Pénurie d’enseignants

Les grèves freineront-elles le recrutement ?

Deux doyennes de faculté d’éducation s’inquiètent plutôt de la dévalorisation de la profession

Faut-il craindre que moins de jeunes choisissent de devenir profs, après les grèves qui ont marqué le réseau de l’éducation à la fin de 2023 ?

Il aurait fallu vivre sous une roche en décembre pour ne pas être au fait des conditions de travail difficiles dans lesquelles les profs du Québec disent exercer leur métier. Les syndicats d’enseignants en grève ont profité de toutes les tribunes possibles pour les dénoncer ces dernières semaines.

Mais pour la doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Ahlem Ammar, le problème est ailleurs quand vient le temps de recruter de futurs profs.

Ce qui l’inquiète, « ce sont plutôt les discussions autour de l’éducation qui étaient alarmantes et alarmistes ces dernières années ».

« Vous avez vu le nombre d’articles et de discours mettant de l’avant que n’importe qui peut enseigner et qu’une formation courte suffit pour qualifier le plus grand nombre d’enseignants ? Ça dévalorise la profession. »

— Ahlem Ammar, doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal

La grève qui a touché le réseau de l’éducation n’a fait que mettre en lumière les conditions de travail des profs, ajoute Mme Ammar.

« Le Québec vit une grande hémorragie du côté des enseignants déjà en fonction. Dépendamment des sources et des publications, on parle de 20 à 40 % des enseignants qualifiés qui quittent la profession dans les cinq premières années de leur carrière qui est censée durer 30 ans. Cet exode est en grande partie causé par les conditions de travail et la complexité de la tâche », dit la doyenne.

Doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, Anabelle Viau-Guay observe pour sa part que ce que les médias rapportent sur le réseau de l’éducation, « les gens qui sont dans le milieu le savent ».

« C’est connu et jusqu’à un certain point, les gens sont contents que ce soit connu du grand public parce que ça met en valeur la complexité de la profession », dit Mme Viau-Guay.

« Il y a peut-être encore des gens qui pensent qu’enseigner la maternelle ou à des enfants, par exemple, c’est facile, mais non, c’est extrêmement complexe. Dans certains cas, ça vient mettre en évidence que c’est une profession exigeante, difficile et qui nécessite des gens qui sont très bien formés. »

— Anabelle Viau-Guay, doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval

En entrevue au 98,5 FM en août dernier, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, avait avancé que les classes de maternelle sont « moins exigeantes », notamment parce que les enfants « font la sieste et n’ont pas de devoirs ».

Maintenir le niveau de qualification

À l’Université de Montréal, on a vu dans les dernières années une baisse des inscriptions dans les programmes menant au brevet d’enseignement.

La doyenne Ahlem Ammar ne se dit pas « alarmée », mais observe que si la tendance se maintient, « on risque d’avoir un problème ».

« On va se retrouver avec des enseignants non légalement qualifiés. Je ne suis pas en train de dire qu’ils ne sont pas bons, mais il faut mettre des personnes qualifiées pour donner la chance à tous les élèves de bien réussir et atteindre leur potentiel », dit Mme Ammar.

À l’Université Laval, on accueille chaque année plus d’étudiants dans les programmes en enseignement. Dans les cinq dernières années, les inscriptions à la session d’automne ont augmenté de 27 %.

N’empêche qu’il faudrait former beaucoup plus de profs pour endiguer la pénurie actuelle.

Le projet de loi 23 sur la réforme en éducation qui a été adopté en décembre permettra à des étudiants qui auront obtenu 30 crédits au deuxième cycle, plutôt que les 60 crédits habituels de la maîtrise qualifiante, d’accéder au brevet.

À l’Université Laval, on n’a pas l’intention d’offrir de tels programmes. « Tous nos partenaires du milieu scolaire souhaitent qu’on maintienne un haut niveau de qualification, soit un bac de quatre ans ou une maîtrise qualifiante, et c’est ce qu’on va faire. On n’a pas l’intention de développer de programme court », tranche la doyenne Anabelle Viau-Guay.

« On comprend le besoin et l’urgence de la situation, mais on ne pense pas que ça doit se faire au détriment de la qualité de la formation. »

— Anabelle Viau-Guay, doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval

L’Université Laval mise sur des stages en cours d’emploi et l’adaptation des horaires de cours pour les étudiants qui enseignent déjà.

Même son de cloche à l’Université de Montréal.

« On ne compte pas offrir de formations courtes », dit Ahlem Ammar. « On a toujours en tête l’intérêt de l’élève », ajoute-t-elle, tout en reconnaissant qu’il faudra mettre les bouchées doubles pour attirer de futurs profs dans des domaines comme l’adaptation scolaire ou le français langue seconde.

un « plan de rattrapage » présenté bientôt

Québec entend déposer la semaine prochaine un « plan de rattrapage scolaire » pour les élèves ayant manqué plusieurs jours d’école en raison des grèves dans le secteur public au cours de l’automne. Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a indiqué jeudi soir qu’il présentera le 9 janvier un plan qui a été élaboré avec différents intervenants du réseau scolaire. La Fédération autonome de l’enseignement, qui a tenu pendant environ un mois une grève illimitée, a annoncé la semaine dernière la fin de tous ses moyens de pression, après avoir conclu une entente de principe avec le gouvernement. Le Front commun intersyndical, qui réunit la CSN, la CSQ, l’APTS et la FTQ, a aussi débrayé à différents moments au cours de l’automne, entraînant la fermeture d’écoles.

— La Presse Canadienne

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