, c’est profiter pleinement de l’élan des jeunes entrepreneurs afin de rassembler tous les paliers de gouvernement pour stimuler le fabriqué à Montréal.

Mon défunt père était un immigrant qui lui-même employait principalement des immigrants. Il avait de longues conversations avec eux au sujet de leurs rêves, et c’était généralement de fournir une éducation à leurs enfants et une opportunité pour leurs familles de sortir des usines. L’entrepreneuriat, pour cette génération, était pour la plupart inaccessible.

Au cours des dernières années, ce fut un réel plaisir d’accueillir une nouvelle vague d’entrepreneurs désireux de repousser les limites et de contribuer à écrire une nouvelle page d’histoire pour un quartier en pleine métamorphose.

Il faut s’inspirer des pionniers du quartier comme Communautique qui a fabriqué plus de 35 000 visières en pleine pandémie, ou des projets d’agriculture urbaine innovants comme le vignoble sur les toits de Vignes en ville. C’est le croisement de la technologie et de la fabrication urbaine, y compris, mais sans s’y limiter, la mode, qui devrait propulser la rue Chabanel vers l’avenir.

Le soi-disant Quartier de la guenille est depuis trop longtemps limité par l’idée qu’il n’est voué qu’à une vocation ; il n’est plus viable de fabriquer uniquement de la guenille ici. Le marché indique que Chabanel est en train de se métamorphoser en un quartier manufacturier plus sophistiqué et moderne. Plus les chefs de file de la politique et des affaires vont adhérer à cette nouvelle vision, plus on augmentera le potentiel pour tout Montréal de briller sur la scène internationale.

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